NB : Texte publié dans « Sud Quotidien » du 10 février
2015.
Boko Haram, DASH : la barbarie, comme la raison, est de tous les
climats, et en voici quelques exemples.
Commençons par les Caraïbes.
Rochambeau avait fait venir de Cuba 600 chiens, des dogues « mangeurs
de nègres » et, dès leur arrivée, une séance de démonstration publique fut
organisée dans la cour d’un couvent de religieux où avait été dressé un amphithéâtre.
Le nègre choisi pour l’expérience fut attaché à un poteau et le monde accourut
au spectacle. « Les chiens, stimulés par une faim dévorante, ne sont
pas plus tôt lâchés qu’ils mettent en lambeaux le malheureux nègre »…
L’expérience se révélant donc concluante, Rochambeau envoya aussitôt un premier
contingent de 150 chiens au commandant de La Tortue avec cet
ordre : « Vous devez leur donner des nègres à manger ! ».
Un petit tour sur le continent ?
Pour frapper les esprits et rendre efficace la terreur, les Espagnols
faisaient rôtir des Indiens, choisis parmi les plus nobles de leur
communauté. « Avec des piliers en bois, on improvisait des grilles
sur lesquelles les personnes sont attachées. En dehors, on allume le feu,
doucement pour que les victimes soient rôties lentement ». Si leurs cris
étaient trop forts on pouvait les
étouffer avec des morceaux de bois enfoncés dans la bouche…
Retour dans les Caraïbes.
Arrivés au village de Caonao, à Cuba, les Espagnols eurent soudain l’idée
de vérifier si leurs épées, qu’ils avaient aiguisées sur des pierres meulières
au passage d’une rivière, « étaient aussi tranchantes qu’elles
paraissaient ». L’un d’eux, puis deux et bientôt cent, tirèrent leurs épées
et entreprirent d’éventrer les Caribéens, hommes, femmes, enfants et
vieillards qui s’étaient rassemblés pour observer leurs chevaux avec
curiosité. « Ils fendaient un homme entier par le milieu d’une seule
taillade » et, en un rien de temps, il ne restait plus un seul survivant
et « le sang ruisselait comme si l’on avait tué un troupeau de
vaches ! ».
Une incursion en Afrique ?
Léon Rom était chef de station dans le Kasaï, province du Congo, propriété
personnelle du roi des Belges. Après une expédition destinée à capturer les rebelles,
il fit décapiter une vingtaine de femmes et d’hommes pour se servir des têtes
comme décoration autour d’un parterre de fleurs devant sa maison…
Un dernier pour la route !
Arrêté par traitrise, comme l’avait été avant lui Toussaint-Louverture dont
il était l’un des lieutenants, le Général Maurepas fut attaché au mât d’un
navire, on lui fixa ses épaulettes de général par des clous et sa femme et ses
enfants furent noyés sous ses yeux, tandis qu’il agonisait lentement…
Ces actes de violence gratuite et bestiale, qui ne sont qu’un petit
échantillon de ceux qui ont été commis en Amérique Latine et dans les Caraïbes,
rapportés par des témoins oculaires – dont Las Casas, aumônier des troupes
espagnoles – ou attestés par des documents historiques[1],
suffiront-ils pour faire accepter que la barbarie n’est pas une constituante
génétique du Sud ou de l’Orient, qu’elle n’est pas le monopole des
« sauvages » ou la marque exclusive de ceux que l’on appelle
« islamistes », qu’ils soient de Boko Haram ou de DASH ?
« Trop facile, me dira-t-on ! Vous n’avez cité que des actes
commis par des soudards mal dégrossis ou des planteurs tarés ! ».
Eh bien non ! Le Rochambeau cité ici s’appelle Donatien Marie Joseph
de Vimeur, vicomte de Rochambeau. Son père est un héros de la guerre d’indépendance
américaine, il était à ses côtés, comme aide de camp, à la victoire du corps
expéditionnaire français, à York. Mais s’il a combattu pour la liberté aux
Etats-Unis, dans la colonie française de Saint-Domingue, il pratique la terreur
et combat la liberté, y compris par extermination. Les chiens dont il s’était
servi trahiront son plan, puisqu’ils s’attaqueront aussi bien aux noirs qu’aux
blancs, aux Français comme aux rebelles !
Léon Rom est mort de sa belle mort, dans son bureau de la compagnie du Kasaï, en Belgique. Personne
dans son pays n’avait été choqué par ses pratiques somme toutes conformes à la
nature des rapports instaurés entre ce pays « civilisé » et les
populations « inférieures » du
Congo…
Quant à ceux qui noyaient les petits Maurepas, ils ne faisaient qu’obéir aux
ordres de Bonaparte, Premier Consul, qui jugeait que ces enfants constituaient
une bombe à retardement et qu’il fallait les éliminer par mesure de
précaution !
« D’accord ! concède-t-on. Mais tout cela c’est du passé, il
s’agit d’une époque révolue ! ».
Alors voici une histoire tout aussi macabre, mais bien plus récente, puisqu’elle
se situe au printemps 1938, en Allemagne, et rappelle étrangement la tragédie
vécue par le pilote jordanien tué récemment par DASH. « Le Commandant Koch enferma un Bohémien, qui avait tenté de fuir,
dans une caisse dont l’ouverture était garnie de fils de fer. Puis il fit
enfoncer de longs clous dans les planches qui à chaque mouvement du captif,
entraient dans sa chair. ». Au 3e jour, le Bohémien fut extrait
de la caisse et achevé au poison…
C’est encore loin ?
Alors parlons de la prison d’Abu Ghraib, en Irak, où, entre 2003 et 2004,
l’armée américaine se livra à des sévices physiques et psychologiques sur des
prisonniers de guerre : injures et humiliations, tortures en tous genres,
y compris par estrapade, viols et sodomie, y compris à l’aide de fils barbelés,
de bâtons, de tubes phosphorescents… Les soldats américains urinaient sur les détenus,
les saupoudraient d’acides, achevaient certains en se servant de serpents venimeux…
Parlons de la base américaine de Guantanamo, sur l’île de Cuba, qui, à
partir de 2002, reçut jusqu’à 750 détenus, souvent sans inculpation ni jugement.
Ici aussi, des soldats portant l’uniforme des Etats-Unis, des agents du FBI et
de la CIA hissèrent les méthodes de torture à un niveau rarement atteint. Parmi
les pratiques courantes : coups et viols, pendaison par les mains, torture
à l’alimentation par sonde naso-gastrique, injection de produits inconnus, et
toujours humiliations et injures… Les prisonniers étaient enfermés dans des
cachots glacés, soumis à un bruit infernal, obligés de boire de l’eau salée,
etc. Cela s’est passé sous nos yeux, a été attesté par des témoins fiables,
mais ni la condamnation de la Cour Suprême des Etats-Unis, ni les protestations
des organisations humanitaires n’avaient réussi à mettre fin à ces exactions…
Toutes ces sordides histoires qui s’étalent sur des siècles révèlent que la
barbarie a une longue existence et qu’elle a la vie dure. La différence entre
les exactions dont étaient victimes les Noirs et les Indiens d‘Amérique et des
Caraïbes et celles d’aujourd’hui, dont l’une des cibles est constituée par les
Européens et les Américains blancs, c’est que les premières s’étaient faites
dans l’indifférence générale des peuples qui se font de nos jours les chantres
de la liberté et au sein desquels, au moins jusqu’en 1945, aucune voix ne
s’était élevée pour condamner l’extermination des Noirs et des Indiens qui
était même, quelquefois, justifiée. Mais le vrai paradoxe c’est que seules les
dernières portent le nom de barbarie, car « la définition et la qualification
des faits ainsi que leur dimension historique sont affaire de pouvoir » (Rosa
Amelia Plumelle-Uribe, op. cit.). C’est
en vertu de cette loi que l’on ne parle de « sauvages et de
barbares » que pour stigmatiser les criminels de Fotofol, de Kobané, d’Irak
ou du Yémen, et que l’on use de termes bien moins forts pour les tortionnaires
du Nord coupables de « dérives et d’excès de zèle ». Assad fils est
responsable de « crimes », Bush fils n’a commis que des
« erreurs » !
[1] Voir Rosa Amelia Plumelle–Uribe, La
férocité blanche. Des Non-Blancs aux Non-Aryens .Génocides occultés de 1492 à
nos jours, Albin Michel, Paris, 2001.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire