NB Texte publié dans « Sud Quotidien » du 2 mai
2015
Il y
a quelques mois, un député qui se vantait d’avoir peu de lettres et peu
d’imagination, se proposait de « couper
la tête à tous les agresseurs »
et, à cet effet, de porter une proposition de loi rétablissant la peine de mort
au Sénégal. Sans doute espérait-il ainsi figurer parmi les parlementaires dont
l’histoire n’a retenu les noms que parce qu’un jour ils ont servi de
porte-valise à des lois scélérates, fomentées au-dessus d’eux et dont ils ne
connaissaient ni les motivations profondes ni le pouvoir de nuisance. Ils
n’avaient été que des hommes-sandwichs complaisants, instrumentalisés, écrasés
par le poids d’une charge dont souvent ils ne se relèveront pas. Il y eut ainsi
une loi Ezan, une loi Sada Ndiaye, parmi d’autres… Y aura-t-il donc un député pour endosser la casaque d’une
loi portant rétablissement de la peine de mort au Sénégal ?
La
loi et les symboles
Mais,
sur un sujet aussi grave que le respect de la vie humaine, il faut distinguer
la loi et les symboles, et ceux qui votent la loi comme ceux qui sont chargés
de l’appliquer doivent savoir qu’ils portent la responsabilité de restaurer une
« justice qui tue », avec sa
marge de hasard et ses risques de pollution politique. L’honneur du Sénégal, c’est
de refuser, pour une fois, d’être comparé au Texas, et de revendiquer le
privilège de n’avoir connu, en plus de 50 ans d’indépendance, que deux exécutions
capitales et qui toutes avaient des fondements politiques. D’ailleurs l’une de
ces exécutions punissait non un crime, mais une (supposée ?) tentative d’assassinat.
Le condamné n’avait pas de sang dans les mains et c’est d’abord à titre d’exemple
que la peine de mort fut prononcée. Aujourd’hui encore, on s’interroge sur sa
culpabilité… On peut donc dire, qu’en 2004, le Sénégal n’a pas aboli la peine
de mort, mais qu’il a entériné une situation de fait. En bonne logique, la
prochaine étape devrait être non de rétablir une peine qui a été si rarement
mise en usage, mais de ratifier son abolition.
Les
militants de la peine de mort tiennent rarement en compte ces terribles réalités :
la justice est rendue par les hommes, elle n’est pas infaillible, l’erreur
judiciaire existe, aussi fréquemment dans les cas de délits mineurs que dans
les procès d’assises, et la peine capitale est irréversible ! Cela fait
bien trop d’impondérables ! Nous découvrons tous les jours que de par le monde,
des condamnations, à mort ou plus légères, ont été prononcées non sur la base
de preuves mais, quelquefois, parce que le tribunal du plus fort, celui de
l’opinion ou celui de la presse ont imposé leur diktat au tribunal légal. Voila
pourquoi, disait Voltaire, « il
vaut mieux hasarder de sauver
un coupable que de condamner
un innocent ! ». C’est sur cet aphorisme que repose le
principe de la présomption d’innocence.
Pourquoi,
malgré tout, certains restent attachés à la peine capitale ?
La
raison la plus souvent invoquée, c’est que son maintien ferait « disparaître le crime avec le
criminel » et que la société
serait plus en sécurité. Malheureusement les plus grands spécialistes
contredisent cette version, affirmant, qu’au contraire, il n’existe aucune
preuve statistique fiable qu’elle dissuade les délinquants potentiels. Aux
Etats-Unis, les 17 Etats qui l’ont abolie ont un taux de meurtre égal ou
inférieur au taux fédéral et, au Canada, depuis l’abolition de la peine de mort,
le taux d’homicide a chuté de 42%, même si on ne peut établir un rapport de
cause à effet entre les deux phénomènes.
Un jour,
l’Islam demandera des comptes…
Il
reste l’argument religieux et au Sénégal, on n’oublie jamais d’appeler l’Islam
à la rescousse car l’Islam a bon dos. Un jour viendra où l’Islam demandera des
comptes à tous ceux qui le défigurent ou le trahissent et qui donnent à penser
que c’est une religion de l’excès, quand le Coran dit qu’il est celle « du juste
milieu ». Beaucoup de ceux qui
l’invoquent, chez nous, à toutes les
occasions, et toujours dans le même esprit, sont souvent des hommes ignorants,
ou quand ils sont peu ou prou instruits, ce sont des hommes d’une seule école
ou d’un seul livre. Ils se parent de titres qu’ils ne méritent pas, car le guide,
le savant, en Islam, est pâtre et médecin plutôt que sinistre bourreau. Ils
oublient qu’il ne suffit pas de savoir
psalmodier le Coran, intangible depuis plus de 14 siècles, pour en connaitre
toutes les subtilités, de même qu’il ne suffit pas d’être licencié ès lettres
pour se livrer à l’exégèse de ce qui est considéré comme le premier texte en
langue française, les Serments de Strasbourg, pourtant postérieurs de trois
siècles.
Mais
si le Coran est gravé dans le marbre, la science coranique est une discipline évolutive,
elle a ses spécialistes et ses interprètes. Je n’appartiens ni aux uns ni aux
autres, mais si je me fie à la parole de l’un des plus qualifiés d’entre eux,
Malek Chebel, qui a l’avantage d’être à la fois arabophone, spécialiste de
l’Islam et anthropologue des religions, ce qui fonde d’abord l’éthique musulmane,
c’est le respect de la vie. « Toute
vie est sacrée », lit-on à plusieurs
reprises dans le Coran qui précise que tuer un innocent est le pire des crimes,
ce qui devrait faire trembler tous les juges. Chebel nous rappelle que les
musulmans ne peuvent pas s’approprier la loi et que le code pénal musulman ne
peut s’appliquer en l’absence d’un gouvernement islamique. Cela devrait clore
le débat pour tous ceux qui chez nous se réfèrent à la charia car, que je sache,
le Sénégal n’est pas un Etat islamique. Pas plus d’ailleurs que l’Arabie Saoudite,
monarchie inégalitaire au sein de laquelle une seule famille accapare toutes
les richesses et en fait un usage peu respectueux de la loi islamique. Par
ailleurs, même sous gouvernement islamique, la peine de mort n’est ni
encouragée ni facilitée. Dans la pratique, les conditions fixées pour son application,
les exceptions qui sont prescrites, les solutions de recours préconisées… font
que la loi du talion est plus un objectif qu’une exigence. La réalité, c’est
qu’en Islam, la peine de mort a pour objet premier non de sacrifier une vie
mais d’en sauver d’autres. La charia n’est pas qu’un code, résume Malek Chebel,
c’est un bateau à voile qui avance et une tente qui sert d’abri
: elle est destinée « à instaurer une civilisation de progrès
et de protection ». La
loi de Dieu est faite pour libérer les hommes et non pour les ligoter.
Ici
comme ailleurs, les Sénégalais qui ont de l’ambition pour leur pays doivent
éviter « les solutions contraignantes», car ce sont souvent les plus faciles. Ils doivent
chercher à promouvoir une société qui privilégie le bien être, plutôt qu’une
justice qui tue…
Ceci
dit, ne versons pas non plus dans l’indignation sélective du Nord qui tire à
boulets rouges sur l’Indonésie, faisant mine d’ignorer qu’au top des plus
grands « exécuteurs », il y a la Chine (responsable à elle seule de
la moitié des exécutions réalisées dans le monde !), l’Arabie Saoudite et
les Etats-Unis. Si, comme le dit la Charte du Mandé (XIIIe
siècle), « toute vie humaine
est une vie, (…) une vie ne
vaut pas mieux qu’une autre », alors on attend, on espère, que les gouvernements de
France et d’Australie ne tarderont pas à traiter ces pays de barbares et à
prendre des sanctions à leur encontre !
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