NB : Texte publié dans « Sud Quotidien »
du 20 mars 2015.
La France célèbre depuis le 16 mars une semaine de la langue française,
presque seule, en tout cas sans la participation de notre pays où sa langue est
enseignée à l’école depuis Jean Dard, il y a exactement deux siècles. La
thématique choisie pour cette année est « le français langue hospitalière », et cela a suffi pour faire sortir de leurs
gonds tous ceux qui s’offusquent que la France soit devenue une « auberge espagnole ». Des voix s’élèvent donc pour affirmer qu’il en
est de sa langue comme il en est de son territoire : tous deux doivent
rester fermés aux étrangers et rester fidèles à l’héritage gréco-latin et
judéo-chrétien. Halte aux « mots
immigrés », aux métaplasmes, et aux
mélanges occasionnels. La France ne peut parler que d’une seule voix et
cette voix parle français ! A quelques jours d’une élection qui,
annonce-t-on, marquera le triomphe de l’extrême droite, elle ne doit pas se
laisser noyer dans « une globalisation mutilante », sa langue n’est pas que de bric et de broc, et si
elle la fête, elle doit le faire avec ses mots à elle. Bref, elle n’est pas partageuse,
la France !
Pourtant, c’est aujourd’hui sa
langue qui constitue le plus beau titre de gloire de la France, et depuis
quarante ans, toutes les institutions francophones portent en bandoulière le
généreux slogan du « français en partage ».
Pourtant le français est « langue
officielle » dans près de vingt
pays d’Afrique, et les élites africaines qui le maîtrisent sont plus
respectueuses de ses règles et de son génie que ne l’est une partie de l’élite française.
Aucun chef d’Etat africain ne se permettrait de le galvauder dans les médias, d’user, en public ou au cours d’une conférence
de presse, d’une langue faussement populiste du genre « Casse-toi pauvre con ! ».
Pourtant si, avec quelques 200 millions d’usagers, la langue française
figure aujourd’hui parmi les dix langues les plus parlées dans le monde et parmi
les quatre langues internationales les plus reconnues, elle le doit, non aux
Français « de souche », mais à ceux qui la
parlent hors de l’Hexagone et même hors d’Europe.
Pourtant, c’est grâce à la croissance démographique en Afrique et à la
progression de l’apprentissage du français sur le continent noir, que la langue
de Molière continue à se répandre, au point d’espérer compter 700 millions de
locuteurs au milieu de ce siècle, qui seront des Africains pour 90% ! Dans
quarante ans, les trois ou quatre plus grands pays francophones, en terme de population, pourraient être africains…
Dès lors, les Africains accepteront-ils que la France leur ferme toutes ses
portes, y compris celle du devenir de la langue qu’ils partagent avec elle ?
Accepteront-ils
ce que n’ont accepté ni les Brésiliens ni les Américains, qui se sont émancipés de leurs langues d’origine
et s’expriment aujourd’hui en « brésilien »,
et non en portugais, en « américain
» et non en anglais ? Sauront-ils garder l’ardeur des Québecquois qui
sont le fer de lance de la lutte contre l’anglomanie et dont souvent, en France,
on ne remarque que « l’accent » ? Demain il y aura, peut-être,
un français d’Afrique qui se passera du français de France.
Faut-il donc se battre pour des
mots ?
Oui, puisqu’il a suffi de quelques mots, de dix mots, dont on jurerait pour
certains, qu’ils sont nés dans les « prairies
normandes » (qui savait que
« amalgame » est d’origine
arabe ?), pour réveiller de vieux démons et ulcérer tous ceux qui pensent que toute
liberté accordée à la langue de Queneau est une reddition face au parti de
l’étranger.
Oui, parce qu’accueillir dans une langue des éléments nouveaux peut « instruire de bien des phénomènes
de la vie sociale ». Il est significatif
qu’un terme japonais, connu de quelques gourmets parisiens, ait plus de chance
d’entrer dans un dictionnaire français que ceux dont usent quotidiennement des
millions d’Ivoiriens ou de Congolais quand ils s’expriment en français ! Les
Africains acceptent de recevoir, mais ils voudraient aussi pouvoir donner, et
c’est de ce qu’ils donnent, non de ce qu’on leur offre, qu’ils sont le plus
fiers.
Mais la bataille qu’ils se préparent à livrer, eux qui seront bientôt les
principaux usagers de la langue française (à moins qu’ils ne soient gagnés par
le syndrome rwandais !), dépasse une querelle de mots. Elle consiste,
non à solliciter des faveurs, mais à revendiquer des droits, car parler la même
langue, comme le rappelait Abdou Diouf, alors Secrétaire Général de l’OIF,
c’est aussi « parler le même
langage, celui des principes et des valeurs ». Si, en ne restant que
dans le domaine qui nous occupe, l’Académie Française, seule et jalouse
gardienne « de l’état-civil de la langue
française », est au service de
la langue française et non de celui exclusif de la France, alors les Africains,
d’Afrique et de la Diaspora, y ont leur place, et aujourd’hui, il n’y a aucun
Africain parmi les 39 Immortels. Il y eut jadis L.S.Senghor, mais le vrai défi aurait été
alors d’y faire entrer Aimé Césaire ou
René Depestre. Elle va accueillir un afro-américain, Dany Laferrière, mais
pourquoi ne ferait-elle pas place à Patrick Chamoiseau, Raphael Confiant ou
Souleymane Bachir Diagne ? Face à un autre impétrant, Alain Finkielkraut, qui
disait rougir de honte devant les « ricanements
de l’Europe » face à l’équipe de France de football « black-black-black », ils ne
seront pas trop nombreux, les Africains de naissance ou d’origine, contre les
adeptes de la politique de la tension permanente, ceux qui opposent l’identité
à l’égalité, les indigènes et les allogènes, et qui se servent d’une langue qui
n’était pas souvent celle de leurs parents pour bâtir leurs théories.. .
La vraie question est
celle-ci : où est l’intérêt, pour nous Africains, d’apprendre, de parler
et, surtout, de défendre le français, si la France, après avoir entrebâillé les
portes de son territoire, de ses universités et centres de recherches, nous
ferme les portes de l’espace immatériel de sa langue ?
2 commentaires:
Bonjour M. Fadel Dia,
Votre article que je découvre aujourd'hui (repris par Courrier International) retient mon attention. En effet j'y découvre une expression qui me surprend... et m'émerveille : "..nés dans les 'prairies normandes' ".
Si je suis président du "Réseau Normand", c'est plutôt tout simplement comme Normand et Français que je réagis.
Tout d'abord vous souvenez-vous sans aucun doute que M. Léopold Sédar Senghor a vécu ses dernières années à Verson en Normandie. Un monument l'y célèbre. Mais plus encore, M. Senghor a rédigé un article sur la "normanditude", comme une écho à son écrit sur la "négritude".
C'est donc comme un hommage à nos liens et à la forte imprégnation de l'image de la Normandie que je vois dans vos lignes... Du moins je l'espère car cette référence que vous faêtes vient juste après ces lignes: "quelques mots [méprisants], dont on jurerait qu'ils sont nés...".
La Normandie a tant marqué la culture française (et anglaise) que sa langue a très tôt -dès le haut moyen-âge- rejoint ou formé le Français. Et sa langue vernaculaire, son patois, survit comme il peut. Mais dans les 2 cas comment rapprocher l'adjectif "méprisant" de nos paysages apaisants ? Comment par un voisinage jouxtant la référence à notre pays normand à l'expression dévalorisante pouvez-vous permettre un "amalgame" (je reprends votre source) et risquer de jeter l'opprobre sur notre communauté?
Pour le fonds de votre article, comment ne pas vous rejoindre? Le contact des cultures est enrichissant, votre référence au Québec est juste.
Je ressens cela comme un... Normand : la vérité n'est pas que d'un seul côté (p'têt ben qu'oui, p'têt ben qu'non). L'ouverture à vos usage africains sera un avantage, une ouverture. Tout comme les mots japonais qui correspondent à de nouvelles habitudes de consommation. Nous -Français- avons par contre du mal à maîtriser les nouveaux mots qui ne sont que des effets de mode, sans signification culturelle profonde, ou une dilution de la richesse du vocabulaire et des nuances de la conjugaison...
Cependant Je vous remercie encore de votre référence normande.
Par ailleurs il existe une communauté normande à Dakar.
Bien cordialement
François Dublaron
bonjour F.Dublaron,
Je voudrais vous remercier de l'intérêt que vous avez prêté à mon article consacré au "partage " du français.Je crains néanmoins qu'il y ait une méprise car,évidemment,je n'avais nulle intention de tourner en dérision votre chère province.Je connais les liens particuliers qu'elle entretient avec mon pays ,grâce notamment à Senghor.J'ai commencé ma carrière dans la ville de Thiès,jumelée à Caen et j'ai eu l'occasion de fréquenter "le clos normand" qui à Dakar accueillait les ressortissants de votre province.En réalité j'ai simplement repris des termes employés par Marine Le Pen qui opposait les "bons" et les" mauvais",selon leur origine,pour dire qu'il y a des mots que l'on croit d'origine française alors que ce sont des mots "immigrés".J'espère vous avoir rassuré.
Cordialement
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