Je suis historien et géographe de formation. J'ai été enseignant-formateur à l’Ecole Normale Supérieure (ENS) de Dakar, puis en charge de différentes structures et directions administratives. A la retraite depuis plusieurs années, je profite de ma liberté recouvrée pour assouvir une vieille passion : écrire. Ces dernières années, j’ai publié deux romans («Mon villages au temps des blancs » en 2000 et «La Raparille» en 2010) ainsi que trois essais (« A mes chers parents gaulois » en 2007 ; "Wade Mecum ou le wadisme en 15 mots" en 2010; "Le temps des choses jamais vues : chronique des années Wade-Sarkozy", 2013). Je publie régulièrement des chroniques dans divers journaux sénégalais (en particulier « Nouvel Horizon » et "Sud Quotidien").

jeudi 10 mars 2016

HOLLANDE A OUBLIE LA GRANDEUR !


Texte publié dans « Sud Quotidien » du 2 janvier 2016

L’honneur d’un chef d’Etat, ce n’est pas seulement d’être le premier citoyen de son pays, c’est d’être le meilleur à toutes les occasions, ce n’est pas de faire ce qui plait à la majorité de son peuple, mais de préférer ce qui est bien pour l’ensemble de ses concitoyens.

François Hollande a préféré se fier aux sondages pour orienter sa politique, quitte à se dédire, ou à trahir l’héritage d’un parti dont les fondements mêmes sont de garantir la justice et l’équité sociale. Il a choisi de faire plaisir, et cela consiste aujourd’hui, en France, à chercher son inspiration dans le programme du Front National qui se définit comme « le premier parti de France ».

Si Charles De Gaulle s’était contenté de respecter les vœux des Français, il n’aurait pas décidé d’accorder l’indépendance à l’Algérie, il aurait de ce fait violé le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et installé la violence dans son pays pour de nombreuses années.

Si François Mitterrand n’avait pris en compte que le choix exprimé par la grande majorité de ses concitoyens, il n’aurait pas aboli la peine de mort en France et aurait ainsi manqué le grand rendez-vous de la gauche avec l’Histoire.

Si Nelson Mandela avait répondu à l’appel de la nation, il aurait brigué un second mandat présidentiel qui aurait sans doute terni sa légende et l’aurait soumis aux suppôts des politiciens.

Si Barak Obama n’avait fait qu’appliquer les programmes qui avaient la préférence du peuple américain et de ses représentants, il n’aurait ni mis en place la réforme sociale qui restera un des grands héritages de sa présidence, ni mis autant d’énergie à tenter de limiter la prolifération des armes aux Etats-Unis…

Enfin, si Angela Merkel n’avait eu pour horizon que le confort des Allemands qu’elle s’était promis d’améliorer, elle n’aurait pas ouvert les portes de son pays à 1.200.000 réfugiés, alors que ses voisins français tremblent à l’idée de devoir accueillir 30.000 d’entre eux !

Il y a un monde entre le président français, socialiste, et la chancelière allemande, classée conservatrice, et cela s’appelle la grandeur. Le premier flatte les instincts les plus bas, ceux qui font le lit de l’extrême droite qu’il cherche à conquérir, la seconde a imposé la générosité aux plus réticents de ses militants. Pourtant aujourd’hui, c’est de grandeur que la France a besoin, parce qu’elle  a cessé d’être la destination privilégiée des bannis et des exilés, elle n’est plus attractive, elle n’est qu’une escale, un transit obligatoire, elle n’est pas l’objectif des réfugiés qui fondent sur l’Europe. Quand ils arrivent à entrer en Allemagne, ils y restent ; quand ils sont en France, c’est pour pouvoir gagner l’Angleterre !

La grandeur, M. Hollande, ce n’est pas seulement d’envoyer ses troupes en Afrique ou de bombarder la Syrie, car la guerre n’a jamais été le meilleur moyen pour résoudre les crises. La grandeur c’est aussi de ne pas rejeter ni insulter les blessés de la guerre, du désordre et de la dictature. Mme Merkel l’a compris parce qu’elle a vécu leur sort.

La grandeur, ce n’est pas seulement de célébrer les morts, d’aller haranguer les foules, de commémoration en commémoration et de faire pleurer Margot. La grandeur, c’est aussi de se pencher sur le sort des vivants et de leur redonner leur dignité. La grandeur, M. Hollande, ce serait, après avoir déposé des fleurs  sur les sépultures, d’aller tremper vos chaussures dans la gadoue de La Grande Sythe, tout près de Dunkerque. Ici « vivent » dans la déchéance la plus complète, 3000 réfugiés (dont 200 enfants), réduits à l’état de sous-hommes (20 toilettes, 40 douches, etc.) dans un pays qui se targue d’être la cinquième puissance du monde !

La grandeur, surtout quand on est l’autorité suprême, c’est de refuser de céder à la solution facile du bouc émissaire et de s‘attacher à rechercher les causes sociales du désordre et des violences. La grandeur, ce n’est pas de regarder vos obligés les yeux dans les yeux pour leur dire la vérité toute crue, et de la taire à vos clients, « d’engueuler » le  Burundi et de ménager l’Arabie Saoudite ou la Chine. La realpolitik, M. Hollande, et cela vaut pour tous vos collègues, c’est rarement une politique de grandeur !

La grandeur, lorsqu’on honore les héros, c’est de ne pas oublier les plus humbles, ceux dont les prouesses ont peu de chance d’être mises en scène par les médias internationaux. Lassana Coulibaly a d’autant plus de mérite qu’il n’était qu’un petit employé en situation précaire et qu’il aurait pu se contenter de sauver son seul bien : sa vie ! F.Hollande a estimé qu’il l’avait suffisamment récompensé en lui attribuant la nationalité française, il a réservé la Légion d’Honneur aux héros américains.

La grandeur, ce n’est pas de remettre en cause ce droit au sol qui a fait  l’originalité de la France en Europe et l’a élevée au rang de terre d’asile et d’émancipation. C’est de refuser d’accréditer cette thèse selon laquelle il existerait en France deux catégories de citoyens, les Français «de souche» que l’on punit quand ils fautent, et les «Français à points» que l’on renie quand ils commettent les mêmes erreurs. La loi sur la déchéance de la nationalité française que veulent promouvoir Valls et Hollande n’est pas seulement d’efficacité douteuse puisqu’elle s’appliquera principalement à des Français morts ou peu désireux de la conserver, elle n’est pas seulement discriminatoire, elle crée un crime héréditaire puisque sans avoir rien fait, les enfants des déchus se retrouveront eux-mêmes dépouillés de patrie !


« La France, c’est ma mère, et ma mère on n’y touche pas ! », s’était exclamé Jamel Debbouze il y a un an, après les massacres de janvier. Hollande lui  signifie, à lui et à tous ceux qui comme lui se battent, souvent depuis deux générations, pour se faire accepter citoyens à part entière, que malgré leurs élans patriotiques et leurs trémolos, la France ne sera plus pour eux qu’une mère adoptive qui, à la moindre alerte, les restituera à leur mère biologique !

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