Je suis historien et géographe de formation. J'ai été enseignant-formateur à l’Ecole Normale Supérieure (ENS) de Dakar, puis en charge de différentes structures et directions administratives. A la retraite depuis plusieurs années, je profite de ma liberté recouvrée pour assouvir une vieille passion : écrire. Ces dernières années, j’ai publié deux romans («Mon villages au temps des blancs » en 2000 et «La Raparille» en 2010) ainsi que trois essais (« A mes chers parents gaulois » en 2007 ; "Wade Mecum ou le wadisme en 15 mots" en 2010; "Le temps des choses jamais vues : chronique des années Wade-Sarkozy", 2013). Je publie régulièrement des chroniques dans divers journaux sénégalais (en particulier « Nouvel Horizon » et "Sud Quotidien").

vendredi 6 avril 2012

COMMENT S'EN DEBARASSER ?

NB Texte publié dans "Sud Quotidien" du 2 avril 2012


Ceux qui avaient porté Wade aux nues, salué son coup de fil à son rival comme l’expression même de son fair-play, voire de son esprit chevaleresque, ont du vite déchanter : Wade n’est pas Mandela ! Le 25 mars, personne ne l’aurait suivi, parmi ceux qui comptent (l’armée, la CENA, le Conseil Constitutionnel) s’il avait tenté de forcer le cours du destin. La défaite était trop cuisante, l’écart abyssal entre lui et son adversaire, l’affront public et étalé sur tous les médias, y compris ceux de l’Etat, pour qu’il puisse tenter d’essayer autre chose que faire profil bas. Mais dès le lendemain, alors même que le vaincu ployait sous les éloges, il retrouvait ses bonnes vieilles habitudes. Chassez le naturel…

Il y a donc eu d’abord la tournée d’adieu chez les chefs religieux. La règle, dans ces occasions, c’est de bannir la polémique, de s’élever au-dessus de la mêlée, de prêcher l’union, le pardon et la sérénité. A Touba, au contraire, Wade a insisté sur ce qui divise, il a remis une couche sur son appartenance au mouridisme, comme pour faire regretter à ses frères en confrérie de ne s’être fiés qu’à leur conscience pour traduire leur choix. Le lendemain, à Tivaouone, il s’est érigé en juge d’une seule cause, celle de son fils, dont il a proclamé l’innocence avant même l’ouverture du procès. En ne défendant que Karim, et non la fonction ministérielle, il a manqué de pudeur et surtout d’élégance (notamment à l’endroit de Baldé) et suscité le doute. Si les ministres, de par leur statut, ne gèrent jamais rien du budget de l’Etat, alors pourquoi Salif Ba a été accusé de détournement sous Wade et mis en prison, et pourquoi même Idrissa Seck a-t-il été mis sur le banc d’infamie ?

Les adieux se sont poursuivis, dans l’intimité pourrait-on dire, en conseil des ministres. Au sortir de cette catharsis, le ci-devant porte-parole a résumé devant la presse le testament du père. « Il a, nous dit-il, la larme à l’œil, ordonné de ne rien cacher aux nouveaux arrivants, de ne pas les critiquer, de les aider à remplir leur mission s’ils nous sollicitent ». On ne lui en demandait pas tant, car il existe aussi des critiques constructives. Quelle grandeur d’âme, quel admirable sens de l’Etat !

Il a suffi de quarante huit heures pour que Wade lui-même démolisse cette version. Au congrès extraordinaire, et sans débat, de son parti, convoqué à la hussarde, il nous livre la sienne. Les règlements de comptes avaient déjà commencé dans son camp et beaucoup y espéraient sinon une retraite, au moins qu’il desserre la bride. Wade remet les pendules à l’heure : il est là, actionnaire unique du parti, il en dressera les priorités, choisira les responsables. Il ne se contentera pas d’une fonction honorifique, il fera ce que ni Senghor ni Ahidjo n’avaient pu faire. Il proclame urbi et orbi qu’il va bien rester au Sénégal, lui et son fils, comme si c’était un sacrifice suprême que de continuer à vivre dans le pays qui vous vu naître et vous a porté à la magistrature suprême ! En même temps, il ressasse toujours sa rancœur contre Diouf et le PS, qu’il avait pourtant battus, contre la presse et les puissances occidentales. Mais, surtout, contrairement à ce qu’avait dit son porte-parole, il ne fera rien pour faciliter la tâche à son successeur. Même désavoué par deux Sénégalais sur trois, il estime qu’il a toujours raison contre tout le monde et que personne ne peut faire autant que lui, et n’exclut même pas de revenir au pouvoir ! Il jette ses alliés à la poubelle, il les « libère », dit-il, sans réaliser que parmi ces bénéficiaires de l’abolition de son asservissement, il y en a au moins un qui n’est plus un « allié » mais un membre à part entière du Pds au sein duquel il avait fondu sa formation !

Bref, Wade promet, pour un moment, de pourrir la vie à ses militants, au président élu et, finalement, à tous les Sénégalais, par ses interventions intempestives, ses élucubrations, son ego envahissant. Les plus marris, ce sont les cadres du PDS : la guerre de succession avait déjà commencé et les bookmakers de Sandaga avaient lancé leurs paris. Le président veut reconstituer le parti, faire du neuf ? Ce rajeunissement ne devrait-il pas commencer au sommet, et peut-on faire du neuf avec un vieillard de 86 ans ?

Wade ne sera donc ni Diouf (qui n’est pas, il est vrai, une bonne référence), ni Konaré ni Obasanjo, ni surtout Pedro Pires : une référence, un sage sollicité pour ses conseils et son indépendance par rapport aux clans. Il se trompe, car rester vigilent, pour un ancien chef d’Etat, ce n’est pas élire place au café du commerce, ourdir des complots et insulter à tout va, c’est s’élever au-dessus des petites contingences et n’élever la voix que face aux grandes menaces. Il aura été toute sa vie un partisan, aussi bien comme opposant que comme chef d’Etat ou comme retraité de la République. Il aura aussi été un routinier, ne faisant que ce qu’il a toujours fait : la politique ou plus exactement la polémique. Mandela est devenu une icône, Lula un modèle, Carter court le monde pour assoir la démocratie, Wade consacrera le reste de sa vie à arbitrer des conflits entre ses militants et à se justifier. Mais il oublie qu’il ne dispose plus des prébendes qui avaient fait son succès, ni des médias qui amplifiaient ses paroles. Il ne sera pas du cercle des « Anciens », de ceux qui offrent au monde leur longue expérience, non pour se livrer à une politique politicienne, mais pour résoudre les conflits et apaiser les cœurs. Alors, puisqu’il reste dans ce qu’Alpha Blondy a appelé la « politikidougou », il faut le traiter pour ce qu’il est. Le nouveau pouvoir va devoir passer partout où il est passé pour « découturer » sa toile d’araignée, mettre de l’ordre dans l’informel, calmer les frustrations, et pas seulement au Sénégal. Il devra aussi faire l’état des lieux des ruines que son prédécesseur a laissées, pour lui porter la réplique, tout en s’abstenant de recourir aux méthodes qui ont ruiné le crédit de l’Alternance. Les Sénégalais ne pardonneront pas du Wadisme sans Wade.

1 commentaire:

Liane a dit…

Je me demande si le goût de Wade pour la polémique a un anacrage aussi vieux que vous le dites. Je n'étais pas né quand il a commencé la politique et trop jeune lorsqu'il a connu une première défaite contre Diouf mais je me demande si la politique au palais n'a pas aiguisé ou fait naître ce goût de la polémique. Je pense que ce qui est vieux dans le vieux c'est le goût de l'adversité.
Par ailleurs je ne comprends pas la dernière phrase qui conclue votre billet.