Je suis historien et géographe de formation. J'ai été enseignant-formateur à l’Ecole Normale Supérieure (ENS) de Dakar, puis en charge de différentes structures et directions administratives. A la retraite depuis plusieurs années, je profite de ma liberté recouvrée pour assouvir une vieille passion : écrire. Ces dernières années, j’ai publié deux romans («Mon villages au temps des blancs » en 2000 et «La Raparille» en 2010) ainsi que trois essais (« A mes chers parents gaulois » en 2007 ; "Wade Mecum ou le wadisme en 15 mots" en 2010; "Le temps des choses jamais vues : chronique des années Wade-Sarkozy", 2013). Je publie régulièrement des chroniques dans divers journaux sénégalais (en particulier « Nouvel Horizon » et "Sud Quotidien").

dimanche 6 juillet 2014

IRAK, LIBYE... LES « PAIX MEURTRIERES »


NB : Texte publié dans Sud-Quotidien du 26 juin 2014

« La guerre ne peut plus être considérée, même par le calculateur le plus froid et par la nation la plus puissante, comme un moyen d’atteindre, avec une probabilité suffisante, un but déterminé ». Pour avoir ignoré ces mots, prononcés il y a plus de huit décennies par Paul Valéry, les puissances occidentales ont plongé l’Irak et même la Libye, dans une situation pire que celle qu’elles avaient invoquée pour justifier leur entreprise militaire. Quelle que soit l’issue de la guerre, avait averti le même écrivain, « ses effets seront essentiellement désastreux, pour les belligérants » comme pour les autres.

La plus grande supercherie de l’histoire du renseignement

Restons encore avec Valéry : «  l’hostilité entre les nations repose sur un nombre très restreint de personnes… La politique dite « extérieure » est en réalité le jeu des relations de ces minorités, de leurs sentiments (…), de leurs ambitions propres ». Les guerres « coloniales » menées contre l’Irak et la Libye en sont une parfaite illustration. Les peuples américain et britannique, de même d’ailleurs que la « communauté internationale», par la voix du Conseil de Sécurité, étaient opposés à la guerre d’Irak, mais MM. Bush et Blair la voulaient et elle a eu donc lieu. La chance de la France, c’est  que ni les Français ni surtout M. Chirac ne la jugeaient nécessaire. La preuve c’est que, malgré l’hostilité de l’Union Africaine, la France s’est lancée à la conquête de la Libye, qui n’a jamais fait partie de son pré carré, parce que, pour des raisons différentes, M. Sarkozy et surtout M. Bernard Henri Lévy voulaient la peau de Kadhafi. On a donc inventé des arguments fallacieux, en toute connaissance de cause, et la presse internationale a embrayé sur ces inventions pour les rendre crédibles. Kadhafi, nous disait-on, avait déjà empilé 3.000 cadavres dans une morgue improvisée dans la banlieue de Tripoli ! Personne n’en a vu les traces après la prise de la capitale libyenne. Quant à l’Irak, il suffit de rappeler l’une des plus grandes supercheries de l’histoire du renseignement : la théorie des « armes de destruction massive » qui fit couler tant d’encre et conduisit Colin Powell à faire des déclarations qu’il regrettera toute sa vie ! Dans ses Mémoires, Bush a reconnu avoir commis des erreurs, des fautes graves qui sont à l’origine de centaines de milliers de morts et pourtant il n’a jamais été traduit devant un tribunal !

La paix qui tue !

Car la guerre tue ! Celle d’Irak a fait près de 5.000 morts et près de 8.000 blessés parmi les soldats des puissances alliées, pourtant superbement armés, et des milliers de « vétérans » sont enfermés dans des hôpitaux psychiatriques ou errent dans les rues des villes américaines. Quant à ses victimes irakiennes elles se comptent probablement par centaines de milliers, dont plus de 100.000 civils, et 1.500.000 Irakiens ont connu l’exil… Sans compter les tortures et les humiliations dont l’un des symboles est la prison d’Abu Ghraïa où de jeunes américains, ceux-là même qui étaient censés rétablir les Droits de l’Homme, se sont amusés à se livrer à des actes sadiques contre des soldats irakiens enchaînés !

Mais si la paix est la fin de l’occupation étrangère, alors la pax americana aussi tue. Elle tue parce que la guerre avait été conduite pour défendre, en priorité, les intérêts de l’envahisseur et non ceux des populations secourues et devait aboutir à amener celles-ci à ne plus troubler le sommeil du Nord. Elle tue parce que la « pacification »  de l’Irak a consisté à communautariser à outrance le pays, à armer les plus forts, à exclure du pouvoir la minorité sunnite, à affaiblir l’idée même de nation. Au sortir de la guerre, les Américains ont fait en Irak ce que sans doute aucun vainqueur n’avait fait à l’époque moderne : l’’armée vaincue a été tout simplement dissoute, comme si la responsabilité de la guerre était partagée entre Saddam Hussein et le fantassin réquisitionné par le pouvoir ! On ne s’étonne donc pas de la débandade de l’armée irakienne face aux milices de l’EIIL, puisqu’elle avait été dépouillée de ses éléments les plus expérimentés.  Depuis le départ des Américains, il meurt en moyenne 900 Irakiens par mois, tués dans des attentats dont les responsables sont rarement appréhendés. Mais les «  morts de la paix » intéressent moins les médias internationaux car il s’agit de « locaux », d’Irakiens victimes de querelles intestines dont on ne connait pas toujours les motivations. Aujourd’hui, malgré les check-points et l’omniprésence de l’armée dans les rues, le sentiment le mieux partagé reste la peur, plus grande encore qu’au temps de Saddam Hussein, au point que celui-ci est regretté par les Chrétiens d’Irak. Tout comme les Libyens regrettent Kadhafi puisque leur pays n’est pas seulement désorganisé économiquement, divisé en zones d’influence tribales et secoué de violences : en fait il n’existe plus politiquement !

Somalie, Libye, Irak et demain, peut-être, Afghanistan : on peut paraphraser ce qu’on disait jadis des Huns et dire que, désormais, partout où passent les forces militaires américaines, et aussi européennes, la démocratie, l’unité et la sécurité ne repoussent plus.


L’investissement le plus impressionnant laissé par les Etats-Unis à Bagdad est leur ambassade. C’est la plus grande ambassade américaine, et donc du monde, et c’est un signe : ce n’est pas une représentation diplomatique, c’est en fait une « concession », comme les Européens en possédaient en Chine au XIXe siècle. Israël, qui rêve de faire reculer jusqu’au Tigre et au Bosphore le mur qu’il a construit pour emprisonner les Palestiniens, pousse les Américains à de nouvelles aventures militaires, dans l’espoir sans doute que cette base yankee pourrait être le point de départ vers le démantèlement de la Syrie et de l’Iran et dans l’espoir d’installer dans ces pays une paix aussi meurtrière que celle qui sévit en Irak. En matière de «  paix meurtrière », l’Etat d’Israël est en effet un expert.

Aucun commentaire: