NB :
Texte publié dans Sud-Quotidien du 26 juin 2014
« La guerre ne peut plus être considérée, même
par le calculateur le plus froid et par la nation la plus puissante, comme un
moyen d’atteindre, avec une probabilité suffisante, un but déterminé ».
Pour avoir ignoré ces mots, prononcés il y a plus de huit décennies par Paul
Valéry, les puissances occidentales ont plongé l’Irak et même la Libye, dans
une situation pire que celle qu’elles avaient invoquée pour justifier leur
entreprise militaire. Quelle que soit l’issue de la guerre, avait averti le
même écrivain, « ses effets
seront essentiellement désastreux, pour les belligérants » comme pour
les autres.
La plus grande supercherie de l’histoire du renseignement
Restons
encore avec Valéry : « l’hostilité entre les nations repose sur un nombre très restreint de
personnes… La politique dite « extérieure » est en réalité le jeu des
relations de ces minorités, de leurs sentiments (…), de leurs ambitions
propres ». Les guerres « coloniales » menées contre l’Irak
et la Libye en sont une parfaite illustration. Les peuples américain et
britannique, de même d’ailleurs que la « communauté internationale»,
par la voix du Conseil de Sécurité, étaient opposés à la guerre d’Irak, mais MM.
Bush et Blair la voulaient et elle a eu donc lieu. La chance de la France,
c’est que ni les Français ni surtout M.
Chirac ne la jugeaient nécessaire. La preuve c’est que, malgré l’hostilité de
l’Union Africaine, la France s’est lancée à la conquête de la Libye, qui n’a
jamais fait partie de son pré carré, parce que, pour des raisons différentes,
M. Sarkozy et surtout M. Bernard Henri Lévy voulaient la peau de Kadhafi. On a
donc inventé des arguments fallacieux, en toute connaissance de cause, et la
presse internationale a embrayé sur ces inventions pour les rendre crédibles.
Kadhafi, nous disait-on, avait déjà empilé 3.000 cadavres dans une morgue
improvisée dans la banlieue de Tripoli ! Personne n’en a vu les traces
après la prise de la capitale libyenne. Quant à l’Irak, il suffit de rappeler
l’une des plus grandes supercheries de l’histoire du renseignement : la
théorie des « armes de destruction massive » qui fit couler tant
d’encre et conduisit Colin Powell à faire des déclarations qu’il regrettera
toute sa vie ! Dans ses Mémoires, Bush a reconnu avoir commis des erreurs,
des fautes graves qui sont à l’origine de centaines de milliers de morts et
pourtant il n’a jamais été traduit devant un tribunal !
La paix qui tue !
Car la guerre
tue ! Celle d’Irak a fait près
de 5.000 morts et près de 8.000 blessés parmi les soldats des puissances alliées,
pourtant superbement armés, et des milliers de « vétérans » sont
enfermés dans des hôpitaux psychiatriques ou errent dans les rues des villes américaines.
Quant à ses victimes irakiennes elles se comptent probablement par centaines de
milliers, dont plus de 100.000 civils, et 1.500.000 Irakiens ont connu l’exil… Sans
compter les tortures et les humiliations dont l’un des symboles est la prison
d’Abu Ghraïa où de jeunes américains, ceux-là même qui étaient censés rétablir
les Droits de l’Homme, se sont amusés à se livrer à des actes sadiques contre
des soldats irakiens enchaînés !
Mais
si la paix est la fin de l’occupation étrangère, alors la pax americana aussi tue. Elle
tue parce que la guerre avait été conduite pour défendre, en priorité, les intérêts
de l’envahisseur et non ceux des populations secourues et devait aboutir à
amener celles-ci à ne plus troubler le sommeil du Nord. Elle tue parce que la
« pacification » de l’Irak a
consisté à communautariser à outrance le pays, à armer les plus forts, à
exclure du pouvoir la minorité sunnite, à affaiblir l’idée même de nation. Au
sortir de la guerre, les Américains ont fait en Irak ce que sans doute aucun
vainqueur n’avait fait à l’époque moderne : l’’armée vaincue a été tout
simplement dissoute, comme si la responsabilité de la guerre était partagée
entre Saddam Hussein et le fantassin réquisitionné par le pouvoir ! On ne
s’étonne donc pas de la débandade de l’armée irakienne face aux milices de l’EIIL,
puisqu’elle avait été dépouillée de ses éléments les plus expérimentés. Depuis le départ des Américains, il meurt en
moyenne 900 Irakiens par mois, tués dans des attentats dont les responsables
sont rarement appréhendés. Mais les « morts de la paix »
intéressent moins les médias internationaux car il s’agit de
« locaux », d’Irakiens victimes de querelles intestines dont on ne
connait pas toujours les motivations. Aujourd’hui, malgré les check-points et
l’omniprésence de l’armée dans les rues, le sentiment le mieux partagé reste la
peur, plus grande encore qu’au temps de Saddam Hussein, au point que celui-ci
est regretté par les Chrétiens d’Irak. Tout comme les Libyens regrettent
Kadhafi puisque leur pays n’est pas seulement désorganisé économiquement,
divisé en zones d’influence tribales et secoué de violences : en fait il
n’existe plus politiquement !
Somalie,
Libye, Irak et demain, peut-être, Afghanistan : on peut paraphraser ce
qu’on disait jadis des Huns et dire que, désormais, partout où passent les
forces militaires américaines, et aussi européennes, la démocratie, l’unité et
la sécurité ne repoussent plus.
L’investissement
le plus impressionnant laissé par les Etats-Unis à Bagdad est leur ambassade.
C’est la plus grande ambassade américaine, et donc du monde, et c’est un
signe : ce n’est pas une représentation diplomatique, c’est en fait une
« concession », comme les Européens en possédaient en Chine au XIXe
siècle. Israël, qui rêve de faire reculer jusqu’au Tigre et au Bosphore le mur
qu’il a construit pour emprisonner les Palestiniens, pousse les Américains à de
nouvelles aventures militaires, dans l’espoir sans doute que cette base yankee
pourrait être le point de départ vers le démantèlement de la Syrie et de l’Iran
et dans l’espoir d’installer dans ces pays une paix aussi meurtrière que celle
qui sévit en Irak. En matière de « paix meurtrière », l’Etat
d’Israël est en effet un expert.
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