Je suis historien et géographe de formation. J'ai été enseignant-formateur à l’Ecole Normale Supérieure (ENS) de Dakar, puis en charge de différentes structures et directions administratives. A la retraite depuis plusieurs années, je profite de ma liberté recouvrée pour assouvir une vieille passion : écrire. Ces dernières années, j’ai publié deux romans («Mon villages au temps des blancs » en 2000 et «La Raparille» en 2010) ainsi que trois essais (« A mes chers parents gaulois » en 2007 ; "Wade Mecum ou le wadisme en 15 mots" en 2010; "Le temps des choses jamais vues : chronique des années Wade-Sarkozy", 2013). Je publie régulièrement des chroniques dans divers journaux sénégalais (en particulier « Nouvel Horizon » et "Sud Quotidien").

samedi 17 janvier 2015

L'ISLAM TRAHI...

NB : Texte publié dans "Sud Quotidien" du 13 janvier 2015


Pour l’opinion internationale, au Nord et même désormais au Sud, l’image de l’Islam ce sont les tours de New York fendues par des avions fous, ce sont les hordes de Boko Haram qui détruisent tout sur leur passage, prennent en otage ou massacrent des femmes et des enfants, c’est la Somalie réduite à l’état de ruines, c’est Al Qaida, Dash, Aqmi, des sigles qui évoquent la barbarie et les crimes organisés, ce sont des loups solitaires qui sortent du néant et sèment la douleur et la haine…

On en oublie que les principales victimes des exactions de ceux que l’on désigne, frauduleusement, sous le terme d’islamistes sont leurs prétendus coreligionnaires et que les bandes d’énergumènes qui avaient pris possession de Tombouctou, au nom de l’Islam, y ont fait plus de dégâts que jamais ne pourraient en faire des caricaturistes…

On en oublie que de toute l’Umma islamique, aucune voix autorisée n’est venue apporter sa caution à cet intégrisme destructeur, ni les ulémas de La Mecque ou du Caire, ni les monarchies dont les chefs exercent des responsabilités religieuses, ni les responsables des pays à majorité musulmane, ni, évidemment, l’OCI…

La particularité des « jihadistes » (encore un terme impropre) français, c’est que presque tous ont été des jeunes gens blessés par la vie, qu’ils avaient longtemps ignoré le sens de la voie islamique, et qu’ils s’y sont souvent engagés moins par conviction profonde que par révolte contre une société au sein de laquelle ils ne trouvaient pas leur place, et qu’enfin leur pratique religieuse était souvent peu respectueuse du message de ce Mahomet qu’ils invoquent. Les hommes qui ont sacrifié des vies humaines dans les locaux de Charlie Hebdo et Porte de Vincennes et perdu leurs vies par la même occasion, sont en réalité non les porte-parole mais les ennemis de l’Islam, qu’ils ont agréssé, dénaturé, usurpé, reniant ces préceptes inscrits en toutes lettres dans le Coran : « toute vie est sacrée, tuer un innocent, c’est tuer toute l’humanité » !

Mais le deuil ne doit pas cacher les couacs. Ainsi les média français, qui s’accordent à préciser que les otages tués Porte de Vincennes sont de confession juive, s’abstiennent généralement  de mentionner que deux des douze personnes exécutées dans les bureaux de Charlie étaient de culture musulmane, ni que la première victime de Coulibaly était une policière noire ! On observera par ailleurs que les victimes juives ont eu droit, seules, à une cérémonie funéraire en présence de l’aréopage de la République et, surtout d’un chef de gouvernement étranger, alors qu’on aurait réveillé les démons du communautarisme et crié à l’apatride si une cérémonie similaire s’était déroulée dans une mosquée en présence d’un président algérien ! Depuis quelques jours, une cinquantaine d’actes anti musulmans ont été commis un peu partout en France et c’est pourtant aux seuls juifs que le Premier Ministre est allé exprimer sa compassion et la protection de l’Etat, les musulmans se contenteront d’un tweet ! Décidément les Français musulmans restent des citoyens à part !

Mais ce qu’on a tué chez Charlie et Porte de Vincennes dépasse l’existence de quelques individus, ce sont la liberté, le droit à l’expression, les fondements mêmes d’une société respectueuse de la nature humaine qui ont été agressés. C’est en ce sens que ces crimes constituent une défaite pour tous les hommes. La réponse qui leur a été apportée, cette marche dite de la République, représente historiquement la première illustration concrète de cette composante, souvent oubliée, de la devise de la France : la fraternité, dont l’expression laïque est la solidarité. Pour préserver ses acquis, pour empêcher les politiques – et les médias – d’être les seuls à en tirer profit, les Français devraient, entre  autres questions, se poser celle-ci : « avons-nous assez fait pour la fraternité ? ».

Si le succès populaire était au rendez-vous, on peut tout de même regretter que la marche ne se soit pas faite sans provocations inutiles, sans slogans ni banderoles, sans drapeau ni hymne national, ce qui aurait été, par ailleurs, plus conforme à l’esprit frondeur et irrévérencieux de ceux qu’elle prétend honorer. Cela aurait permis d’éviter ce regard accusateur que certains manifestants ont porté sur d’autres, en raison de leur accoutrement ou de la couleur de leur peau. « Je suis Charlie », « Je suis Juif (ou Musulman) et je suis Charlie »,  « Je suis Noir et je suis Charlie », « Je suis policier et je suis Charlie » : c’est encore une manière de mettre  en évidence les différences et les antagonismes. On peut  se battre pour que Charlie vive et ne pas apprécier ses caricatures, on peut être contre Charlie et prendre place dans ce rassemblement, et parmi les chefs d’Etats exposés à la tête du cortège, plusieurs, et pas seulement des africains, ne respectent pas le droit à l’expression dans leur propre pays ! Charlie en aurait ri certainement…

Mais qu’importe ! Ce défilé avait pris des allures de mobilisation universelle de tous les hommes du monde contre la haine, la violence gratuite, contre tous les extrémistes qui nous refusent le droit de vivre, de penser et de nous exprimer librement. Il y avait eu bien plus de morts à Madrid, et surtout à New York, mais il n’y a pas eu cet unanimisme qui a manqué même à l’hommage consensuel rendu à Mandela, il n’y a pas eu ce rassemblement de politiques et de citoyens, de chefs d’Etats d’Afrique et d’Europe, de monarques arabes et de dirigeants de régimes parlementaires, où défilent, pour la même cause, Mahmoud Abbas et Netanyahu ! Quelle allure il aurait pris, quel sens il aurait revêtu si, à Paris et partout dans  le monde, des hommes et des femmes, ignorant leur appartenance politique ou religieuse, leur couleur ou leur situation sociale, mêlés et confondus, les mains nues, n’avaient eu qu’un seul mot d’ordre : nous sommes la même humanité  et cela suffit à nous rassembler.

Et nous Sénégalais, sommes-nous concernés ? Oui et à plus d’un titre. Oui, parce que l’Humanité est une et que notre destin est lié à ceux de nos voisins et partenaires. Oui parce que nous ne sommes à l’abri ni de la division ni du fanatisme. Oui parce que lorsque, comme c’est la tendance au Sénégal, les gouvernants se dessaisissent  progressivement du pouvoir que le peuple, leur a confié, très provisoirement mais dans toutes ses composantes, au profit des religieux, dont ce n’est pas la vocation ni l’intérêt, ils font le lit des frustrations et des excès de zèle qui sont les ingrédients des violences bêtes et méchantes… 

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