NB : Texte publié dans « Sud
Quotidien » du 12 mai 2015
Cinquante
deux minutes, très exactement, après la proclamation des résultats des élections
législatives britanniques, qu’ils venaient de perdre à la surprise générale, Ed
Miliband (Parti Travailliste), Nick
Clegg (Libéraux Démocrates), et même Nigel Farage (UKIP), annonçaient leur
démission de la tête de leurs partis respectifs ! C’est cela le triomphe
de la démocratie et ça nous ne savons pas le faire. Démissionner ? Je ne
parle évidemment pas de « démission » au sens de refuser d’assumer
ses responsabilités, mais, au contraire, de « démission » au sens de
les assumer et ainsi de signifier qu’on n’ira pas plus loin, parce qu’on refuse
d’avaliser des mesures qui vont à l’encontre de nos convictions, ou que l’on
estime que lorsque le peuple vous désavoue, on a perdu la légitimité de parler
en son nom. Cela, nous ne savons pas faire ! Ou, plus exactement, cela
nous ne savons plus le faire, car les premières années de notre accession à
l’autonomie interne puis à l’indépendance ont été marquées par le refus de
nombreux hommes politiques de sacrifier leurs convictions sur l’autel de la
réussite sociale et des compromissions. Rappelez-vous, sous la Loi-Cadre, en
1958, la démission de Abdoulaye Ly, qui malgré l’insistance de Mamadou Dia,
préféra quitter son gouvernement parce qu’il condamnait la politique que menait
son parti et exigeait la diminution du nombre de ministres ainsi que la baisse
de leur traitement pour prévenir (déjà !) un « embourgeoisement » factice ! A l’époque, lorsqu’un ministre
démissionnait, son acte était porté à la connaissance de l’opinion par un
communiqué officiel ! Ly adoptera
le même comportement à d’autres reprises, avant et après l’octroi de l’indépendance,
pour exiger une émancipation anticipée ou empêcher l’avènement de ce qu’il
appelait un « présidentialisme néocolonial »…
Mais pour un Abdoulaye Ly rebelle et tenace, qui préfère, dit-il, « fuir » plutôt que d’être complice,
combien faut-il compter de Sénégalais qui se sont accrochés à leurs postes,
jugeant sans doute que le pouvoir était une fin et non un moyen ?
La règle et les exceptions…
La
réalité, c’est que la démission est une vertu anglo-saxonne et qu’elle nous manque,
comme elle manque souvent à ceux qui nous ont colonisés et dont le mode de
gestion des affaires publiques nous a inspirés. Il y a eu, chez nous, Senghor
qui a renoncé au pouvoir suprême sans attendre le naufrage du vieil âge. Il y a
eu, en France, le cas De Gaulle, démissionnaire à répétition, mais comme dirait
le général, « De Gaulle c’est De Gaulle ! ». Dans les
démocraties anglo-saxonnes, en général, et aux Etats-Unis en particulier, la
résistance d’un Nixon, acculé à la démission après toute honte bue, ou
l’entêtement d’un Clinton qui survit aux sanctions, sont plutôt l’exception. En
Angleterre le fait d’employer un agent non déclaré, des photos équivoques, un
désaccord sur une question de fond… suffisent pour conduire à une démission et
quelquefois mettre fin à une carrière politique. D’ailleurs, en anglais,
démissionner, c’est se « résigner » : on n’a pas le choix, il
faut partir ! On démissionne parce qu’on a perdu son honneur ou pour avoir la
liberté de le défendre, on démissionne parce qu’on a menti ou qu’on a perdu son
pari. On démissionne parce qu’on n’a plus les moyens, physiques ou intellectuels,
pour remplir sa mission. On démissionne en signe de sacrifice, pour sauver son parti,
son clan, et pour ouvrir la porte au changement. On démissionne tout simplement
parce qu’on n’a pas conduit ses troupes à la victoire, ou parce qu’on n’est pas
d’accord avec le chef. Tout au contraire, chez nous, on peut être accusé de
tous les péchés d’Israël sans jamais démontrer son innocence, on peut conduire
une liste et perdre deux ou trois fois des élections, se révéler incapable de
préserver l’unité de son mouvement, éprouver – du fait de l’âge – des
difficultés à assumer ses fonctions, et malgré tout, balayer d’un revers de
main tout renoncement aux fonctions que l’on exerce, même quand elles sont
électives. Dès lors, comment s’étonner que rien ne change, si nos partis, nos syndicats,
les organisations de la société civile, les administrations, conservent les
mêmes têtes depuis des décennies. Mais c’est surtout en politique que le mot
démission est considéré comme un tabou au point qu’Abdoulaye Wade, grand
consommateur de « dauphins » plus ou moins officiels, a dû se
résoudre à les exclure de son parti quand ils s’opposaient à sa politique, car
à une exception près, aucun d’entre eux n’avait pris l’initiative de
démissionner quand il a subi l’outrage de la
dégradation !
« Un
ministre, ça ferme sa gueule,
et quand ça veut l’ouvrir,
ça démissionne ! » avait dit un orfèvre en la matière. Au
Sénégal, on choisit souvent la première
solution… Quitte à changer de convictions ou… de parti !
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