NB :
Texte publié dans Sud-Quotidien du 5 juillet 2014
Que
nous votions, rien de plus normal, voire nécessaire ! Les élections, la
consultation populaire, sont les fondements de la démocratie et si la
démocratie est, dit-on, le pire des régimes, il n’y en a pas de meilleur pour
exprimer la volonté du peuple. En revanche, ce qui est regrettable, c’est que
chaque élection nous ruine, nous prive de ressources qui auraient pu contribuer
à renforcer notre système éducatif et sanitaire qui est en ruines ! Ce qui
est impardonnable, c’est que certaines de nos élections – (et là, je ne parle
pas du seul Sénégal, mais de l’Afrique francophone en général) – nous
conduisent à des comportements indignes d’un Etat qui se dit indépendant :
mendier des subsides, se plier à des diktats, se voir imposer des us et
coutumes étrangers ! Si l’Occident paie nos élections, ce ne sera jamais
par souci exclusivement humanitaire..
Treize
milliards de francs ! C’est ce que les dernières élections locales auraient
coûté au budget de l’Etat. En réalité, si l’on considère que, de tous temps,
les moyens mis en œuvre pendant les campagnes électorales par les candidats
issus du pouvoir (moyens financiers et logistiques) sont prélevés, plus ou
moins directement, sur les ressources publiques, il faudrait considérer que nos
impôts ont contribué pour 15 à 18 milliards à l’organisation et au déroulement
de la consultation. On sait par ailleurs que les moyens mis en place par
l’opposition elle-même viennent, pour certains, de profits plus ou moins licites
accumulés quand elle était au pouvoir ou de la gestion des collectivités qu’elle
contrôle. Certains candidats sont en réalité des sous-traitants subventionnés
par d’autres qui se sont sustentés aux mamelles de l’Etat ou des collectivités
et qui cherchent à combattre leurs adversaires à visage masqué. Il ne serait
sans doute pas exagéré de dire que les dernières élections locales ont coûté
quelque 20 milliards au pays, plus que le budget de nombreux ministères, soit
l’équivalent de 1% du budget de l’Etat ! Il est vrai que si elles coûtent cher
à la nation, les élections sont en revanche une rente pour certains milieux
affairistes, un investissement à amortissement garanti pour d’autres et
l’occasion pour certains citoyens de grappiller un peu des réserves des nantis.
On ne
peut pas faire une élection sans frais mais on devrait, pour le moins,
s’attacher à la rendre moins coûteuse (réduction du nombre de listes, bulletin
unique, etc.), et aussi, et peut-être surtout,
savoir d’où vient l’argent, en contrôler les sources, en fixer les
limites…
2700 listes : 2700 idées ?
Mais
évidemment une élection n’a de sens que si elle est l’occasion d’un débat d’idées,
si elle oppose des projets de sociétés, des ambitions qui ne sont pas que
personnelles. Peut-on espérer faire ce débat quand il y a 2700 listes en
présence ? Evidemment non ! Nos campagnes électorales sont des foires
d’empoigne. Quand on a échappé aux invectives, quelquefois aux insultes, on
tombe dans la démagogie. Tel candidat se propose de créer une Silicon Valley
dans sa circonscription, sans préciser d’où viendraient les moyens financiers
et surtout humains. Tel autre promet d’offrir des emplois à tous, sans réaliser
que ce sont les entreprises et non l’Etat ou à fortiori les collectivités qui
créent l’emploi. D’autres, plus généralement, promettent de raser gratis
demain ! Ce n’est pas l’imagination qui manque, sauf peut-être celle de
donner aux partis et coalitions des noms et titres qui sortent des sentiers
battus puisque tous, désormais, tournent autour de « And… (ou Andando) »
ou « Benno… ». Les
Sénégalais cultivent ce paradoxe de vanter les mérites de l’alliance et de
l’unité et d’aligner 200 partis !
Retour au double collège !
Enfin,
toute élection repose sur une convention, acceptée et garantie par les
représentants du peuple et qui porte le nom de code électoral. Les élections de
conseillers départementaux et municipaux imposent que les listes de candidature
comportent « un nombre égal d’hommes et de
femmes…de manière alternative » (article R.84 du Code Electoral). Celles qui viennent
de s’achever marquent à cet égard un tournant : celui du retour de notre
pays à l’époque coloniale, celle des « 4 Communes », l’époque du
double collège, quand on distinguait les «
citoyens », qui avaient des droits, des « sujets » qui n’avaient
que des devoirs. Désormais il y a au Sénégal un territoire où s’applique le
code électoral dans son intégralité, y compris la parité hommes-femmes, et un
autre, réduit à la dimension d’un « titre foncier », mais
autrement plus puissant que le reste du pays et qui bénéficie de dérogations, y
compris la liberté de refuser l’exercice de la démocratie puisqu’à Touba aucune
liste ne s’est présentée contre celle parrainée par l’autorité religieuse. Le
comble c’est que ce viol est approuvé et justifié par le ministre chargé du
respect des lois, qu’il est ignoré par l’ancien Président de la République qui,
tout au long de son indécente campagne électorale, n’a jamais rappelé qu’il
avait conçu et porté la loi à bout de bras, snobé par le Parlement qui avait
voté cette loi et l’avait présentée comme une avancée démocratique
exceptionnelle. Le plus désolant, peut-être, c’est une voix, celle de l’une des
porte-parole des bénéficiaires de la loi, qui défendait bec et ongles sa légitimité
il y a peu, et qui se contente aujourd’hui d’affirmer qu’il n’y a pas péril en
la demeure puisqu’elle est appliquée à… 99% ! Mesure-t-elle l’ampleur du
désordre qui s’installerait dans notre pays si 1% de nos concitoyens
s’amusaient à bafouer, impunément, chacune de nos lois ? La loi, Madame,
bonne ou mauvaise, est une règle d’application obligatoire! C’est sans doute ce
qu’ont compris les électeurs de Touba qui, plutôt que de voter pour une liste
non conforme à la loi, ont été nombreux à préférer voter blanc.
Au
total, on peut dire que les élections locales nous ont réservé des surprises,
procuré quelques satisfactions ou confirmé nos craintes. Elles ont mis en
évidence l’existence d’un tabou que personne, même au plus haut sommet de
l’Etat, n’est prêt à affronter. Elles ont
montré que les Sénégalais ont pris désormais pour
philosophie : « Prends
l’oseille et vote pour qui
tu veux ! ». Elles ont révélé la fragilité des alliances et
la lassitude des citoyens face aux promesses jamais tenues. Elles ont confirmé
que pour certains, la politique est d’abord un métier dont ils ne se lassent
jamais, à moins d’être chassés. Elles ont élu des hommes et des femmes dont
certains ne savent même pas le contenu
de leur engagement…
Mais
ces leçons valaient-elles le prix payé ? Au bout du compte on peut
dire : tout ça pour ça !
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