NB : Texte publié dans "Sud Quotidien" du 13 janvier 2015
Pour l’opinion internationale, au Nord
et même désormais au Sud, l’image de l’Islam ce sont les tours de New York
fendues par des avions fous, ce sont les hordes de Boko Haram qui détruisent
tout sur leur passage, prennent en otage ou massacrent des femmes et des enfants,
c’est la Somalie réduite à l’état de ruines, c’est Al Qaida, Dash, Aqmi, des
sigles qui évoquent la barbarie et les crimes organisés, ce sont des loups solitaires
qui sortent du néant et sèment la douleur et la haine…
On en oublie que les principales
victimes des exactions de ceux que l’on désigne, frauduleusement, sous le terme
d’islamistes sont leurs prétendus
coreligionnaires et que les bandes d’énergumènes qui avaient pris possession de
Tombouctou, au nom de l’Islam, y ont fait plus de dégâts que jamais ne
pourraient en faire des caricaturistes…
On en oublie que de toute l’Umma islamique,
aucune voix autorisée n’est venue apporter sa caution à cet intégrisme destructeur,
ni les ulémas de La Mecque ou du Caire, ni les monarchies dont les chefs
exercent des responsabilités religieuses, ni les responsables des pays à
majorité musulmane, ni, évidemment, l’OCI…
La particularité des « jihadistes » (encore un terme
impropre) français, c’est que presque tous ont été des jeunes gens blessés par
la vie, qu’ils avaient longtemps ignoré le sens de la voie islamique, et qu’ils
s’y sont souvent engagés moins par conviction profonde que par révolte contre
une société au sein de laquelle ils ne trouvaient pas leur place, et qu’enfin
leur pratique religieuse était souvent peu respectueuse du message de ce Mahomet qu’ils invoquent. Les hommes qui
ont sacrifié des vies humaines dans les locaux de Charlie Hebdo et Porte de
Vincennes et perdu leurs vies par la même occasion, sont en réalité non les
porte-parole mais les ennemis de l’Islam, qu’ils ont agréssé, dénaturé, usurpé,
reniant ces préceptes inscrits en toutes lettres dans le Coran : « toute vie est sacrée, tuer un innocent, c’est tuer toute l’humanité » !
Mais le deuil ne doit pas cacher les couacs.
Ainsi les média français, qui s’accordent à préciser que les otages tués Porte
de Vincennes sont de confession juive, s’abstiennent généralement de mentionner que deux des douze personnes
exécutées dans les bureaux de Charlie étaient de culture musulmane, ni que la
première victime de Coulibaly était une policière noire ! On observera par
ailleurs que les victimes juives ont eu droit, seules, à une cérémonie
funéraire en présence de l’aréopage de la République et, surtout d’un chef de gouvernement étranger, alors qu’on aurait réveillé les démons du communautarisme
et crié à l’apatride si une cérémonie similaire s’était déroulée dans une
mosquée en présence d’un président algérien ! Depuis quelques jours, une
cinquantaine d’actes anti musulmans ont été commis un peu partout en France et
c’est pourtant aux seuls juifs que le Premier Ministre est allé exprimer sa
compassion et la protection de l’Etat, les musulmans se contenteront d’un tweet ! Décidément les Français
musulmans restent des citoyens à part !
Mais ce qu’on a tué chez Charlie et
Porte de Vincennes dépasse l’existence de quelques individus, ce sont la liberté,
le droit à l’expression, les fondements mêmes d’une société respectueuse de la
nature humaine qui ont été agressés. C’est en ce sens que ces crimes
constituent une défaite pour tous les hommes. La réponse qui leur a été apportée,
cette marche dite de la République, représente historiquement la première illustration
concrète de cette composante, souvent oubliée, de la devise de la France :
la fraternité, dont l’expression laïque est la solidarité. Pour préserver ses acquis,
pour empêcher les politiques – et les médias – d’être les seuls à en tirer profit,
les Français devraient, entre autres questions,
se poser celle-ci : « avons-nous assez
fait pour la fraternité ? ».
Si le succès populaire était au
rendez-vous, on peut tout de même regretter que la marche ne se soit pas faite
sans provocations inutiles, sans slogans ni banderoles, sans drapeau ni hymne national,
ce qui aurait été, par ailleurs, plus conforme à l’esprit frondeur et irrévérencieux
de ceux qu’elle prétend honorer. Cela aurait permis d’éviter ce regard
accusateur que certains manifestants ont porté sur d’autres, en raison de leur
accoutrement ou de la couleur de leur peau. « Je suis Charlie », « Je suis
Juif (ou Musulman) et je suis
Charlie », « Je suis
Noir et je suis Charlie »,
« Je suis policier et je
suis Charlie » : c’est encore une manière de mettre en évidence les différences et les antagonismes.
On peut se battre pour que Charlie vive
et ne pas apprécier ses caricatures, on peut être contre Charlie et prendre
place dans ce rassemblement, et parmi les chefs d’Etats exposés à la tête du
cortège, plusieurs, et pas seulement des africains, ne respectent pas le droit
à l’expression dans leur propre pays ! Charlie en aurait ri certainement…
Mais qu’importe ! Ce défilé avait
pris des allures de mobilisation universelle de tous les hommes du monde contre
la haine, la violence gratuite, contre tous les extrémistes qui nous refusent
le droit de vivre, de penser et de nous exprimer librement. Il y avait eu bien
plus de morts à Madrid, et surtout à New York, mais il n’y a pas eu cet
unanimisme qui a manqué même à l’hommage consensuel rendu à Mandela, il n’y a
pas eu ce rassemblement de politiques et de citoyens, de chefs d’Etats
d’Afrique et d’Europe, de monarques arabes et de dirigeants de régimes parlementaires,
où défilent, pour la même cause, Mahmoud Abbas et Netanyahu ! Quelle
allure il aurait pris, quel sens il aurait revêtu si, à Paris et partout
dans le monde, des hommes et des femmes,
ignorant leur appartenance politique ou religieuse, leur couleur ou leur
situation sociale, mêlés et confondus, les mains nues, n’avaient eu qu’un seul
mot d’ordre : nous sommes la même humanité et cela suffit à nous
rassembler.
Et nous Sénégalais, sommes-nous concernés ? Oui
et à plus d’un titre. Oui, parce que l’Humanité est une et que notre destin est
lié à ceux de nos voisins et partenaires. Oui parce que nous ne sommes à l’abri
ni de la division ni du fanatisme. Oui parce que lorsque, comme c’est la
tendance au Sénégal, les gouvernants se dessaisissent progressivement du pouvoir que le peuple, leur
a confié, très provisoirement mais dans toutes ses composantes, au profit des religieux,
dont ce n’est pas la vocation ni l’intérêt, ils font le lit des frustrations et
des excès de zèle qui sont les ingrédients des violences bêtes et méchantes…
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