Je suis historien et géographe de formation. J'ai été enseignant-formateur à l’Ecole Normale Supérieure (ENS) de Dakar, puis en charge de différentes structures et directions administratives. A la retraite depuis plusieurs années, je profite de ma liberté recouvrée pour assouvir une vieille passion : écrire. Ces dernières années, j’ai publié deux romans («Mon villages au temps des blancs » en 2000 et «La Raparille» en 2010) ainsi que trois essais (« A mes chers parents gaulois » en 2007 ; "Wade Mecum ou le wadisme en 15 mots" en 2010; "Le temps des choses jamais vues : chronique des années Wade-Sarkozy", 2013). Je publie régulièrement des chroniques dans divers journaux sénégalais (en particulier « Nouvel Horizon » et "Sud Quotidien").

dimanche 22 mars 2015

LES PRIVILÈGES DES DONNEURS DE LEÇONS !

NB : Texte publié dans « Sud Quotidien » du 12 mars 2015.

Mme Valéry Pécresse a été ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche dans son pays pendant quatre ans. Les initiatives les plus importantes qu’elle a prises dans l’exercice de cette fonction (autonomie des universités, réforme du statut des enseignants-chercheurs, etc.) ont été contestées en France, aussi bien par les enseignants que par les étudiants. Elle n’est pas universitaire, mais haut fonctionnaire, et n’exerce aucune fonction ministérielle depuis trois ans. Qu’importe, quand elle est en Afrique elle est une experte en enseignement, en société, en stratégie politique, elle distribue des leçons et tire des conclusions. Elle est docte, comme le lui reconnait désormais l’Université de Dakar ! Le Sénégal, dit-elle, commettrait une erreur en refusant « d’aller vers la voie de la réforme universitaire » proposée par son gouvernement. Le syndicat, qui regroupe l’essentiel des enseignants, mais qui a eu l’outrecuidance de contester le choix porté sur sa personne pour le titre de Docteur honoris causa, et de s’élever contre le projet et surtout contre les méthodes de son ministre de tutelle, ne représente, selon elle, qu’une minorité contestataire « aux relents politiques » dont les interrogations sont un « petit débat » face à l’enjeu. Mme Pécresse invite donc son collègue sénégalais à ne se préoccuper que des avis de « la majorité silencieuse ».

Ce serait déjà un miracle qu’un ancien ministre sénégalais, même s’il jouit d’un prestige international supérieur au maigre background de Mme Pécresse, bénéficie des mêmes attentions et soit reçu à l’Elysée. Ce serait  un tsunami médiatique qu’à cette occasion, ce ministre ait l’audace de proclamer que c’est, pour la France, une grave erreur que de céder aux revendications des syndicats qui contestent son plan social de l’éducation…

Ce serait une faute impardonnable qu’un ambassadeur du Sénégal à Paris, à l’image de son homologue français, s’exprime publiquement sur une chaine française de grande audience pour dire que, quelle que soit la mansuétude de la justice à son égard, Sarkozy ne peut pas échapper tout à la fois aux affaires Bygmalion, Tapie, Karachi et à celles des comptes de sa campagne 2012 et du financement libyen !

Il en est toujours ainsi dans nos pays : si nous sommes timorés et respectueux à l’endroit des élites politiques du Nord, celles-ci n’éprouvent aucune gêne à nous réprimander, voire injurier, ou, quand elles sont bienveillantes, à nous administrer des leçons. Pour elles, nous sommes pauvres, donc nous sommes ignorants et immatures.

A Dakar, dans l’enceinte même de l’Université, le président Sarkozy avait affirmé que l’Afrique n’avait pas d’histoire, et que son avenir est dans la soumission au modèle européen. Il ne s’est pas trouvé un professeur, un étudiant, un politique pour – pour le moins – quitter la salle !

A Dakar, au cours d’une courte escale sous très haute surveillance, le président Obama avait invité nos gouvernants à ignorer la volonté de leurs populations, à ne pas s’embarrasser de leurs traditions et à leur imposer les mêmes formes de culture et les mêmes règles permissives qui ont cours dans son pays.

A Dakar encore, ou tout près, le président Hollande a sermonné les chefs d’Etats africains et les a sommés de ne pas solliciter un nouveau mandat. Qu’il ait tort ou raison, là n’est pas le problème, mais pourquoi ne tient-il pas un langage aussi ferme et menaçant à l’endroit des autorités chinoises, saoudiennes ou israéliennes ?

Pourtant, Obama tout comme Hollande sont à la tête d’Etats démocratiques qui ont bâti leur réputation sur le respect de la volonté de leurs concitoyens et de l’indépendance nationale, ainsi que sur le refus de toute immixtion étrangère dans les affaires de leurs pays respectifs !

Imaginez le courroux de l’opinion française si le président du Mali s’était invité aux obsèques du doux et jeune Bouna Traoré, électrocuté à Clichy-sous-Bois, il y a dix ans, à l’issue d’une course poursuite avec des policiers (pour lesquels le Parquet a toujours requis un non lieu), s’il avait fait ouvrir par son propre parquet une enquête pour homicide, comme le fait la France chaque fois qu’un de ses ressortissants est tué à l’étranger !

Imaginez les protestations qui se seraient élevées de partout en France, si après l’assassinat d’un soldat et d’un policier d’origine maghrébine par des terroristes qui invoquent l’Islam pour perpétrer des crimes – car, on l’oublie souvent, Merah et les Kouachi n’ont pas tué que des Juifs ! –, si après ces tragédies, le président algérien avait invité les Français de souche arabe à venir s’installer au pays de leurs ancêtres, à quitter le pays où ils sont nés et qui les a formés, au motif qu’ils n’y seraient ni en sécurité ni considérés !

Netanyahou a commis ces deux actes et pourtant rien ne s’est passé !

Peut-on imaginer qu’un jour, à notre tour, nous prenions le risque de faire la leçon au Nord, avec, je l’espère, plus d’indulgence, moins d’arrogance ?

Peut-on imaginer qu’un jour, un président d’Afrique Noire francophone, après avoir exigé, par mesure de réciprocité, d’être reçu à Roissy par son homologue français entouré de tous les corps constitués, après avoir descendu les Champs Elysées sous les vivats de badauds endimanchés  tenant le drapeau de son pays et scandant son nom, livre à ses hôtes, sur le perron de l’Elysée, et devant une forêt de caméras, le message suivant [1] :

« Nos relations sont vieilles de plusieurs siècles, mais reconnaissons-le, elles n’ont pas été toujours marquées par le signe de l’amitié, mais par celui de la violence. La colonisation était une violence et une civilisation qui la justifie est une civilisation moralement atteinte.

Aujourd’hui nous avons tourné cette page, nous sommes partenaires et même alliés pour défendre votre langue et votre culture.

Mais nous pouvons être amis et rester différents.

Cessez donc de prendre un endroit de la terre pour la terre entière, débarrassez vous de votre traditionnelle prétention à croire que vos constructions idéologiques sont des vérités universelles, reconnues, parce que, vous étant utiles, elles sont par conséquent unanimement admises parmi vous. Acceptez qu’aucune civilisation ne détient l’apanage des ténèbres ou de l’auguste éclat, qu’aucun peuple n’a le monopole de la beauté, de la science du progrès et de l’intelligence.

Reconnaissez que dans les dérives d’une partie de votre jeunesse, il y a aussi votre œuvre car cette jeunesse est d’ici, elle s’est nourrie des frustrations nées d’une fraternité mal partagée. Reconnaissez les erreurs commises dans l’usage de votre force, que l’on n’exporte pas la démocratie par la guerre, et que comme le disait un des vôtres il y a plus de cent cinquante ans, le droit fondé sur la violence est condamné à la violence pour se maintenir.

Cessez donc de parler de guerre des civilisations, de faire de l’immigration et de l’islam la grille de lecture unique de vos problèmes, de vous prêter au jeu de ceux qui n’ont comme solution que de remplacer l’antisémitisme par l’islamophobie et de suivre les conseils d’hommes dont l’ego a tué l’intelligence…
Je vous le dis parce que bien souvent vous avez cru devoir nous dire la vérité, souffrez donc de l’entendre à votre tour ! ».

Ce jour là, nous pourrons dire que nous sommes une nation indépendante…

Mais il ne faut pas rêver : au train où vont les choses et tant que nous tendrons la main, il en sera demain comme il en est aujourd’hui !



[1] Le passage qui suit a été construit, notamment, avec des citations empruntées à Victor Schœlcher (homme politique 1804-1893),  Rosa Amelia Plumelle-Uribe (avocate péruvienne), Edwy Plenel (journaliste), Pascal Boniface (géo politologue), Serge Letchimy (député de la Martinique).

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