NB : Texte publié dans "Sud Quotidien" du 25 février 2012
Quels que soient les résultats du 26 février, le président Wade a déjà subi un revers et il est symbolique : il a perdu la bataille des jeunes ! Je ne parle pas des jeunes embrigadés dans les mouvements de soutien, de ceux qui sont les suppôts de politiciens professionnels, qui sont rétribués ou qu’on tient en laisse grâce à quelques milliers de francs, ou au moyen d’un t-shirt ou d’une bourse. Je parle des jeunes, enthousiastes et crédules, qui levaient la main pour scander les promesses du candidat Wade à offrir un emploi à tous les chômeurs. Je parle des jeunes qui, le 19 mars 2000, assiégeaient son domicile privé, au Point E, non pour le saccager, mais pour servir de bouclier humain, sanctuariser les lieux, empêcher le pouvoir en place d’user de sa force pour contrecarrer la volonté populaire. Je parle des jeunes qui couraient en grappes joyeuses derrière et autour de la voiture du président élu, en signe d’escorte, pour accompagner et fêter sa prise du pouvoir. On n’avait encore jamais vu ça au Sénégal ! Je parle aussi des jeunes qui, le 23 juin 2011, les mains nues, ont tenu tête aux deux pouvoirs exécutif et législatif, pour empêcher l’adoption d’une loi scélérate. Je parle des jeunes qui, comme ceux qui ont renversé Ben Ali et Moubarak, condamnent toutes les violences, restent à égale distance de toutes les chapelles politiques, résistent à tous les bakchichs, mais demeurent fermes et décidés à défendre le droit, l’égalité et la justice. Tous ces jeunes se sont détournés du président sur lequel ils avaient fondé tous leurs espoirs, et en quelques jours, ils ont payé le prix fort de leur rébellion. Si les élections ont lieu, demain ou un autre jour, Wade aura certainement des centaines de milliers de voix, mais il lui manquera celles de cette jeunesse éclairée et responsable. Ce n’est pas rien parce que c’est cette jeunesse-là qui avait été le socle sur lequel il avait bâti sa réputation. Pour elle, comme l’a résumé le porte- parole de Y en a Marre au sortir d’une rencontre avec l’ancien président Obasanjo, il a cessé d’être ce père porteur d’équité et de mesure, et n’a pas su devenir un grand-père auréolé de sagesse et d’indulgence. Il a tourné en dérision son désespoir, qu’il a assimilé à une « brise de mer », et ni la demi-douzaine de jeunes gens tués dans des bavures policières, ni les dizaines de blessés n’ont mérité sa compassion ou bénéficié de ses secours. Cela aussi, on ne l’avait jamais vu : autant d’adolescents et de jeunes, qui ne sont pas des militants des partis en lice, tués lors d’une campagne électorale ! Cette jeunesse blessée pourrait retourner contre Wade les slogans brandis sur ses affiches. « Weddi gis bokku ci » ? Oui : elle a vécu les promesses non tenues, la corruption et les faits du prince ; elle a vu la morgue des parvenus, la violence aveugle des forces de répression. « Li nu gis doyna nu ? » Justement, et c’est bien pour cela, parce qu’elle en a assez, qu’elle veut changer, qu’elle crie : Y EN A MARRE !
Si, comme le dit l’adage peulh, tout pouvoir est une pente glissante, alors la stratégie qui convient aujourd’hui contre Wade doit s’inspirer du curling, ce jeu inconnu sous nos cieux et qui « consiste à faire glisser vers une cible un lourd palet », par simple frottement de la couche de glace. L’objectif, c’est la fin du Wadisme, plus que celle de Wade, et chaque Sénégalais doit balayer sous les pas du vieux Président, sans répit ni violence, de façon à accélérer la pente et à précipiter insensiblement sa chute.
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