Texte
publié dans « Sud Quotidien » du 17 novembre 2015
J’ai du mal à comprendre
l’émoi suscité au sein des médias et de l’opinion en général, ainsi que la
virulence des réactions épidermiques de certains membres du gouvernement suite à
la publication de deux informations, somme toute banales, que sont l’admission
du Sénégal au Conseil de Sécurité des Nations Unies et le classement de notre
pays parmi les vingt cinq nations les plus pauvres du monde.
Elu mais sans voix !
Etre membre non permanent
au Conseil de Sécurité, ce n’est pas un privilège en soi, c’est la résultante d’une
mécanique. C’est le strapontin réservé à tous les Etats membres de l’ONU qui n’ont
pas le privilège de disposer d’un droit de veto, et, à tour de rôle, il peut
revenir au grand Brésil (200 millions d’habitants) ou au petit Vanuatu, cent
fois moins peuplé. Il est attribué selon des équilibres géographiques et des
rotations quasi mathématiques, au point que chaque pays peut savoir
approximativement dans quel délai il peut accéder à ce rôle de figuration.
Cette présence donne bonne conscience aux cinq membres permanents et crée
l’illusion que leurs décisions sont agréées par l’ensemble de la planète. Dans
la réalité, le membre non permanent est
dépourvu du seul pouvoir qui compte,
celui de s’opposer à l’adoption d’une décision par le Conseil .En 2011, les
trois membres africains n’ont pas pu empêcher l’invasion de la Libye à laquelle
était opposée l’Union Africaine .Même le score de voix obtenu par notre pays
lors de son élection n’est pas une prouesse : nous ne sommes en guerre
contre aucun Etat, nous ne sommes pas une dictature sanguinaire et notre
candidature est portée par l’Union Africaine !
Bref, s’il n’y a pas de
honte à être membre non permanent du Conseil de Sécurité, il n’y a pas non plus
de quoi se glorifier. Ou plus précisément, c’est seulement au bout de son
mandat de deux ans que le Sénégal pourrait avoir quelque légitimité à se
flatter, à condition de prouver que s’il n’a pas changé le monde, il a su
résister aux pressions extérieures et défendre les intérêts de notre continent.
Ce qui n’est pas chose aisée…
Pauvre, mais à sa
place !
Quand on est le 33e
Etat d’Afrique par la superficie, le 25e par la population, qu’on
n’a ni pétrole ni métaux précieux, qu’on n’est jamais sûr de recevoir des
gouttes de pluie d’une année à l’autre dans des quantités et des délais
compatibles à la survie d’une bonne agriculture, quand on connait le mode de
calcul du PIB, qui est une mesure souvent très abstraite, on peut rester zen lorsqu’on vous classe au 25e rang des pays les plus pauvres, parmi
lesquels, faut-il le préciser, 22 sont africains. On peut déjà se consoler d’être
parmi les meilleurs dans sa région : le deuxième au sein de l’UEMOA (8
pays), le cinquième au sein de la CEDEAO (15 pays).Plutôt donc que de
s’égosiller à nier le probable voire l’évidence, avant même que les chiffres
avancés ne soient confirmés, les autorités auraient du au contraire exploiter
l’information pour bâtir un marketing stratégique fondé sur trois
principes :
- la faible performance du Sénégal ne peut pas être mise sur leur compte, celui d’un gouvernement qui n’est aux affaires que depuis trois ans ;
- s’il faut situer les responsabilités, il faut les faire porter par ceux qui ont exercé le pouvoir pendant cinquante ans et qui n’ont de toute évidence pas trouvé les moyens et les stratégies nécessaires pour réaliser un bond qualificatif ;
- pour faire mieux, il faut mettre en place des réformes de fond et de grande envergure !
Voila comment on peut, sans
forfanterie, tirer une leçon de ses déboires car cette dernière exigence peut
servir à justifier le Plan Sénégal Emergent ou à fonder la lutte contre la
corruption.
Cette manie de souvent
préférer la défense à l’attaque, de réfuter tout ce qui ne flatte pas notre ego,
de se perdre dans de vaines querelles s’explique par la seule et même raison :
nous, Sénégalais, avons une glande supplémentaire que les autres n’ont pas, une
glande de vanité qui nous fait croire que nous sommes toujours et sur tout,
au-dessus du monde entier. Certains invoquent le passé colonial, ce qui n’est
pas un vrai signe de confiance en soi. D’autres font référence à une prétendue protection
divine, à l’action souterraine et invisible de nos saints, comme si nous étions
seuls à en avoir, comme s’ils avaient oublié que le fait d’avoir abrité celui
que la plupart d’entre eux placent au-dessus de tous les hommes n’a pas empêché
l’Arabie Saoudite d’être ensanglantée par des accidents et des attentats.
Nous sommes cités parmi
les 25 pays les plus pauvres ? Alors renonçons aux chimères comme ce fut
le cas quand, oubliant son rang, notre pays battit campagne pour revendiquer la
place africaine de membre permanent du Conseil de Sécurité, dont le principe
même était loin d’être acquis. Renonçons aux éléphants blancs, au gaspillage, au
culte de la personnalité et au fatalisme, et prenons l’engagement d’être, dans
dix ans, dans le lot des cent pays les plus riches ! Ce serait déjà pas
mal…
C’est aussi notre glande
de vanité qui dans une toute autre affaire nous pousse à croire qu’un de nos
compatriotes est innocent simplement parce qu’il est fils de notre terroir, et que
le monde entier le lui envie. Lamine Diack reste innocent tant qu’il n’a pas
été condamné, il a besoin de notre soutien et de notre affection. Mais ni l’un
ni l’autre ne peuvent constituer des arguments à sa défense et la parole de ses
avocats a plus de force que celle de sa famille.
Acceptons-le, définitivement : nous
sommes, comme tout le monde, tenus de fournir des efforts, de donner des
preuves de notre bonne foi, et les incantations n’y peuvent rien !
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