Texte
publié dans « Sud Quotidien » du 2 janvier 2016
L’honneur d’un chef d’Etat, ce n’est pas seulement d’être le
premier citoyen de son pays, c’est d’être le meilleur à toutes les occasions,
ce n’est pas de faire ce qui plait à la majorité de son peuple, mais de
préférer ce qui est bien pour l’ensemble de ses concitoyens.
François Hollande a préféré se fier aux sondages pour
orienter sa politique, quitte à se dédire, ou à trahir l’héritage d’un parti dont
les fondements mêmes sont de garantir la justice et l’équité sociale. Il a
choisi de faire plaisir, et cela consiste aujourd’hui, en France, à chercher
son inspiration dans le programme du Front National qui se définit comme
« le premier parti de France ».
Si Charles De Gaulle s’était contenté de respecter les vœux
des Français, il n’aurait pas décidé d’accorder l’indépendance à l’Algérie, il
aurait de ce fait violé le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et installé
la violence dans son pays pour de nombreuses années.
Si François Mitterrand n’avait pris en compte que le choix
exprimé par la grande majorité de ses concitoyens, il n’aurait pas aboli la
peine de mort en France et aurait ainsi manqué le grand rendez-vous de la
gauche avec l’Histoire.
Si Nelson Mandela avait répondu à l’appel de la nation, il
aurait brigué un second mandat présidentiel qui aurait sans doute terni sa
légende et l’aurait soumis aux suppôts des politiciens.
Si Barak Obama n’avait fait qu’appliquer les programmes qui
avaient la préférence du peuple américain et de ses représentants, il n’aurait
ni mis en place la réforme sociale qui restera un des grands héritages de sa présidence,
ni mis autant d’énergie à tenter de limiter la prolifération des armes aux Etats-Unis…
Enfin, si Angela Merkel n’avait eu pour horizon que le
confort des Allemands qu’elle s’était promis d’améliorer, elle n’aurait pas
ouvert les portes de son pays à 1.200.000 réfugiés, alors que ses voisins
français tremblent à l’idée de devoir accueillir 30.000 d’entre eux !
Il y a un monde entre le président français, socialiste, et
la chancelière allemande, classée conservatrice, et cela s’appelle la grandeur.
Le premier flatte les instincts les plus bas, ceux qui font le lit de l’extrême
droite qu’il cherche à conquérir, la seconde a imposé la générosité aux plus
réticents de ses militants. Pourtant aujourd’hui, c’est de grandeur que la
France a besoin, parce qu’elle a cessé
d’être la destination privilégiée des bannis et des exilés, elle n’est plus
attractive, elle n’est qu’une escale, un transit obligatoire, elle n’est pas
l’objectif des réfugiés qui fondent sur l’Europe. Quand ils arrivent à entrer
en Allemagne, ils y restent ; quand ils sont en France, c’est pour pouvoir
gagner l’Angleterre !
La grandeur, M. Hollande, ce n’est pas seulement d’envoyer
ses troupes en Afrique ou de bombarder la Syrie, car la guerre n’a jamais été
le meilleur moyen pour résoudre les crises. La grandeur c’est aussi de ne pas
rejeter ni insulter les blessés de la guerre, du désordre et de la
dictature. Mme Merkel l’a compris parce qu’elle a vécu leur sort.
La grandeur, ce n’est pas seulement de célébrer les morts, d’aller
haranguer les foules, de commémoration en commémoration et de faire pleurer
Margot. La grandeur, c’est aussi de se pencher sur le sort des vivants et de
leur redonner leur dignité. La grandeur, M. Hollande, ce serait, après avoir
déposé des fleurs sur les sépultures, d’aller
tremper vos chaussures dans la gadoue de La Grande Sythe, tout près de
Dunkerque. Ici « vivent » dans la déchéance la plus complète, 3000 réfugiés (dont 200 enfants), réduits à l’état de sous-hommes (20 toilettes, 40
douches, etc.) dans un pays qui se targue d’être la cinquième puissance du
monde !
La grandeur, surtout quand on est l’autorité suprême, c’est
de refuser de céder à la solution facile du bouc émissaire et de s‘attacher à
rechercher les causes sociales du désordre et des violences. La grandeur, ce
n’est pas de regarder vos obligés les yeux dans les yeux pour leur dire la
vérité toute crue, et de la taire à vos clients, « d’engueuler »
le Burundi et de ménager l’Arabie Saoudite
ou la Chine. La realpolitik, M. Hollande, et cela vaut pour tous vos collègues,
c’est rarement une politique de grandeur !
La grandeur, lorsqu’on honore les héros, c’est de ne pas
oublier les plus humbles, ceux dont les prouesses ont peu de chance d’être
mises en scène par les médias internationaux. Lassana Coulibaly a d’autant plus
de mérite qu’il n’était qu’un petit employé en situation précaire et qu’il
aurait pu se contenter de sauver son seul bien : sa vie ! F.Hollande
a estimé qu’il l’avait suffisamment récompensé en lui attribuant la nationalité
française, il a réservé la Légion d’Honneur aux héros américains.
La grandeur, ce n’est pas de remettre en cause ce droit au
sol qui a fait l’originalité de la
France en Europe et l’a élevée au rang de terre d’asile et d’émancipation. C’est
de refuser d’accréditer cette thèse selon laquelle il existerait en France deux
catégories de citoyens, les Français «de souche» que l’on punit
quand ils fautent, et les «Français à points» que l’on renie
quand ils commettent les mêmes erreurs. La loi sur la déchéance de la
nationalité française que veulent promouvoir Valls et Hollande n’est pas
seulement d’efficacité douteuse puisqu’elle s’appliquera principalement à des
Français morts ou peu désireux de la conserver, elle n’est pas seulement
discriminatoire, elle crée un crime héréditaire puisque sans avoir rien fait, les
enfants des déchus se retrouveront eux-mêmes dépouillés de patrie !
« La France, c’est ma mère, et ma mère on n’y touche
pas ! », s’était exclamé Jamel Debbouze il y a un an, après les
massacres de janvier. Hollande lui
signifie, à lui et à tous ceux qui comme lui se battent, souvent depuis
deux générations, pour se faire accepter citoyens à part entière, que malgré
leurs élans patriotiques et leurs trémolos, la France ne sera plus pour eux
qu’une mère adoptive qui, à la moindre alerte, les restituera à leur mère
biologique !
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