Je suis historien et géographe de formation. J'ai été enseignant-formateur à l’Ecole Normale Supérieure (ENS) de Dakar, puis en charge de différentes structures et directions administratives. A la retraite depuis plusieurs années, je profite de ma liberté recouvrée pour assouvir une vieille passion : écrire. Ces dernières années, j’ai publié deux romans («Mon villages au temps des blancs » en 2000 et «La Raparille» en 2010) ainsi que trois essais (« A mes chers parents gaulois » en 2007 ; "Wade Mecum ou le wadisme en 15 mots" en 2010; "Le temps des choses jamais vues : chronique des années Wade-Sarkozy", 2013). Je publie régulièrement des chroniques dans divers journaux sénégalais (en particulier « Nouvel Horizon » et "Sud Quotidien").

vendredi 8 mai 2015

LA JUSTICE NE SERT PAS QU'A TUER !

NB Texte publié dans « Sud Quotidien » du 2 mai 2015

Il y a quelques mois, un député qui se vantait d’avoir peu de lettres et peu d’imagination, se proposait de « couper la tête à tous les agresseurs » et, à cet effet, de porter une proposition de loi rétablissant la peine de mort au Sénégal. Sans doute espérait-il ainsi figurer parmi les parlementaires dont l’histoire n’a retenu les noms que parce qu’un jour ils ont servi de porte-valise à des lois scélérates, fomentées au-dessus d’eux et dont ils ne connaissaient ni les motivations profondes ni le pouvoir de nuisance. Ils n’avaient été que des hommes-sandwichs complaisants, instrumentalisés, écrasés par le poids d’une charge dont souvent ils ne se relèveront pas. Il y eut ainsi une loi Ezan, une loi Sada Ndiaye, parmi d’autres… Y aura-t-il donc un député pour endosser la casaque d’une loi portant rétablissement de la peine de mort au Sénégal ?

La loi et les symboles

Mais, sur un sujet aussi grave que le respect de la vie humaine, il faut distinguer la loi et les symboles, et ceux qui votent la loi comme ceux qui sont chargés de l’appliquer doivent savoir qu’ils portent la responsabilité de restaurer une « justice qui tue », avec sa marge de hasard et ses risques de pollution politique. L’honneur du Sénégal, c’est de refuser, pour une fois, d’être comparé au Texas, et de revendiquer le privilège de n’avoir connu, en plus de 50 ans d’indépendance, que deux exécutions capitales et qui toutes avaient des fondements politiques. D’ailleurs l’une de ces exécutions punissait non un crime, mais une (supposée ?) tentative d’assassinat. Le condamné n’avait pas de sang dans les mains et c’est d’abord à titre d’exemple que la peine de mort fut prononcée. Aujourd’hui encore, on s’interroge sur sa culpabilité… On peut donc dire, qu’en 2004, le Sénégal n’a pas aboli la peine de mort, mais qu’il a entériné une situation de fait. En bonne logique, la prochaine étape devrait être non de rétablir une peine qui a été si rarement mise en usage, mais de ratifier son abolition.

Les militants de la peine de mort tiennent rarement en compte ces terribles réalités : la justice est rendue par les hommes, elle n’est pas infaillible, l’erreur judiciaire existe, aussi fréquemment dans les cas de délits mineurs que dans les procès d’assises, et la peine capitale est irréversible ! Cela fait bien trop d’impondérables ! Nous découvrons tous les jours que de par le monde, des condamnations, à mort ou plus légères, ont été prononcées non sur la base de preuves mais, quelquefois, parce que le tribunal du plus fort, celui de l’opinion ou celui de la presse ont imposé leur diktat au tribunal légal. Voila pourquoi, disait Voltaire, « il vaut mieux hasarder de sauver un coupable que de condamner un innocent ! ». C’est sur cet aphorisme que repose le principe de la présomption d’innocence.

Pourquoi, malgré tout, certains restent attachés à la peine capitale ?

La raison la plus souvent invoquée, c’est que son maintien ferait « disparaître le crime avec le criminel » et que la société serait plus en sécurité. Malheureusement les plus grands spécialistes contredisent cette version, affirmant, qu’au contraire, il n’existe aucune preuve statistique fiable qu’elle dissuade les délinquants potentiels. Aux Etats-Unis, les 17 Etats qui l’ont abolie ont un taux de meurtre égal ou inférieur au taux fédéral et, au Canada, depuis l’abolition de la peine de mort, le taux d’homicide a chuté de 42%, même si on ne peut établir un rapport de cause à effet entre les deux phénomènes.

Un jour, l’Islam demandera des comptes…

Il reste l’argument religieux et au Sénégal, on n’oublie jamais d’appeler l’Islam à la rescousse car l’Islam a bon dos. Un jour viendra où l’Islam demandera des comptes à tous ceux qui le défigurent ou le trahissent et qui donnent à penser que c’est une religion de l’excès, quand le Coran dit qu’il est celle « du juste milieu ». Beaucoup de ceux qui l’invoquent, chez nous,  à toutes les occasions, et toujours dans le même esprit, sont souvent des hommes ignorants, ou quand ils sont peu ou prou instruits, ce sont des hommes d’une seule école ou d’un seul livre. Ils se parent de titres qu’ils ne méritent pas, car le guide, le savant, en Islam, est pâtre et médecin plutôt que sinistre bourreau. Ils oublient  qu’il ne suffit pas de savoir psalmodier le Coran, intangible depuis plus de 14 siècles, pour en connaitre toutes les subtilités, de même qu’il ne suffit pas d’être licencié ès lettres pour se livrer à l’exégèse de ce qui est considéré comme le premier texte en langue française, les Serments de Strasbourg, pourtant postérieurs de trois siècles.

Mais si le Coran est gravé dans le marbre, la science coranique est une discipline évolutive, elle a ses spécialistes et ses interprètes. Je n’appartiens ni aux uns ni aux autres, mais si je me fie à la parole de l’un des plus qualifiés d’entre eux, Malek Chebel, qui a l’avantage d’être à la fois arabophone, spécialiste de l’Islam et anthropologue des religions, ce qui fonde d’abord l’éthique musulmane, c’est le respect de la vie. « Toute vie  est sacrée », lit-on à plusieurs reprises dans le Coran qui précise que tuer un innocent est le pire des crimes, ce qui devrait faire trembler tous les juges. Chebel nous rappelle que les musulmans ne peuvent pas s’approprier la loi et que le code pénal musulman ne peut s’appliquer en l’absence d’un gouvernement islamique. Cela devrait clore le débat pour tous ceux qui chez nous se réfèrent à la charia car, que je sache, le Sénégal n’est pas un Etat islamique. Pas plus d’ailleurs que l’Arabie Saoudite, monarchie inégalitaire au sein de laquelle une seule famille accapare toutes les richesses et en fait un usage peu respectueux de la loi islamique. Par ailleurs, même sous gouvernement islamique, la peine de mort n’est ni encouragée ni facilitée. Dans la pratique, les conditions fixées pour son application, les exceptions qui sont prescrites, les solutions de recours préconisées… font que la loi du talion est plus un objectif qu’une exigence. La réalité, c’est qu’en Islam, la peine de mort a pour objet premier non de sacrifier une vie mais d’en sauver d’autres. La charia n’est pas qu’un code, résume Malek Chebel, c’est un bateau à voile qui avance et une tente  qui sert d’abri : elle est destinée « à instaurer une civilisation de progrès et de protection ». La loi de Dieu est faite pour libérer les hommes et non pour les ligoter.

Ici comme ailleurs, les Sénégalais qui ont de l’ambition pour leur pays doivent éviter « les solutions contraignantes», car ce sont souvent les plus faciles. Ils doivent chercher à promouvoir une société qui privilégie le bien être, plutôt qu’une justice qui tue…

Ceci dit, ne versons pas non plus dans l’indignation sélective du Nord qui tire à boulets rouges sur l’Indonésie, faisant mine d’ignorer qu’au top des plus grands « exécuteurs », il y a la Chine (responsable à elle seule de la moitié des exécutions réalisées dans le monde !), l’Arabie Saoudite et les Etats-Unis. Si, comme le dit la Charte du Mandé (XIIIe siècle), « toute vie humaine est une vie, (…) une vie ne vaut pas mieux qu’une autre », alors on attend, on espère, que les gouvernements de France et d’Australie ne tarderont pas à traiter ces pays de barbares et à prendre des sanctions à leur encontre !

Aucun commentaire: