Je suis historien et géographe de formation. J'ai été enseignant-formateur à l’Ecole Normale Supérieure (ENS) de Dakar, puis en charge de différentes structures et directions administratives. A la retraite depuis plusieurs années, je profite de ma liberté recouvrée pour assouvir une vieille passion : écrire. Ces dernières années, j’ai publié deux romans («Mon villages au temps des blancs » en 2000 et «La Raparille» en 2010) ainsi que trois essais (« A mes chers parents gaulois » en 2007 ; "Wade Mecum ou le wadisme en 15 mots" en 2010; "Le temps des choses jamais vues : chronique des années Wade-Sarkozy", 2013). Je publie régulièrement des chroniques dans divers journaux sénégalais (en particulier « Nouvel Horizon » et "Sud Quotidien").

samedi 31 mars 2012

LES VANCUS DU 25 MARS

NB Texte publié dans "Sud Quotidien" du 27 mars 2012

C’est par leur nuque que l’on reconnait les vieillards. Ce 25 mars, la dernière image que l’on gardera de Wade, c’est celle de ce vieil homme distrait (il aurait oublié son bulletin de vote, qui porte sa photographie, dans l’isoloir !), sortant du centre de vote et qui, le dos tourné à la caméra, répondait sans conviction aux vivats de jeunes gens armés de gourdins. Tout était factice et représentation. Wade était un candidat sans légitimité. Le gourdin n’est pas un instrument de vote, et ceux qui le portent n’étaient pas des militants, mais des supplétifs envoyés par un allié encombrant. Et, surtout, ni eux ni celui qu’ils acclament ne croyaient vraiment à la victoire. Il était difficile, dans un pays où plus de la moitié de la population a moins de vingt ans, de vendre cette image catastrophique : la défaite de Wade était inévitable. Le président sortant a néanmoins réussi à sauver les meubles en félicitant son rival, très tôt, et en court-circuitant ceux qui, dans son entourage, seraient tentés par l’aventure. Il a sans doute préservé la paix sociale, mais il ne faut pas pour autant en faire un héros. D’abord ce n’est que du rendu pour du prêté : il a payé sa dette, Diouf avait fait la même chose, et c’était plus difficile en 2000 parce qu’il s’agissait alors de véritable alternance et que le geste était inédit. Ensuite, parce que la défaite du 25 mars est la suite de celle du 23 juin : si Wade avait réussi son coup, il n’aurait pas eu à féliciter Macky Sall, il aurait été élu au premier tour. Enfin parce qu’il n’avait pas d’autre choix pour sauver ce qui lui reste : sa réputation. N’oublions tout de même pas qu’il n’avait rien fait pour empêcher la violence qui a émaillé la campagne électorale, il n’a donc fait qu’arrêter les frais pour sauver sa sortie. Un beau geste n’autorise pas de passer en pertes et profits les martyrs du scrutin ou d’oublier les mots terribles prononcés par le Président de la République. Il y a longtemps qu’il ne nous avait habitués à tant de délicatesse et nous ne savons pas encore ce que nous coûtera son fair-play. C’est vrai que, d’une certaine manière, il a, partiellement, effacé le « wax waxeet », il avait promis qu’il « ne ferait pas moins que Diouf » et il a tenu promesse. Mais cela n’en fait pas un vainqueur : même si sa défaite était logique, elle est cuisante, elle est intime puisque, malgré un bruyant renfort de groupies, sa famille et lui ont été battus dans tous les bureaux de leur centre de vote.

Ceci dit, Abdoulaye Wade n’est pas le seul vaincu du 25 mars. D’autres ont subi ce même jour des revers tout aussi cuisants et encore plus difficiles à réparer, car eux n’ont pas à leur portée un beau geste pour susciter le pardon.

Au premier rang de ces vaincus, il y a les marchands du « ndigel » : ses vendeurs, ses transitaires, ses « cokseurs » et même ses acheteurs. Tous ceux qui nous disaient de ne pas nous servir de notre intelligence, qui voulaient nous imposer de renoncer à nos principes, de sacrifier nos intérêts et de suivre aveuglément leur mot d’ordre. Le 25 mars, les Sénégalais ont échappé à la « panurgisation », ils sont devenus des citoyens. Les guides religieux, ceux qui adaptent leur vie à leur foi, les avaient mis à l’aise en les laissant face à leur conscience. Ils les ont pris au mot et défié les autres. Il est aujourd’hui réconfortant de constater que Wade, dont toute la campagne du deuxième tour avait été honteusement axée sur la pêche au « ndigel », a subi le même revers sur l’ensemble du territoire. Son porte-parole avait dit qu’il ne parlerait qu’aux « kilifeus » et ignorerait le peuple. Il est bon pour l’avenir de la démocratie au Sénégal, que ceux qui avaient proclamé que ce sont eux qui font les rois aient été désavoués par ce même peuple.

Parmi les vaincus du 25 mars, il faut aussi ranger les politiciens fongibles, interchangeables, et tous ceux qui, en caressant toujours Wade dans le sens du poil, ont fini par se l’approprier et le séparer de ses premiers militants. Certains étaient senghoristes sous Senghor et anti-Senghor sous Diouf, d’autres qui étaient des dioufistes convaincus sont devenus des wadistes zélés. Certains qui disaient ne s’en remettre qu’à Diouf, sont devenus les plus virulents défenseurs de Wade. D’autres qui traitaient celui-ci de Fantômas, en ont fait une idole. Ce sont eux qui, contre toute évidence, pronostiquaient une victoire dès le premier tour, avant d’affirmer, avec la même assurance, qu’aucun militant ne respecterait le mot d’ordre des candidats éliminés à ce tour. Ils encerclaient le Président de la République, applaudissaient jusqu’à ses outrances, tiraient sur tous ses contempteurs. Ils étaient aux premières loges durant la campagne électorale, en contrôlaient les moyens et le discours, après avoir bouté du Palais les premiers compagnons.

Sont vaincus aussi les permanents des médias, rivés sur les plateaux des radios et des télévisions et qui ont réponse sur tout. Le Sénégal abonde de tous ces gens en « logues » qui en savent plus que tout le monde et prédisent l’avenir sans trembler. Il abonde de pseudo-journalistes et de sermonneurs qui sont les premiers à fouler aux pieds les règles qu’ils veulent imposer aux autres. Ce serait dérisoire s’ils ne lançaient pas constamment des anathèmes, ne fustigeaient pas ceux qui n’ont ni l’envie ni le temps de les affronter, et ne se livraient pas souvent à de véritables jeux de pyromane. Ils travaillent à découdre la cohésion nationale et à semer des mines. L’un d’entre eux, tient écran comme on tient une table, et déverse sa bile, toujours sur la même cible, quand ce n’est pas sur son propre frère. Un autre, qui nous assurait que Wade ne quitterait pas le Palais, a lancé une énormité que peu de gens ont relevée. L’élection de Macky Sall marquerait, à l’en croire, l’avènement d’un « régime toucouleur(sic) » et pourrait accroitre la tension entre le Sénégal et la Mauritanie ! Depuis quand, au Sénégal et dans le monde, un régime est-il défini par l’ethnie du chef de l’état ? Etions-nous sous « régime sérère » quand Senghor était au pouvoir et wolof sous Diouf ? Quel effet spécifique l’arrivée de Macky Sall au pouvoir peut avoir sur les relations sénégalo-mauritaniennes, si l’on sait qu’il n’y a jamais eu de querelles ethniques entre les deux pays, que le contentieux le plus délicat concerne essentiellement le partage des eaux maritimes, et que c’est Saint-Louis, et non le Fouta, qui en subit les méfaits ?

Enfin le 25 mars, c’est aussi la défaite des Cassandre du Nord, les « experts » de l’Afrique, qui, dans les ministères et les milieux culturels occidentaux, prédisent toujours la catastrophe en Afrique. Pour eux, le continent noir n’est lui-même que quand il dérape. Déjà, en 2000, ils avaient conseillé à leurs ressortissants de quitter le Sénégal avant le chaos, et en 2012, ils prévoyaient le pire. Ils seront déçus, mais au moins la présence des médias du Nord aura eu l’effet bénéfique de pousser le pouvoir en place à calmer son ardeur dans la répression et la fraude. C’est toujours ça !

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