Je suis historien et géographe de formation. J'ai été enseignant-formateur à l’Ecole Normale Supérieure (ENS) de Dakar, puis en charge de différentes structures et directions administratives. A la retraite depuis plusieurs années, je profite de ma liberté recouvrée pour assouvir une vieille passion : écrire. Ces dernières années, j’ai publié deux romans («Mon villages au temps des blancs » en 2000 et «La Raparille» en 2010) ainsi que trois essais (« A mes chers parents gaulois » en 2007 ; "Wade Mecum ou le wadisme en 15 mots" en 2010; "Le temps des choses jamais vues : chronique des années Wade-Sarkozy", 2013). Je publie régulièrement des chroniques dans divers journaux sénégalais (en particulier « Nouvel Horizon » et "Sud Quotidien").

jeudi 10 mars 2016

L’INCENDIE

        
Texte publié dans « Sud Quotidien » du 26 décembre 2015


« L’affaire Lamine Diack » va-t-elle mettre le feu au Sénégal ? Ce serait le comble puisque, si on en croit « Le Monde », c’est justement pour préserver notre pays de l’embrasement que pourrait provoquer la réélection d’un vieil autocrate accroché au pouvoir et à sa « dévolution monarchique », contre l’avis de son peuple, que l’ancien président de l’IAAF aurait cédé à des marchandages frauduleux.

La guerre n’est pas faite pour les vieillards !

Ouvrons d’abord une longue parenthèse pour mesurer les paradoxes de cette affaire.

Le montant que Platini reconnait avoir reçu de S. Blatter est supérieur à celui qu’on accuse L. Diack d’avoir soutiré au président de la fédération russe d’athlétisme. Platini comme Diack se seraient passés de documents comptables et se seraient contentés d’accords verbaux. C’est plus compromettant pour le Français qui appartient à une culture qui n’accorde de crédit qu’à ce qui est écrit, mais apparemment cela n’a choqué personne. Diack, selon ses aveux au Monde, ne se serait pas enrichi par le montant reçu, ce qui n’est pas le cas de Platini qui a tiré un profit personnel de l’opération. Platini a été sanctionné par une suspension, mais ses censeurs parlent d’imprudence plutôt que de corruption, contrairement au soupçon qui pèse sur Diack.

En somme la naïveté est une excuse pour le Français, un crime pour le Sénégalais. Bien entendu, les comités d’éthique des deux organismes qui les employaient sont diversement appréciés : celui qui a condamné Platini est jugé pourri, celui qui n’a pas défendu Diack est préservé de l’opprobre. Enfin, Platini est porté aux nues par son pays où, toutes opinions confondues, on vante sa pureté et sa compétence, sans s’attarder au montant qu’il a reçu et qui est sans rapport avec le travail qu’il aurait fourni, alors que Diack ,déjà condamné par l’opinion occidentale, ne trouve que quelques rares défenseurs dans son propre pays…

Quelle leçon tirer de cette analyse ?

Elle se résume en un vieux et célèbre précepte qu’on peut réactualiser comme suit : «Vérité au-delà de la Méditerranée, erreur en deçà…» Le premier tort de L. Diack, c’est de l’avoir ignoré, de ne pas s’être souvenu des obstacles opposés à Mbow ou à J. Diouf, de la suspicion permanente qui pèse sur nos élites lorsqu’elles occupent des postes stratégiques, d’avoir introduit son fils dans une institution faite par et pour le Nord qui en fournit toutes les ressources et en revendique tous les bénéfices.

En attendant que la justice se prononce, « l’affaire Diack » est en train d’enflammer notre pays.

L’incendie est d’abord au sein même de la famille Diack .En proclamant par voie de presse qu’il « n’a jamais participé à une réunion politique » avec son père, « ni à aucune distribution d’argent à des opposants »,qu’il « n’a reçu aucun argent des mains de Balakhnichev » ,le fils se décharge de toute responsabilité dans l’affaire et se démarque du père qui, selon Le Monde, aurait dit au juge que son fils était la seule personne susceptible de dire « qui au Sénégal a reçu l’argent des Russes ».

Au fond on peut se demander en quoi le fils a servi son père !

Enfin, Diack fils n’est pas plus tendre en justifiant les aveux compromettants attribués à son père par « le poids de l’âge ». Pourquoi ne l’a-t-il pas poussé à partir plus tôt, avant le naufrage, puisque la vieillesse était l’un des reproches que l’on faisait à Wade, l’ennemi juré de son père ? Pourquoi L. Diack, qu’il ne jugeait pas trop vieux pour gérer l’IAAF, dont le budget se monte à 70 millions de dollars, le serait devenu subitement quand il s’agit de se justifier face  à l’enquêteur ?

L’incendie est aussi dans la classe politique. L’encre du Monde n’était pas encore sèche que le principal parti d’opposition, faisant feu de tout bois, sortait précipitamment, sans réunir ses instances, un communiqué excessif et outrageant dont les termes ont été démentis quelques heures plus tard par la source même des informations. D’autres politiques sortaient des bois pour lancer des flèches empoisonnées qui se transformeront en boomerangs ! Et comme souvent, le pouvoir réagira non par l’explication mais par le recours à la force policière. C’était pourtant plus simple d’édifier l’opinion, de donner des preuves, d’inviter à l’éclatement de la vérité et de traduire les calomniateurs devant la justice !

Mais l’incendie le plus grave est à venir. Lamine Diack est connu pour l’aide et le parrainage qu’il a assurés à de nombreux mouvements politiques et de la société civile .Lorsque les noms de ceux qui parmi eux ont mangé au râtelier russe seront connus et publiés, des légendes s’écrouleront, des réputations seront anéanties. Cet incendie là au moins sera salutaire.


Restera à faire en sorte que les mêmes causes ne produisent pas les mêmes effets…

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