Je suis historien et géographe de formation. J'ai été enseignant-formateur à l’Ecole Normale Supérieure (ENS) de Dakar, puis en charge de différentes structures et directions administratives. A la retraite depuis plusieurs années, je profite de ma liberté recouvrée pour assouvir une vieille passion : écrire. Ces dernières années, j’ai publié deux romans («Mon villages au temps des blancs » en 2000 et «La Raparille» en 2010) ainsi que trois essais (« A mes chers parents gaulois » en 2007 ; "Wade Mecum ou le wadisme en 15 mots" en 2010; "Le temps des choses jamais vues : chronique des années Wade-Sarkozy", 2013). Je publie régulièrement des chroniques dans divers journaux sénégalais (en particulier « Nouvel Horizon » et "Sud Quotidien").

lundi 12 mars 2012

LE "QUART D'HEURE DE CELEBRITE" DU SENEGAL...

NB Texte publié dans "Sud Quotidien" du 12 mars 2012

On peut être un vieux routier de la politique, avoir été un très turbulent opposant pendant près d’un quart de siècle, avoir exercé un pouvoir absolu pendant douze ans, et ignorer malgré tout une des lois essentielles de la géopolitique. Abdoulaye Wade – (et c’est sans doute de son âge !) – a oublié celle-ci : l’Occident, sa presse, son opinion publique, ses gouvernants, ne s’intéressent à nous, pays du Sud, que quand nous sommes en transes, quand nous sommes sous la menace de catastrophes naturelles ou de guerres intestines, quand nous inspirons la peur ou la pitié. En ces moments-là, ils braquent sur nous leurs objectifs, ils parachutent leur presse sur nos terres chaotiques, ils illustrent leurs journaux par des images qui reflètent notre désarroi ou notre dénuement. Mais, s’ils nous mettent en première page, ils n’ont que quelques secondes à nous consacrer, ils n’ont donc pas le temps d’aller au fond des choses, ils se contentent du spectaculaire, de l’écume des évènements, de préférence tragiques, qui remplissent notre quotidien, et des élections sénégalaises, ils ne retiendront donc que quelques images-chocs, mais elles seront planétaires.

Le président Wade a comblé leur attente et, par son entêtement et ses bourdes, il a médiatisé à outrance sa dernière tentative de briguer le pouvoir. L’élection présidentielle de 2012 est devenue de ce fait le « quart d’heure de célébrité mondiale » du Sénégal, selon l’expression popularisée par Andy Warhol, l’instant fugace au cours duquel le monde entier portera son regard sur notre pays. Wade a réveillé un regain d’intérêt sur la fragilité de nos institutions en violant l’esprit et la lettre d’une constitution que lui-même avait fait approuver par la quasi-totalité de ses concitoyens. Il a donné raison à ceux qui pensent que, décidément, la démocratie est incompatible avec la pauvreté.

L’Occident s’amuse à observer les contradictions d’un président qui s’est autoproclamé expert en constitution, qui se vantait d’être le seul chef d’Etat africain issu de l’université, qui dirige un pays considéré comme une exception politique dans sa région, et qui, néanmoins, n’hésite pas, par effraction constitutionnelle, à chercher à s’octroyer un mandat auquel il n’a pas droit, au nez et à la barbe de tous les experts nationaux. Cerise sur le gâteau : le président est un nonagénaire, coléreux, réputé pour ses écarts de langage, et son plus vigilent contempteur est un quarteron de jeunes rappeurs impertinents !

La confrontation entre ces deux camps vaut à elle seule le déplacement et peut faire espérer l’éclosion d’une « révolution du bissap » qui fait saliver les spécialistes des dictatures finissantes devenus les principaux usagers des vols sur Dakar.

Comme si cela ne suffisait pas, les médias « people » ont été émoustillés par l’annonce de la candidature à cette élection conflictuelle d’une vedette du show-business. Youssou Ndour est, pour son malheur, plus connu dans le monde que le Président de la République du Sénégal, il fréquente les grands du monde, il est dans le Who’s Who des personnes qui font l’évènement. Sa radiation, restée inexpliquée, de la liste des candidats n’a pas mis fin au branle-bas dans les rédactions des journaux et des télévisions, elle l’a au contraire transformé en martyr de la confusion des pouvoirs, et le moindre de ses gestes, ses mots et sa foulure font toujours le buzz et suscitent la curiosité de la « communauté internationale ».

L’élection présidentielle de 2012 est donc la plus médiatisée de notre histoire politique, et ceci ne peut que nuire au président sortant. Elle est devenue une épreuve de force, et ce n’est plus le bilan de Wade qui est en cause, l’enjeu c’est désormais de savoir comment il survivra à l’affrontement. Il est déjà fragilisé par le fait qu’il ne peut bénéficier de la « compréhension », voire la complicité de l’Occident, celle qui avait permis à Alpha Condé de remporter une victoire inespérée, et de toute façon, les contextes politiques et sociaux guinéen et sénégalais sont très différents, comme l’a démontré le scrutin du 26 février. Il est seul contre tous et n’a, à ce jour, reçu aucun soutien significatif. Il n’inspire pas confiance parce que les stratagèmes imaginés par ses chiens de garde reposent sur des postulats dont aucun ne tient la route. Il clame que l’opposition n’est pas propriétaire des voix qui se sont portées sur elle, mais oublie que cela est aussi valable pour celles qui ont voté FAL 2012, comme le prouve la première transhumance post-Wade : celle d’un ministre d’Etat et de l’ensemble des conseillers ruraux d’une communauté rurale qui, tous, ont basculé dans l’APR. Il croit se rassurer en affirmant pouvoir compter sur les deux millions d’électeurs qui se sont abstenus de voter, mais il n’y a aucune raison pour qu’ils soient majoritairement Wadistes. A priori ce serait plutôt le contraire, parce que ses électeurs ont le monopole de la violence, parce que les moyens consacrés à la campagne électorale par le président sortant, qui sont les moyens de l’Etat, sont sans commune mesure avec ceux de l’opposition. Enfin, hélas, sa botte secrète, les guides religieux, ont décidé de se laver les mains des combinaisons politiciennes et, comble de malheur, les citoyens s’émancipent des « marabouts » et les « ndigel » s’étiolent comme raisins au soleil.

Wade devrait donc savoir que tout est perdu, fors l’honneur, et que, quels que soient les résultats du second tour, le désaveu qu’au premier tour lui ont infligé les électeurs consacre la désaffection de son peuple. Si, comme le rapporte la presse, il a fait le serment de « ne pas partir tête baissée », alors l’honneur pour lui, aujourd’hui, c’est de partir comme il était venu, de préserver la paix, de museler les faucons qui autour de lui sont prêts à la sacrifier pour sauver leurs privilèges et, pour certains, leur liberté. C’est de refuser de cautionner le coup de force que préparent les politiciens « fongibles » de son entourage qui ne comptent plus que sur les voix de ceux qui votent avec des gourdins et des coupe-coupe.

Si demain les gros bras de FAL 2012 sèment la violence, si la corruption, l’achat des consciences et la manipulation restent ses seuls recours, l’opinion, nationale et internationale, témoignera, preuves à l’appui. Wade aura terni à jamais son image et, surtout, car c’est peut-être le plus important pour lui, son cher Karim aura perdu non seulement son titre de dauphin mais aussi son droit, légitime, de prétendre à un destin national au Sénégal.

Aucun commentaire: