NB : Texte publié dans "Sud Quotidien" (édition du 25 juillet 2013)
C’est peut-être excessif de dire, comme l’a fait Tiébilé Dramé, que le
ministre des Affaires Etrangères de la France exerce aussi, par delà les mers,
les fonctions de directeur des élections au Mali. Il n’en demeure pas moins que
M. Fabius adopte vis-à-vis du Mali et sur un sujet qui relève de la compétence
de ce pays, un ton comminatoire qu’il ne se permettrait pas s’il s’agissait de
l’un des pays de l’Union Européenne. M. Dramé n’est pas n’importe qui, et pas
qu’un candidat déçu, il a été le négociateur en chef des accords transitoires
entre le gouvernement malien et les rebelles. Sa colère est fondée sur le fait
que le calendrier électoral imposé plus que choisi par le Mali n’est ni consensuel ni réaliste, de l’avis même du
président de la commission qui est, en principe, seule habilitée à le fixer. Sa
colère est aussi fondée sur le fait que les autorités françaises n’ont guère
ménagé la susceptibilité malienne – (et les faibles sont souvent, dit-on,
susceptibles) – et, au contraire, se sont immiscées publiquement dans un débat
qui ne les concernait pas de prime abord. Forts de leur victoire solitaire,
puisqu’aucune autre puissance ne s’était engagée à leurs côtés, euphoriques
après l’accueil délirant réservé au président Hollande sur le sol malien
(« le plus beau jour de ma vie
politique ! »), elles donnaient l’impression que la souveraineté malienne n’était plus qu’une
fiction. « Je serai
intraitable ! », avait tonné François Hollande pour signifier que
la date des élections maliennes était inscrite sur le marbre. Son ministre,
Laurent Fabius, enfonçait le clou en précisant que c’était sans appel. C’était
une faute de goût, et même une erreur diplomatique, parce qu’il était facile de
parvenir au même résultat par des pressions plus discrètes et donc plus
productives. Le français est par excellence une langue de nuances et de
subtilités et des formules du genre : « Il n’appartient pas à la France … mais… », ou encore
« Le peuple malien a décidé
librement... », appuyées par des notes fermes, auraient suffi pour
faire comprendre à Bamako quelle était la volonté du pays qui l’avait sauvé du
désastre.
Il est donc difficile de comprendre l’intransigeance et le fétichisme des
dates affichés à Paris, car, pour une fois, les fétichistes viennent du Nord.
Cela changerait-il quelque chose si le Mali votait en septembre ou octobre, et
le pays serait-il au bord de l’implosion au point que, le 28 juillet très
précisément, Dioncounda Traoré cesserait d’être un président de transition pour
devenir un dictateur illégitime ? L’hivernage ne peut être invoqué à tous
les coups pour précipiter le vote, puisque dans le sud du Mali, on est en plein
hivernage pendant le mois de juillet, et qu’au nord, l’hivernage n’existe pas !
Quant aux autres raisons invoquées pour estimer qu’une élection bâclée est
préférable à une élection retardée, elles sont offensantes aux droits des
populations maliennes. Ainsi selon le sous- secrétaire général de l’ONU en tournée au Mali, le Français Hervé
Ladsous, il n’y a, après tout, que 10. 0000 électeurs dans la région de Kidal,
comme pour dire que, quoi qu’il s’y passe, cela ne peut modifier le résultat
des élections ! D’abord les chiffres sont contestables, et même si
personne au fond ne connait le résidu électoral au Nord, les estimations les
plus réalistes le fixent tout de même à quelques dizaines de milliers de citoyens.
Mais qu’importe ! La guerre au Mali ne découle-t-elle pas précisément du
sentiment de mépris et d’abandon qui habite cette minorité, et n’est-ce pas
cette minorité qui, malgré ses faibles effectifs, a mis en péril l’unité
nationale et menacé Bamako ? Les élections maliennes n’ont donc de sens
que si elles permettent aux Maliens du nord d’exprimer leur choix, de se sentir
concernés et de reconnaître les résultats de la consultation. Au fond, il est
plus important pour l’avenir de la nation malienne, que le vote soit mieux
garanti et plus populaire à Kidal, où sa viabilité est mise en doute, qu’à
Sikasso où le problème ne se pose pas.
En visite à Paris, le Secrétaire Général de l’ONU a regretté qu’on n’ait
pas créé au Mali une commission vérité et réconciliation. C’est dire que le
problème malien est décidément mal connu au plus haut niveau, car cette
instance existe et fonctionne depuis des mois. Mais au moins, cela met en
évidence la nécessité et le préalable d’un début de dialogue inter-malien avant
toute confrontation, même électorale. Kidal était restée un sanctuaire, de par
la volonté de l’armée française, comme si une ligne d’armistice avait été
tracée entre le nord et le sud. Ce n’est pas seulement l’armée malienne qui y
était absente, avec, en plus de mauvais souvenirs – (dont celui difficile à
faire oublier, d’une troupe en débandade) – c’est l’Etat malien qui n’était plus présent à
Kidal depuis un an et demi. L’Etat ne peut pas débarquer du jour au lendemain
pour organiser un vote, sans aucun appui local, sans avoir au préalable
entrepris une campagne d’explication, républicaine, pour rassurer, donner des garanties,
ramener la confiance entre les composantes de la population. Il a donc manqué
cette étape, et cela seul suffisait pour différer de quelques semaines la date
des élections.
On est à moins d’une semaine d’une consultation décisive pour l’avenir du Mali.
Elle aura sans doute lieu, les gouvernements malien et, surtout, français
auront tenu le pari de la date, mais rien ne permet de présager qu’elle sera démocratique,
libre et égalitaire à travers tout le territoire malien. Pour son premier débarquement,
sous escorte militaire internationale, le nouveau gouverneur de Kidal a du se
frayer le chemin entre partisans et adversaires du retour de Bamako, selon les mêmes
clivages que ceux qui avaient conduit à la guerre. Il a donc du rebrousser
chemin au bout de quelques heures, ce qui n’est guère glorieux pour le prestige
de la plus haute autorité régionale et le symbole du pouvoir central. A moins
d’une semaine des élections, seuls trois (3) des vingt sept (27) candidats en
lice ont pu fouler le sol de Kidal, et pour cela, il faut à la fois des moyens
et une bonne protection militaire. Aucun d’entre eux n’a pu évidemment réunir
des militants, tenir un vrai meeting, exposer un programme. Ils n’effectuaient
que des apparitions furtives et symboliques, voire protocolaires, auprès d’autorités
administratives balbutiantes et de chefs coutumiers peu loquaces. Il n’y aura
donc pas de campagne électorale dans la région du nord, alors
que c’est là qu’elle s’imposait le plus, du fait de l’inexistence de relais
audiovisuels et de la nécessité de convaincre les plus réticents parmi les
Maliens. Des affrontements entre composantes de la population ont fait des
morts à Kidal, des agents électoraux ont été pris en otage pendant quelques
heures, et leur libération ne met pas fin à l’insécurité ! A la violence
meurtrière qui secoue le nord, il faut ajouter le dépit des maliens de
l’extérieur qui se plaignent de ne pouvoir disposer de leurs titres de vote.
Pour mémoire, et pour abonder dans le sens de l’envoyé spécial de l’ONU, rappelons qu’en matière
d’effectifs d’électeurs, Montreuil, en France, pèse plus lourd que toute la
région de Kidal. Enfin les maliens réfugiés dans les pays limitrophes, qui eux
sont des centaines de milliers, ont peu de chance de pourvoit exercer
pleinement, et en connaissance de cause, leurs droits civiques.
C’est partout donc l’incertitude, la suspicion et le doute. Il en sera
ainsi chaque fois que nous nous soumettrons au diktat de l’étranger, en
oubliant que « l’importance est à notre
discrétion ».
Les élections du 28 juillet pourraient donc aboutir à
ce paradoxe : ceux qui s’étaient battus pour que le Mali change, pour une
gouvernance plus juste, plus équilibrée, plus respectueuse de la diversité
socioculturelle du pays, ceux dont les frustrations avaient conduit à la
révolte ainsi que les principales victimes de la guerre, tous ceux-là
pourraient ne pas y participer, faute de paix ou de conviction ! Peut-on
espérer rebâtir l’espoir sur la frustration et la colère ?
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