Je suis historien et géographe de formation. J'ai été enseignant-formateur à l’Ecole Normale Supérieure (ENS) de Dakar, puis en charge de différentes structures et directions administratives. A la retraite depuis plusieurs années, je profite de ma liberté recouvrée pour assouvir une vieille passion : écrire. Ces dernières années, j’ai publié deux romans («Mon villages au temps des blancs » en 2000 et «La Raparille» en 2010) ainsi que trois essais (« A mes chers parents gaulois » en 2007 ; "Wade Mecum ou le wadisme en 15 mots" en 2010; "Le temps des choses jamais vues : chronique des années Wade-Sarkozy", 2013). Je publie régulièrement des chroniques dans divers journaux sénégalais (en particulier « Nouvel Horizon » et "Sud Quotidien").

dimanche 6 juillet 2014

A QUOI SERVENT « NOS » ELECTIONS ?

NB : Texte publié dans Sud-Quotidien du 5 juillet 2014

Que nous votions, rien de plus normal, voire nécessaire ! Les élections, la consultation populaire, sont les fondements de la démocratie et si la démocratie est, dit-on, le pire des régimes, il n’y en a pas de meilleur pour exprimer la volonté du peuple. En revanche, ce qui est regrettable, c’est que chaque élection nous ruine, nous prive de ressources qui auraient pu contribuer à renforcer notre système éducatif et sanitaire qui est en ruines ! Ce qui est impardonnable, c’est que certaines de nos élections – (et là, je ne parle pas du seul Sénégal, mais de l’Afrique francophone en général) – nous conduisent à des comportements indignes d’un Etat qui se dit indépendant : mendier des subsides, se plier à des diktats, se voir imposer des us et coutumes étrangers ! Si l’Occident paie nos élections, ce ne sera jamais par souci exclusivement humanitaire..

Une consultation à 20 milliards de francs !

Treize milliards de francs ! C’est ce que les dernières élections locales auraient coûté au budget de l’Etat. En réalité, si l’on considère que, de tous temps, les moyens mis en œuvre pendant les campagnes électorales par les candidats issus du pouvoir (moyens financiers et logistiques) sont prélevés, plus ou moins directement, sur les ressources publiques, il faudrait considérer que nos impôts ont contribué pour 15 à 18 milliards à l’organisation et au déroulement de la consultation. On sait par ailleurs que les moyens mis en place par l’opposition elle-même viennent, pour certains, de profits plus ou moins licites accumulés quand elle était au pouvoir ou de la gestion des collectivités qu’elle contrôle. Certains candidats sont en réalité des sous-traitants subventionnés par d’autres qui se sont sustentés aux mamelles de l’Etat ou des collectivités et qui cherchent à combattre leurs adversaires à visage masqué. Il ne serait sans doute pas exagéré de dire que les dernières élections locales ont coûté quelque 20 milliards au pays, plus que le budget de nombreux ministères, soit l’équivalent de 1% du budget de l’Etat ! Il est vrai que si elles coûtent cher à la nation, les élections sont en revanche une rente pour certains milieux affairistes, un investissement à amortissement garanti pour d’autres et l’occasion pour certains citoyens de grappiller un peu des réserves des nantis.

On ne peut pas faire une élection sans frais mais on devrait, pour le moins, s’attacher à la rendre moins coûteuse (réduction du nombre de listes, bulletin unique, etc.), et aussi, et peut-être surtout,  savoir d’où vient l’argent, en contrôler les sources, en fixer les limites…

2700 listes : 2700 idées ?

Mais évidemment une élection n’a de sens que si elle est l’occasion d’un débat d’idées, si elle oppose des projets de sociétés, des ambitions qui ne sont pas que personnelles. Peut-on espérer faire ce débat quand il y a 2700 listes en présence ? Evidemment non ! Nos campagnes électorales sont des foires d’empoigne. Quand on a échappé aux invectives, quelquefois aux insultes, on tombe dans la démagogie. Tel candidat se propose de créer une Silicon Valley dans sa circonscription, sans préciser d’où viendraient les moyens financiers et surtout humains. Tel autre promet d’offrir des emplois à tous, sans réaliser que ce sont les entreprises et non l’Etat ou à fortiori les collectivités qui créent l’emploi. D’autres, plus généralement, promettent de raser gratis demain ! Ce n’est pas l’imagination qui manque, sauf peut-être celle de donner aux partis et coalitions des noms et titres qui sortent des sentiers battus puisque tous, désormais, tournent autour de « And… (ou Andando) » ou «  Benno… ». Les Sénégalais cultivent ce paradoxe de vanter les mérites de l’alliance et de l’unité et d’aligner 200 partis !

Retour au double collège !

Enfin, toute élection repose sur une convention, acceptée et garantie par les représentants du peuple et qui porte le nom de code électoral. Les élections de conseillers départementaux et municipaux imposent que les listes de candidature comportent « un nombre égal d’hommes et de femmesde manière alternative » (article  R.84 du Code Electoral). Celles qui viennent de s’achever marquent à cet égard un tournant : celui du retour de notre pays à l’époque coloniale, celle des « 4 Communes », l’époque du double collège, quand on  distinguait les «  citoyens », qui avaient des droits, des « sujets » qui n’avaient que des devoirs. Désormais il y a au Sénégal un territoire où s’applique le code électoral dans son intégralité, y compris la parité hommes-femmes, et un autre, réduit à la dimension d’un « titre foncier », mais autrement plus puissant que le reste du pays et qui bénéficie de dérogations, y compris la liberté de refuser l’exercice de la démocratie puisqu’à Touba aucune liste ne s’est présentée contre celle parrainée par l’autorité religieuse. Le comble c’est que ce viol est approuvé et justifié par le ministre chargé du respect des lois, qu’il est ignoré par l’ancien Président de la République qui, tout au long de son indécente campagne électorale, n’a jamais rappelé qu’il avait conçu et porté la loi à bout de bras, snobé par le Parlement qui avait voté cette loi et l’avait présentée comme une avancée démocratique exceptionnelle. Le plus désolant, peut-être, c’est une voix, celle de l’une des porte-parole des bénéficiaires de la loi, qui défendait bec et ongles sa légitimité il y a peu, et qui se contente aujourd’hui d’affirmer qu’il n’y a pas péril en la demeure puisqu’elle est appliquée à… 99% ! Mesure-t-elle l’ampleur du désordre qui s’installerait dans notre pays si 1% de nos concitoyens s’amusaient à bafouer, impunément, chacune de nos lois ? La loi, Madame, bonne ou mauvaise, est une règle d’application obligatoire! C’est sans doute ce qu’ont compris les électeurs de Touba qui, plutôt que de voter pour une liste non conforme à la loi, ont été nombreux à préférer voter blanc.

Au total, on peut dire que les élections locales nous ont réservé des surprises, procuré quelques satisfactions ou confirmé nos craintes. Elles ont mis en évidence l’existence d’un tabou que personne, même au plus haut sommet de l’Etat, n’est prêt à affronter. Elles ont  montré que les Sénégalais ont pris désormais pour philosophie : « Prends l’oseille et vote pour qui tu veux ! ». Elles ont révélé la fragilité des alliances et la lassitude des citoyens face aux promesses jamais tenues. Elles ont confirmé que pour certains, la politique est d’abord un métier dont ils ne se lassent jamais, à moins d’être chassés. Elles ont élu des hommes et des femmes dont certains ne savent  même pas le contenu de leur engagement…

Mais ces leçons valaient-elles le prix payé ? Au bout du compte on peut dire : tout ça pour ça !

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