Je suis historien et géographe de formation. J'ai été enseignant-formateur à l’Ecole Normale Supérieure (ENS) de Dakar, puis en charge de différentes structures et directions administratives. A la retraite depuis plusieurs années, je profite de ma liberté recouvrée pour assouvir une vieille passion : écrire. Ces dernières années, j’ai publié deux romans («Mon villages au temps des blancs » en 2000 et «La Raparille» en 2010) ainsi que trois essais (« A mes chers parents gaulois » en 2007 ; "Wade Mecum ou le wadisme en 15 mots" en 2010; "Le temps des choses jamais vues : chronique des années Wade-Sarkozy", 2013). Je publie régulièrement des chroniques dans divers journaux sénégalais (en particulier « Nouvel Horizon » et "Sud Quotidien").

lundi 23 mars 2015

LE FRANÇAIS EN PARTAGE… ET LE RESTE ?

NB : Texte publié dans « Sud Quotidien » du 20 mars 2015.

La France célèbre depuis le 16 mars une semaine de la langue française, presque seule, en tout cas sans la participation de notre pays où sa langue est enseignée à l’école depuis Jean Dard, il y a exactement deux siècles. La thématique choisie pour cette année est « le français langue hospitalière », et cela a suffi pour faire sortir de leurs gonds tous ceux qui s’offusquent que la France soit devenue une « auberge espagnole ». Des voix s’élèvent donc pour affirmer qu’il en est de sa langue comme il en est de son territoire : tous deux doivent rester fermés aux étrangers et rester fidèles à l’héritage gréco-latin et judéo-chrétien. Halte aux « mots immigrés », aux métaplasmes, et aux mélanges occasionnels. La France ne peut parler que d’une seule voix et cette voix parle français ! A quelques jours d’une élection qui, annonce-t-on, marquera le triomphe de l’extrême droite, elle ne doit pas se laisser noyer dans « une globalisation mutilante », sa langue n’est pas que de bric et de broc, et si elle la fête, elle doit le faire avec ses mots à elle. Bref, elle n’est pas partageuse, la France !

Pourtant,  c’est aujourd’hui sa langue qui constitue le plus beau titre de gloire de la France, et depuis quarante ans, toutes les institutions francophones portent en bandoulière le généreux slogan du « français en partage ».

Pourtant le français est « langue officielle » dans près de vingt pays d’Afrique, et les élites africaines qui le maîtrisent sont plus respectueuses de ses règles et de son génie que ne l’est une partie de l’élite française. Aucun chef d’Etat africain ne se permettrait de le galvauder dans les médias,  d’user, en public ou au cours d’une conférence de presse, d’une langue faussement populiste du genre « Casse-toi pauvre con ! ».

Pourtant si, avec quelques 200 millions d’usagers, la langue française figure aujourd’hui parmi les dix langues les plus parlées dans le monde et parmi les quatre langues internationales les plus reconnues, elle le doit, non aux Français « de souche », mais à ceux qui la parlent hors de l’Hexagone et même hors d’Europe.

Pourtant, c’est grâce à la croissance démographique en Afrique et à la progression de l’apprentissage du français sur le continent noir, que la langue de Molière continue à se répandre, au point d’espérer compter 700 millions de locuteurs au milieu de ce siècle, qui seront des Africains pour 90% ! Dans quarante ans, les trois ou quatre plus grands pays francophones, en terme de population, pourraient être africains…

Dès lors, les Africains accepteront-ils que la France leur ferme toutes ses portes, y compris celle du devenir de la  langue qu’ils partagent avec elle ?  

Accepteront-ils ce que n’ont accepté ni les Brésiliens ni les Américains, qui  se sont émancipés de leurs langues d’origine et s’expriment aujourd’hui en « brésilien », et non en portugais, en «  américain » et non en anglais ? Sauront-ils garder l’ardeur des Québecquois qui sont le fer de lance de la lutte contre l’anglomanie et dont souvent, en France, on ne remarque que « l’accent » ? Demain il y aura, peut-être, un français d’Afrique qui se passera du français de France.

Faut-il  donc se battre pour des mots ?

Oui, puisqu’il a suffi de quelques mots, de dix mots, dont on jurerait pour certains, qu’ils sont nés dans les « prairies normandes » (qui savait que « amalgame » est d’origine arabe ?), pour réveiller de vieux démons et  ulcérer tous ceux qui pensent que toute liberté accordée à la langue de Queneau est une reddition face au parti de l’étranger.

Oui, parce qu’accueillir dans une langue des éléments nouveaux peut « instruire de bien des phénomènes de la vie sociale ». Il est significatif qu’un terme japonais, connu de quelques gourmets parisiens, ait plus de chance d’entrer dans un dictionnaire français que ceux dont usent quotidiennement des millions d’Ivoiriens ou de Congolais quand ils s’expriment en français ! Les Africains acceptent de recevoir, mais ils voudraient aussi pouvoir donner, et c’est de ce qu’ils donnent, non de ce qu’on leur offre, qu’ils sont le plus fiers.

Mais la bataille qu’ils se préparent à livrer, eux qui seront bientôt les principaux usagers de la langue française (à moins qu’ils ne soient gagnés par le syndrome rwandais !), dépasse une querelle de mots. Elle consiste, non à solliciter des faveurs, mais à revendiquer des droits, car parler la même langue, comme le rappelait Abdou Diouf, alors Secrétaire Général de l’OIF, c’est aussi « parler le même langage, celui des principes et des valeurs ». Si, en ne restant que dans le domaine qui nous occupe, l’Académie Française, seule et jalouse gardienne « de l’état-civil de la langue française », est au service de la langue française et non de celui  exclusif de la France, alors les Africains, d’Afrique et de la Diaspora, y ont leur place, et aujourd’hui, il n’y a aucun Africain parmi les 39 Immortels. Il y eut jadis  L.S.Senghor, mais le vrai défi aurait été alors d’y faire entrer Aimé Césaire  ou René Depestre. Elle va accueillir un afro-américain, Dany Laferrière, mais pourquoi ne ferait-elle pas place à Patrick Chamoiseau, Raphael Confiant ou Souleymane Bachir Diagne ? Face à un autre impétrant, Alain Finkielkraut, qui disait rougir de honte devant les « ricanements de l’Europe » face à l’équipe de France de football « black-black-black », ils ne seront pas trop nombreux, les Africains de naissance ou d’origine, contre les adeptes de la politique de la tension permanente, ceux qui opposent l’identité à l’égalité, les indigènes et les allogènes, et qui se servent d’une langue qui n’était pas souvent celle de leurs parents pour bâtir leurs théories.. .

La vraie question est celle-ci : où est l’intérêt, pour nous Africains, d’apprendre, de parler et, surtout, de défendre le français, si la France, après avoir entrebâillé les portes de son territoire, de ses universités et centres de recherches, nous ferme les portes de l’espace immatériel de sa langue ?

2 commentaires:

François Dublaron a dit…

Bonjour M. Fadel Dia,
Votre article que je découvre aujourd'hui (repris par Courrier International) retient mon attention. En effet j'y découvre une expression qui me surprend... et m'émerveille : "..nés dans les 'prairies normandes' ".
Si je suis président du "Réseau Normand", c'est plutôt tout simplement comme Normand et Français que je réagis.
Tout d'abord vous souvenez-vous sans aucun doute que M. Léopold Sédar Senghor a vécu ses dernières années à Verson en Normandie. Un monument l'y célèbre. Mais plus encore, M. Senghor a rédigé un article sur la "normanditude", comme une écho à son écrit sur la "négritude".
C'est donc comme un hommage à nos liens et à la forte imprégnation de l'image de la Normandie que je vois dans vos lignes... Du moins je l'espère car cette référence que vous faêtes vient juste après ces lignes: "quelques mots [méprisants], dont on jurerait qu'ils sont nés...".
La Normandie a tant marqué la culture française (et anglaise) que sa langue a très tôt -dès le haut moyen-âge- rejoint ou formé le Français. Et sa langue vernaculaire, son patois, survit comme il peut. Mais dans les 2 cas comment rapprocher l'adjectif "méprisant" de nos paysages apaisants ? Comment par un voisinage jouxtant la référence à notre pays normand à l'expression dévalorisante pouvez-vous permettre un "amalgame" (je reprends votre source) et risquer de jeter l'opprobre sur notre communauté?
Pour le fonds de votre article, comment ne pas vous rejoindre? Le contact des cultures est enrichissant, votre référence au Québec est juste.
Je ressens cela comme un... Normand : la vérité n'est pas que d'un seul côté (p'têt ben qu'oui, p'têt ben qu'non). L'ouverture à vos usage africains sera un avantage, une ouverture. Tout comme les mots japonais qui correspondent à de nouvelles habitudes de consommation. Nous -Français- avons par contre du mal à maîtriser les nouveaux mots qui ne sont que des effets de mode, sans signification culturelle profonde, ou une dilution de la richesse du vocabulaire et des nuances de la conjugaison...
Cependant Je vous remercie encore de votre référence normande.
Par ailleurs il existe une communauté normande à Dakar.
Bien cordialement
François Dublaron


Unknown a dit…

bonjour F.Dublaron,
Je voudrais vous remercier de l'intérêt que vous avez prêté à mon article consacré au "partage " du français.Je crains néanmoins qu'il y ait une méprise car,évidemment,je n'avais nulle intention de tourner en dérision votre chère province.Je connais les liens particuliers qu'elle entretient avec mon pays ,grâce notamment à Senghor.J'ai commencé ma carrière dans la ville de Thiès,jumelée à Caen et j'ai eu l'occasion de fréquenter "le clos normand" qui à Dakar accueillait les ressortissants de votre province.En réalité j'ai simplement repris des termes employés par Marine Le Pen qui opposait les "bons" et les" mauvais",selon leur origine,pour dire qu'il y a des mots que l'on croit d'origine française alors que ce sont des mots "immigrés".J'espère vous avoir rassuré.
Cordialement