NB : Texte publié dans "Sud Quotidien" du 16 mai 2015
Haïti
est, probablement, la seule nation au monde à avoir conquis son indépendance
par deux fois.
La
première fois de la manière la plus
classique : par les armes. Avec cette spécificité : c’était la
première fois dans l’ère moderne qu’une révolte d’esclaves était réussie et
couronnée par la défaite et l’expulsion des anciens maîtres ! Près de
quinze ans de lutte entre deux adversaires aux forces très inégales, dont les
armements sont sans commune mesure (certains d’une cruauté extrême comme ces
« chiens mangeurs de nègres » importés de Cuba par les Français), avant
que l’armée coloniale, renforcée par un corps expéditionnaire de 30.000 hommes,
ne capitule et n’évacue l’île dans les dix jours. La première république noire
venait de naître.
Mais
Haïti dut conquérir une deuxième fois son indépendance, et cette fois, elle dut
accepter de se soumettre à un artifice aussi sournois qu’indécent : l’argent. La
vengeance est un plat qui se mange froid et, vingt ans après la défaite de ses troupes,
la France revint à la charge en exigeant des compensations financières pour ses
planteurs qui pendant deux siècles avaient vécu et s’étaient enrichis sur la
sueur et le sang des Haïtiens ! Et ce n’était pas qu’une somme symbolique,
c’était l’équivalent de six fois le budget du Sénégal en 2015. On n’avait
encore jamais vu ça : le vaincu qui rançonne le vainqueur ! Mais la
petite île, ravagée par la guerre puis par les luttes intestines, impuissante
face à une économie extravertie et dont la population s’était démobilisée au
contact des difficultés du quotidien, n’avait pas d’autre choix que de céder au
diktat. Elle mettra plus d’un siècle (!) à s’acquitter de cette dette. Le seul
cas comparable dans l’histoire récente est à chercher, cent cinquante ans plus
tard, lors de l’indépendance du Zimbabwe. Mais contrairement aux Français, les
Anglais, eux, s’étaient engagés à prendre en charge l’indemnisation de leurs
colons… Ce qu’ils ne feront d’ailleurs pas, trahissant leurs promesses, mais
surtout, plongeant leur ancienne colonie dans des remous qui durent depuis plus
de trente ans… Dans les deux cas donc, les grandes nations, en brisant l’élan
de deux jeunes nations qui avaient
contribué à les enrichir, ont manqué de grandeur.
Entre
bourde et inculture
A l’occasion
de ce qui est la première visite officielle d’un président français à Haïti depuis
la très chère indépendance de l’île, François Hollande a-t-il commis une « bourde » en promettant aux Haïtiens de « s’acquitter de la dette » de
la France ? Il a surtout manqué de culture historique et de sens de l’urgence.
Les pancartes des Haïtiens brandies à son arrivée et portant la mention « L’argent oui, la morale, non ! » rappellent étrangement l’exaspération des
Tirailleurs Sénégalais qui scandaient : « Assez de galons, nous voulons du riz ! ». Blessés
dans leur chair, usés au combat, « cristallisés » par la volonté des autorités françaises, les
anciens combattants africains, qui avaient servi la France dans ses guerres
coloniales et dans les deux guerres mondiales, avaient fini par en avoir marre
des médailles. Les médailles, répétaient-ils, sont faites pour les poitrines,
et nous, c’est au ventre qu’on a d’abord mal !
François
Hollande n’a donc fait que rouvrir une vieille plaie en rappelant incidemment à
la mémoire des Haïtiens une dette que leur président a jugé « ignominieuse et destructrice », alors
même que l’île, victime de nouvelles promesses non tenues, a du mal à sortir
d’une catastrophe qui a fait 230.000 victimes et des millions de désespérés. En
attendant de savoir quelle interprétation les vaudous haïtiens feront de la
chute par laquelle s’est achevée malencontreusement la visite de son président
(en tout cas, en Afrique, il aurait perdu ses électeurs !), il est temps
que la France, et pas seulement la France officielle, assume toute sa part dans
la reconnaissance de son héritage colonial. Ainsi, à titre d’exemple et sur un
autre domaine, si la presse française a abondamment rendu compte de la
commémoration du « génocide arménien » en l’attribuant à « la
Turquie » (ou aux Turcs), sans jamais souligner que cet événement se situait à un moment où la « Turquie » n’existait pas en tant que
telle et qu’il incombait à un régime connu sous le nom d’ « Empire
ottoman », quand il s’est agit des massacres de Sétif, la même presse n’a
pas hésité à les mettre au compte de « l’armée
coloniale française », comme s’il s’agissait d’un corps étranger
disparu !
Depuis
Sarkozy, toute repentance est assimilée à « une haine de soi »
et à un acte antipatriotique. Le gouvernement français se refuse donc à toute
compensation et même à toute forme d’excuse sur son passé colonial, comme l’a
répété récemment encore un ministre français en visite en Algérie. Pourtant,
les Etats-Unis ont fait le chemin, pas à pas, depuis les « regrets » de Clinton, jusqu’à la reconnaissance
par Bush des « crimes » commis, jusqu’à, enfin, qu’en juin 2009,
le Sénat, à l’unanimité de ses membres, vote une résolution symbolique
exprimant des excuses à l’endroit de toutes les victimes de l’esclavage et de
la discrimination raciale.
On comprend dès lors pourquoi un afro-américain a pu
être élu président des Etats-Unis d’Amérique, quarante ans à peine après
l’abolition des lois ségrégationnistes !
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