NB : Texte publié dans "Sud Quotidien" du 25 avril 2015.
Il y
a quelques semaines, plusieurs chefs d’Etats africains défilaient aux côtés de
François Hollande, devant une foule estimée à plusieurs millions d’individus et
portant des banderoles estampillées « Je suis Charlie ». Rien de choquant,
a priori, sinon qu’ils auraient dû, au préalable, parler à ceux qu’ils étaient
censés représenter à cette marche, préciser qu’ils défilaient d’abord pour le
respect de la liberté d’expression et qu’ils étaient prêts eux-mêmes à
l’appliquer dans leurs pays respectifs. Au passage et toujours dans le respect
de leurs mandants, ils auraient pu rappeler que cette liberté avait des
limites, qu’elle excluait l’insulte et le mépris. Car, quelle que soit la
religion, la foi est une chose sérieuse : il y a des gens qui ne restent
en vie que parce qu’elle les soutient et d’autres qui sont prêts à mourir pour elle.
« N’insultez pas les dieux des autres ! »,
enseigne l’Islam à ses fidèles (Coran VI, 108).
Mais,
depuis le 11 janvier 2015, les chefs d’Etats africains ont raté d’autres
occasions de parler et de défiler, de dénoncer la barbarie et de fustiger ses responsables,
à des degrés divers. Y a-t-il rien de plus insupportable que de voir un pays
africain, le pays de Nelson Mandela en l’occurrence, se livrer à une chasse aux
étrangers comme jadis, en Alabama, on
allait à la chasse aux Noirs ? Y a-t-il rien de plus ignoble que
l’assassinat de près de cent cinquante étudiants dans le campus d’une
université, au Kenya ? Y a-t-il une monstruosité plus grande que ces
naufrages à répétition qui ont transformé la Méditerranée en cimetière
aquatique, fait près de 2.000 victimes en quatre mois, soit vingt fois plus que
pendant la même période en 2014 ?
Si
l’on mesure une catastrophe à l’aune de ses victimes, alors ils auraient dû
être des dizaines de chefs d’Etats africains à venir soutenir les Kenyans
accablés et à leur offrir un soutien qui ne soit pas que des vœux pieux. Ou,
pour le moins, à inviter leurs compatriotes à témoigner leur solidarité dans la
rue et dans les lieux publics. Quant aux naufragés de la Méditerranée, il est
paradoxal qu’au moment où l’Europe, enfin ébranlée par l’ampleur de la catastrophe,
se décide à convoquer un sommet spécial, l’Afrique s’abrite derrière un silence
assourdissant. Même si tous les naufragés ne sont pas des ressortissants de ses
pays, ils sont partis de ses côtes et ce sont des Africains qui ont ouvert
cette voie tragique.
Pourquoi
donc nos dirigeants sont plus prompts à compatir aux malheurs qui surviennent
au Nord qu’aux désastres qui accablent leurs propres populations et qui, pour
une bonne part, découlent de l’injustice que leur impose ce même Nord ?
Pourquoi laissent-ils la parole aux autres pour expliquer leur infortune et
pour en définir les remèdes ? Parlez, messieurs d’Afrique, car la
privation de parole est, comme le dit Mongo Beti, « le symbole
infaillible de l’esclavage ». Convoquez
vos instances, alertez l’opinion, mobilisez vos moyens, montrez, à défaut de
muscles, votre capacité de nuisance, criez votre colère, proposez des solutions,
mais bon Dieu, parlez ! Parlez à vos peuples, parlez entre vous, parlez
aux autres et tout particulièrement à ceux qui cherchent à imposer leur loi au
reste du monde. Parlez, parce que les dix mesures déjà « dégainées » par l’Union Européenne
ne seront qu’un cautère sur une jambe de bois si on n’accepte pas de reconnaître que les noyés de la Méditerranée sont d’abord des victimes avant
d’être des coupables, et que ni l’exode ni le moyen par lequel il s’opère ne
sont un choix mais une contrainte.
Les
immigrés sont les victimes des mensonges propagés par pratiquement tous les
partis politiques européens selon lesquels tout acte charitable commis envers
les naufragés constituerait un « appel
d’air » qui déverserait sur
l’Europe des hordes de miséreux qui les déposséderaient de leur travail et leur
arracheraient le pain de la bouche. Pourtant dans une Europe dont la population
vieillit et qui dédaigne des pans entiers de l’économie, ce sont les immigrés
qui assument les tâches les plus ingrates, celles qui font la qualité de vie
des plus aisés.
Les
immigrés sont les victimes d’un égoïsme rampant qui fait croire que 200.000
d’entre eux suffiraient à déstabiliser l’Union toute entière (1e PIB
mondial, 28 pays, 500 millions d’habitants !) alors que le Liban a survécu
à l’arrivée de 1,2 million de réfugiés et que la Turquie en accueille 2 millions !
L’ampleur du drame n’a pas attendri tous les cœurs. L’Australie offre son expertise
pour bouter les immigrés au loin, y compris vers des îles prisons, et selon un
sondage récent, 54% des Français estiment que l’Europe en a assez fait. C’est instructif,
troublant et prémonitoire.
Enfin
les milliers de désespérés qui s’embarquent sur les côtes tunisiennes ou
libyennes, au prix d’une vie qu’ils jugent désormais dérisoire, sont aussi les
victimes collatérales du désordre créé par les Occidentaux. On a comme
l’impression que partout où passent leurs armées, ni la démocratie, ni la paix,
ni l’ordre ne repoussent. La Somalie est devenue un champ de mines, la Libye
est une passoire, tout comme l’Afghanistan et l’Irak sont désarticulés par des
clivages ethniques et religieux…
L’Europe
a livré son verdict au sommet de Bruxelles. Il y a quelques années, plutôt que de
soutenir l’Italie et son opération Mare Nostrum, qui avait permis de sauver
100.000 naufragés, elle avait lancé Triton, trois fois moins coûteuse. Il n’y a
pas de petites économies ! Désormais, pour éviter le cap probable de
10.000 noyés en 2015, elle fera le sacrifice de puiser un peu plus dans sa bourse.
Mais ne nous faisons pas d’illusions : en réalité elle va fournir, à vingt-huit
(28), une contribution comparable à celle que la seule Italie consacrait au
secours des naufragés. Pour l’essentiel, en effet, elle ne remet pas en cause
ses convictions. Elle préfère protéger ses frontières plutôt que de sauver des
vies, quitte à violer les droits de l’homme qu’elle brandit si souvent…
Les noyés de la
Méditerranée ont déjà quitté le devant de la scène médiatique. Alors parlez, MM. les présidents d’Afrique,
non pour vous livrer à l’auto-flagellation, mais pour refuser la fatalité,
pour, à votre tour, demander des comptes, réclamer vos droits et exiger des
autres qu’ils assument leurs devoirs !
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