Je suis historien et géographe de formation. J'ai été enseignant-formateur à l’Ecole Normale Supérieure (ENS) de Dakar, puis en charge de différentes structures et directions administratives. A la retraite depuis plusieurs années, je profite de ma liberté recouvrée pour assouvir une vieille passion : écrire. Ces dernières années, j’ai publié deux romans («Mon villages au temps des blancs » en 2000 et «La Raparille» en 2010) ainsi que trois essais (« A mes chers parents gaulois » en 2007 ; "Wade Mecum ou le wadisme en 15 mots" en 2010; "Le temps des choses jamais vues : chronique des années Wade-Sarkozy", 2013). Je publie régulièrement des chroniques dans divers journaux sénégalais (en particulier « Nouvel Horizon » et "Sud Quotidien").

dimanche 25 janvier 2015

IL N'Y A PLUS DE CHARLIE-HEBDO...

NB : Texte publié dans "Sud Quotidien" du 24 janvier 2015

Si Charlie-Hebdo n’est pas mort, il est défiguré !

Un journal adulé, presque vénéré, est paru sous le même titre, mais il est bien loin de celui qui, avant le 7 janvier, avait pour devise « l’indépendance à tout prix ! » et se vantait de ne rien devoir à personne, d’être libre, et indifférent aux honneurs.

De 30.000 à 7.000.000 d’exemplaires !

Si Charlie est défiguré, ce n’est pas, principalement, la conséquence de la disparition tragique de ses fondateurs, de ses plus grandes plumes, de ses caricaturistes les plus imaginatifs. Même si les « survivants » paraissent plus sensibles à l’appel des médias que ne l’étaient les fondateurs et qu’ils ont tendance à accréditer l’idée que la crudité des mots, pour ne pas dire la grossièreté, sont les seuls vrais labels de leur journal, y compris dans les moments les plus émouvants…
Si Charlie est défiguré, c’est qu’il n’y a rien de commun entre le journal besogneux, souvent à court d’argent mais jamais à court d’imagination, porté par l’engagement de ses animateurs, et l’hebdomadaire « milliardaire », gavé d’argent et de soutiens, y compris ceux venant de ceux qu’il décriait. Il y a quelques semaines, l’ancien Charlie était sur le point de disparaitre pour une dette de 100.000 euros, le nouveau va pouvoir disposer d’un matelas de plus de 20 millions d’euros, en dons et recettes, après avoir réussi le joli coup de diminuer le nombre de ses pages sans baisser son prix ! Il pourrait même se payer le luxe d’aller au secours de ses anciens protecteurs.

Si Charlie  est défiguré, c’est qu’il n’y a rien de commun entre les 30.000 à 60.000 exemplaires qui n’étaient écoulés que grâce au militantisme de lecteurs aficionados qui le lisaient par choix personnel, et les millions d’exemplaires que s’arrachent des files d’acheteurs sur commande qui, dès potron-minet, font la queue devant les kiosques, comme on le faisait naguère devant les vespasiennes. Il n’y a rien de commun entre les lecteurs du vieux Charlie, unis par un même idéal, et ceux d’aujourd’hui dont les motivations sont disparates et qui brandissent le journal comme un trophée de guerre. Jusqu’où d’ailleurs montera le tirage de ce journal ? Un million, trois, cinq, et plutôt sept millions d’exemplaires : c’est un tirage biblique ! Le journal est devenu un objet de consommation courante, une sorte d’Almanach Vermot dont chaque famille française devrait posséder un exemplaire et il faudrait désormais le faire rembourser par la sécurité sociale. N’oublions pas aussi ceux qui spéculent sur le titre, ceux qui se sont enrichis sur ses dépouilles ou sur sa légende en reprenant ses dessins, ceux qui se font de la publicité en se déchirant sur des mémoires. Bref, ce journal est devenu pour beaucoup une bonne affaire !   

Avant, on lisait Charlie par plaisir, par révolte, depuis son dernier numéro on le lit par devoir civique, par patriotisme, par snobisme quelquefois, ou pour pouvoir, sans risque, exprimer une haine longtemps retenue. L’ancien Charlie faisait des caricatures de « Mahomet » par esprit de dérision, (et à l’occasion renflouer ses caisses !), le nouveau est quasiment condamné à faire des caricatures de « Mahomet » pour conserver ses nouveaux groupies, et il lui faudra plus de 15 jours pour renouveler son inspiration !

« Ceci n’est pas mon Prophète ! »

Qu’il le veuille ou non, le journal libertaire, ennemi des corps constitués et des bien pensants, est devenu l’instrument des politiciens qui le portent en bandoulière, une banque nationale d’émotions, une fondation universelle. Il est sur les façades des édifices publics, il est en fait devenu l’officiel de la caricature. C’est peut-être parce qu’il est devenu une institution française qu’à Zinder, au Niger, on a brulé des bâtiments et des symboles de la France.

Le vieux Charlie ne faisait pas de publicité ? Le nouveau est subventionné par l’Etat et d’autres sponsors plus ou moins vertueux, la publicité, on la fait pour lui et à sa place, et même si ces soutiens sont sans contrepartie, il n’a plus que le choix entre l’ingratitude et la soumission.

Charlie fait désormais l’unanimité en France, c’est son boulet, car ce n’est jamais un bon signe pour un journal ! Le destin de l’unanimisme en politique, c’est de se fissurer au contact des réalités, sitôt passé le temps de l’émotion.

Les irréductibles de « Je suis Charlie » ont donc d’ores et déjà perdu le soutien de ceux qui pensaient que le slogan exprimait, en priorité, la fraternité des hommes, le droit à l’expression pour tous, mais dans le respect des uns pour les autres, la condamnation de la violence, de tous les racismes et de toutes les intolérances. C’était sur ces bases que beaucoup, et notamment les représentants de pays d’Afrique ou d’Asie, avaient pris place au sein de la « Marche pour la République », et le paradoxe aujourd’hui, c’est que ceux qui clamaient leur esprit de tolérance en scandant « Je suis Charlie » deviennent intolérants à l’endroit de ceux qui crient « Je NE suis pas Charlie » !

Plus significatif, le Charlie des survivants n’a pas été suivi par ceux dont l’opinion compte le plus à ses yeux, puisqu’à New York, comme à Londres et même à Copenhague, les médias, écrits et audiovisuels, se sont abstenus de reprendre ou de relayer ses caricatures et mis quelquefois en doute le sens de responsabilité de ses dirigeants. La tolérance, y rappelle-t-on, ce n’est pas tout laisser faire. Peut-être les Français réaliseront-ils que la laïcité à la française n’est pas universelle, qu’à force de radicalité, elle est devenue une sorte de religion, et que le tout repressif, les initiatives et mots malheureux de politiciens et journalistes en quête d’audience, ne suffiront pas à calmer le désarroi des cités.

Charlie a perdu des amis sans gagner les réticents, car la poursuite des caricatures n’a fait qu’amplifier la colère de ceux qui lui reprochent de s’en prendre indistinctement aux musulmans, et même d’une certaine manière, de s’en prendre plus à ceux qui sont fidèles à la doctrine islamique et la vivent au quotidien qu’à ceux qui l’invoquent mais la bafouent. Ce n’est pas tant d’ailleurs la caricature qui blesse les premiers puisqu’après tout, le « Mahomet » représenté par Charlie leur paraît peu vraisemblable, peu conforme à l’image qu’ils se font de Muhammad, et qu’ils auraient pu se contenter de dire : « Ceci n’est pas notre Prophète ! ». Car, faut-il le répéter, l’humour n’étant pas le monopole de l’Occident, ce qui les choque en vérité ce n’est pas la caricature, mais l’ignorance et le mépris qu’elle véhicule souvent.


C’est non le plaisir de faire rire mais l’envie de blesser… 

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