Je suis historien et géographe de formation. J'ai été enseignant-formateur à l’Ecole Normale Supérieure (ENS) de Dakar, puis en charge de différentes structures et directions administratives. A la retraite depuis plusieurs années, je profite de ma liberté recouvrée pour assouvir une vieille passion : écrire. Ces dernières années, j’ai publié deux romans («Mon villages au temps des blancs » en 2000 et «La Raparille» en 2010) ainsi que trois essais (« A mes chers parents gaulois » en 2007 ; "Wade Mecum ou le wadisme en 15 mots" en 2010; "Le temps des choses jamais vues : chronique des années Wade-Sarkozy", 2013). Je publie régulièrement des chroniques dans divers journaux sénégalais (en particulier « Nouvel Horizon » et "Sud Quotidien").

dimanche 28 juillet 2013

"MOI LAURENT FABIUS, DIRECTEUR DES ELECTIONS DU MALI;;;"

NB : Texte publié dans "Sud Quotidien" (édition du 25 juillet 2013)

C’est peut-être excessif de dire, comme l’a fait Tiébilé Dramé, que le ministre des Affaires Etrangères de la France exerce aussi, par delà les mers, les fonctions de directeur des élections au Mali. Il n’en demeure pas moins que M. Fabius adopte vis-à-vis du Mali et sur un sujet qui relève de la compétence de ce pays, un ton comminatoire qu’il ne se permettrait pas s’il s’agissait de l’un des pays de l’Union Européenne. M. Dramé n’est pas n’importe qui, et pas qu’un candidat déçu, il a été le négociateur en chef des accords transitoires entre le gouvernement malien et les rebelles. Sa colère est fondée sur le fait que le calendrier électoral imposé plus que choisi par le Mali n’est  ni consensuel ni réaliste, de l’avis même du président de la commission qui est, en principe, seule habilitée à le fixer. Sa colère est aussi fondée sur le fait que les autorités françaises n’ont guère ménagé la susceptibilité malienne – (et les faibles sont souvent, dit-on, susceptibles) – et, au contraire, se sont immiscées publiquement dans un débat qui ne les concernait pas de prime abord. Forts de leur victoire solitaire, puisqu’aucune autre puissance ne s’était engagée à leurs côtés, euphoriques après l’accueil délirant réservé au président Hollande sur le sol malien (« le plus beau jour de ma vie politique ! »), elles donnaient l’impression que  la souveraineté malienne n’était plus qu’une fiction. « Je serai intraitable ! », avait tonné François Hollande pour signifier que la date des élections maliennes était inscrite sur le marbre. Son ministre, Laurent Fabius, enfonçait le clou en précisant que c’était sans appel. C’était une faute de goût, et même une erreur diplomatique, parce qu’il était facile de parvenir au même résultat par des pressions plus discrètes et donc plus productives. Le français est par excellence une langue de nuances et de subtilités et des formules du genre : « Il n’appartient pas à la France … mais… », ou encore « Le peuple malien a décidé librement... », appuyées par des notes fermes, auraient suffi pour faire comprendre à Bamako quelle était la volonté du pays qui l’avait sauvé du désastre.

Il est donc difficile de comprendre l’intransigeance et le fétichisme des dates affichés à Paris, car, pour une fois, les fétichistes viennent du Nord. Cela changerait-il quelque chose si le Mali votait en septembre ou octobre, et le pays serait-il au bord de l’implosion au point que, le 28 juillet très précisément, Dioncounda Traoré cesserait d’être un président de transition pour devenir un dictateur illégitime ? L’hivernage ne peut être invoqué à tous les coups pour précipiter le vote, puisque dans le sud du Mali, on est en plein hivernage pendant le mois de juillet, et qu’au nord, l’hivernage n’existe pas ! Quant aux autres raisons invoquées pour estimer qu’une élection bâclée est préférable à une élection retardée, elles sont offensantes aux droits des populations maliennes. Ainsi selon le sous- secrétaire général  de l’ONU en tournée au Mali, le Français Hervé Ladsous, il n’y a, après tout, que 10. 0000 électeurs dans la région de Kidal, comme pour dire que, quoi qu’il s’y passe, cela ne peut modifier le résultat des élections ! D’abord les chiffres sont contestables, et même si personne au fond ne connait le résidu électoral au Nord, les estimations les plus réalistes le fixent tout de même à quelques dizaines de milliers de citoyens. Mais qu’importe ! La guerre au Mali ne découle-t-elle pas précisément du sentiment de mépris et d’abandon qui habite cette minorité, et n’est-ce pas cette minorité qui, malgré ses faibles effectifs, a mis en péril l’unité nationale et menacé Bamako ? Les élections maliennes n’ont donc de sens que si elles permettent aux Maliens du nord d’exprimer leur choix, de se sentir concernés et de reconnaître les résultats de la consultation. Au fond, il est plus important pour l’avenir de la nation malienne, que le vote soit mieux garanti et plus populaire à Kidal, où sa viabilité est mise en doute, qu’à Sikasso où le problème ne se pose pas.

En visite à Paris, le Secrétaire Général de l’ONU a regretté qu’on n’ait pas créé au Mali une commission vérité et réconciliation. C’est dire que le problème malien est décidément mal connu au plus haut niveau, car cette instance existe et fonctionne depuis des mois. Mais au moins, cela met en évidence la nécessité et le préalable d’un début de dialogue inter-malien avant toute confrontation, même électorale. Kidal était restée un sanctuaire, de par la volonté de l’armée française, comme si une ligne d’armistice avait été tracée entre le nord et le sud. Ce n’est pas seulement l’armée malienne qui y était absente, avec, en plus de mauvais souvenirs – (dont celui difficile à faire oublier, d’une troupe en débandade) –  c’est l’Etat malien qui n’était plus présent à Kidal depuis un an et demi. L’Etat ne peut pas débarquer du jour au lendemain pour organiser un vote, sans aucun appui local, sans avoir au préalable entrepris une campagne d’explication, républicaine, pour rassurer, donner des garanties, ramener la confiance entre les composantes de la population. Il a donc manqué cette étape, et cela seul suffisait pour différer de quelques semaines la date des élections.

On est à moins d’une semaine d’une consultation décisive pour l’avenir du Mali. Elle aura sans doute lieu, les gouvernements malien et, surtout, français auront tenu le pari de la date, mais rien ne permet de présager qu’elle sera démocratique, libre et égalitaire à travers tout le territoire malien. Pour son premier débarquement, sous escorte militaire internationale, le nouveau gouverneur de Kidal a du se frayer le chemin entre partisans et adversaires du retour de Bamako, selon les mêmes clivages que ceux qui avaient conduit à la guerre. Il a donc du rebrousser chemin au bout de quelques heures, ce qui n’est guère glorieux pour le prestige de la plus haute autorité régionale et le symbole du pouvoir central. A moins d’une semaine des élections, seuls trois (3) des vingt sept (27) candidats en lice ont pu fouler le sol de Kidal, et pour cela, il faut à la fois des moyens et une bonne protection militaire. Aucun d’entre eux n’a pu évidemment réunir des militants, tenir un vrai meeting, exposer un programme. Ils n’effectuaient que des apparitions furtives et symboliques, voire protocolaires, auprès d’autorités administratives balbutiantes et de chefs coutumiers peu loquaces. Il n’y aura donc pas de campagne électorale dans la région  du nord, alors  que c’est là qu’elle s’imposait le plus, du fait de l’inexistence de relais audiovisuels et de la nécessité de convaincre les plus réticents parmi les Maliens. Des affrontements entre composantes de la population ont fait des morts à Kidal, des agents électoraux ont été pris en otage pendant quelques heures, et leur libération ne met pas fin à l’insécurité ! A la violence meurtrière qui secoue le nord, il faut ajouter le dépit des maliens de l’extérieur qui se plaignent de ne pouvoir disposer de leurs titres de vote. Pour mémoire, et pour abonder dans le sens de l’envoyé  spécial de l’ONU, rappelons qu’en matière d’effectifs d’électeurs, Montreuil, en France, pèse plus lourd que toute la région de Kidal. Enfin les maliens réfugiés dans les pays limitrophes, qui eux sont des centaines de milliers, ont peu de chance de pourvoit exercer pleinement, et en connaissance de cause, leurs droits civiques.

C’est partout donc l’incertitude, la suspicion et le doute. Il en sera ainsi chaque fois que nous nous soumettrons au diktat de l’étranger, en oubliant  que « l’importance est à notre discrétion ».  

Les élections du 28 juillet pourraient donc aboutir à ce paradoxe : ceux qui s’étaient battus pour que le Mali change, pour une gouvernance plus juste, plus équilibrée, plus respectueuse de la diversité socioculturelle du pays, ceux dont les frustrations avaient conduit à la révolte ainsi que les principales victimes de la guerre, tous ceux-là pourraient ne pas y participer, faute de paix ou de conviction ! Peut-on espérer rebâtir l’espoir sur la frustration et la colère ?

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