Je suis historien et géographe de formation. J'ai été enseignant-formateur à l’Ecole Normale Supérieure (ENS) de Dakar, puis en charge de différentes structures et directions administratives. A la retraite depuis plusieurs années, je profite de ma liberté recouvrée pour assouvir une vieille passion : écrire. Ces dernières années, j’ai publié deux romans («Mon villages au temps des blancs » en 2000 et «La Raparille» en 2010) ainsi que trois essais (« A mes chers parents gaulois » en 2007 ; "Wade Mecum ou le wadisme en 15 mots" en 2010; "Le temps des choses jamais vues : chronique des années Wade-Sarkozy", 2013). Je publie régulièrement des chroniques dans divers journaux sénégalais (en particulier « Nouvel Horizon » et "Sud Quotidien").

samedi 31 mars 2012

SANCTION ETHNIQUE

NB Texte publié dans "Sud Quotidien" du 22 mars 2012


A Tivaouone-Peulh, le Président de la République a menacé et usé de chantage contre une composante de la nation. Si Matam et Podor votent contre lui, au second tour, il suspendra les programmes qui y sont en cours, rapatriera les projets qui y étaient prévus vers d’autres lieux, les mettra au pain sec en matière de développement. Bref, même si ces contrées participent du pays et payent les impôts, elles seront exclues de la solidarité nationale.

Me Wade se trompe d’abord de perchoir. S’il veut s’adresser aux populations qu’il incrimine, ce n’est pas à Tivaouone-Peulh qu’il devrait le faire, car malgré le vocable qui lui est accolé, cette localité n’est qu’une des protubérances nées autour de Dakar et le communautarisme n’y a pas sa place. A moins que le président ne considère que partout où il est, le pulaar est indécrottablement un agent au service exclusif d’une seule cause. C’était le reproche que l’on faisait autrefois aux Juifs. Me Wade est sans doute le seul, au Sénégal, à pouvoir débusquer dans une ville nouvelle de cette taille un bloc ethnique représentatif d’une ethnie et susceptible de lui servir à la fois de lobby et de messager vers sa région d’origine. Peut-être que demain, il menacera les populations du Sine depuis Cap Skiring, et celles de Casamance en s’adressant à des Diolas de Saly. S’il avait un tant soit peu de culture pulaar, je lui rappellerai l’objection que les Foutankés avaient opposée au futur Almamy Abdoul Kader lorsqu’il prétendait vouloir les gouverner à partir des confins du Boundou : « Danki Appe hiwataa gese Jongto ! ». Si Me Wade souhaitait être entendu des populations du Fouta, il aurait du leur parler depuis Thilogne ou Dialmath.

Le Président de la République se trompe aussi, doublement, de statistiques et il est inquiétant qu’il soit si mal informé par son pléthorique brain-trust. Il devrait savoir que, quel que soit leur choix, les populations de la région de Matam et du département de Podor réunies pèsent moins de 7% des électeurs, c’est-à-dire moins que le département de Pikine. Par souci d’efficacité, il devrait donc exercer ses menaces sur une autre cible, la ville de Dakar, par exemple. Il devrait surtout savoir que ce n’est pas au Fouta qu’il a obtenu ses pires scores. En effet, au premier tour il avait rassemblé sur son nom plus de 40%des électeurs à Podor (où il est arrivé en tête) et plus de 32% à Matam. C’est bien plus qu’à Mbour ou Thiès (environ 22%), à Dakar (21%) ou Fatick (19%). La capitale sénégalaise, la ville qui a le plus bénéficié des travaux d’infrastructure entrepris sous l’Alternance, serait malgré tout, quel que soit son choix, récompensée par la transformation de Reubeuss en « Manhattan » africain, et Podor et Matam seraient privées des miettes qui leur étaient servies. Wade ne sanctionne donc pas un comportement, il sanctionne une composante nationale à laquelle il ne reconnait pas le droit d’exprimer librement son choix. S’il connaissait un tant soit peu la mentalité de celle-ci, il saurait que sa menace aura l’effet contraire de ce qu’il espérait.

La réalité, c’est que le Président de la République joue à un jeu dangereux, celui du pyromane qui veut se faire passer pour un pompier. Il avait commencé en tentant d’opposer ses concitoyens en fonction de leur appartenance religieuse ou confrérique. Il poursuit en ouvrant la boite de Pandore de l’appartenance ethnique. Il profère des mots que Senghor n’avait pas prononcés, au plus fort de sa querelle avec Mamadou Dia, contre ceux qui, au Fouta, avaient pris le parti de l’ancien Président du Conseil. Pourquoi le Fouta ferait aujourd’hui pour Macky Sall ce qu’il n’a pas fait pour celui-ci il y a cinquante ans ? On mesure les dangers du larbinisme en politique en écoutant des ministres originaires de la région qui, non contents de se taire face à ces dérives, se posent en alibis. De toute façon si le Président de la République a préféré passer par Tivaouone-Peulh pour transmettre son message, c’est qu’il ne leur fait plus confiance.

Mais ce n’est pas seulement la spécificité culturelle du Fouta que Wade ignore ou bafoue. Son discours constitue un déni à l’histoire de notre pays, à l’exception qui a permis au Sénégal d’échapper aux tensions qui, ailleurs, se sont révélées dévastatrices pour l’unité nationale. Le Président de la République passe son temps à chercher à nous convaincre qu’il est sain de corps et d’esprit, ce qui en soi n’est pas rassurant. La santé physique s’entretient, mais on aura remarqué que sa campagne de 20012 est très « aérienne » et ses discours souvent brefs. Pour le reste, on ne peut que s’inquiéter en constatant qu’il semble ignorer la grandeur de sa mission et son serment de préserver la cohésion nationale et de traiter également tous ses concitoyens. Ce serait donc une forfaiture que de stigmatiser une partie d’entre eux. Il oublie que les moyens dont il dispose, l’aide que lui fournit la communauté internationale, ne constituent pas des biens personnels, des joyaux hérités de sa famille, et qu’il se doit de les utiliser avec équité. Le chantage est une arme que doit s’interdire le premier citoyen du pays.

Enfin, par charité, je préfère croire que c’est sa mémoire qui l’a lâché, plutôt que de penser que c’est son imagination fertile qui, à son âge, le transporte vers des mondes imaginaires. Il peut ne pas savoir qu’on ne peut pas, en trois ans (puisque c’est désormais le mandat qu’il s’est fixé), bâtir Manhattan à Reubeus qui est l’un des quartiers de Dakar où le régime foncier est le plus complexe, l’aménagement urbain le plus difficile et le plus coûteux. En revanche, on ne peut qu’éprouver de la compassion pour le vieil homme qui oublie déjà, au bout de quelques semaines, qu’il n’a PAS encore construit de pont à Matam, que les ponts « coloniaux » qu’il décrie sont ceux-là mêmes qu’il a empruntés, ceux qui sont toujours en usage, douze ans après son arrivée au pouvoir, qu’il s’était contenté de faire venir quelques briques et du sable, vite disparus après son passage, et que c’est parler de corde dans la maison du pendu que de rappeler aux Matamois ce qui n’était que promesse et qui, apparemment, le restera ! Ce qu’il a fait à Matam, il y a trois semaines, a un nom : cela s’appelle « un village Potemkine ».

Quant à ceux qui, dans son entourage, ministres, conseillers et gourous, devront aller défendre et surtout justifier au Fouta le discours de Tivaouone-Peulh, je leur souhaite bien du plaisir…

1 commentaire:

Anonyme a dit…
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