Le bâton en Afrique
«
Je serai intraitable sur la date des élections au Mali !». C’est le message, la
semonce que le président de la République française avait adressés, sans
ménagement, aux autorités de Bamako. Il est vrai qu’il les avait sauvées de la
débâcle et que sans doute cela lui donnait des droits. Qu’importe donc que les
organisateurs potentiels de ces élections, la CENI et même la Délégation qui en
sont les maîtres d’œuvre, estiment pour leur part que le pari ne peut être
tenu, que ni les moyens matériels ni les compétences qu’exigent l’exercice ne
sont encore opérationnels !
Qu’importe
que la partie « libérée » du Mali demeure sous la menace d’actions isolées des
rebelles. Qu’importe que le pays ne soit guère unifié, que Kidal soit interdite
aux forces du gouvernement de transition et qu’aucun officiel malien n’y ait
mis les pieds depuis plus d’un an ! Qu’importe enfin que des centaines de
milliers de Maliens soient hors de leur lieu de résidence, réfugiés, exilés, en
situation de détresse et de précarité !
Dr
Hollande balaie toutes ces arguties d’un revers de main : il veut des élections
dans moins de trois mois et son ministre de la défense l'a encore récemment
confirmé à Bamako même. Il n’a du reste fait que reprendre les propos de son
prédécesseur à l’Elysée qui avait tenu le même langage aux Ivoiriens en leur demandant de faire
l’impasse sur le rétablissement de la
sécurité ou sur la sécurisation du fichier électoral. Mais, cette fois, François
Hollande fait plus que d'exiger la légitimation du pouvoir en places, il somme
les Maliens de rechercher et de punir les militaires responsables d'exactions à
l'endroit des populations civils, il détermine quels partenaires devront être
associés au dialogue pour la
réconciliation. Les autorités et l'opinion ont beau disqualifier le MNLA, lui a
choisi de faire une place à ce mouvement
dans les négociations et s'interpose entre lui et l'armée nationale. Enfin il a
suscité et défini la MINUSMA, au grand dépit de l'Union Africaine !
La carotte à Pékin
A
Pékin, Mr François se garde bien de donner des ordres ou de distribuer des
ordonnances. Il se garde donc de déplorer les incidents survenus en Chine, un
ou deux jours avant son arrivée, et au cours desquels des Ouighours ont été
tués suite à des affrontements avec la minorité Han. La Chine est, à elle
seule, responsable de 40% du déficit commercial de la France, et si Mr François
parle de démocratie à ses dirigeants, c’est occasionnellement et surtout « avec
respect » et à l’abri de la presse. Il vante donc Deng Xia Ping, qui a dit-il
sorti la Chine de la léthargie, mais il
ne souffle mot du bourreau de Tien An Men. Il n'a même pas osé citer en
public le nom du dissident Liu Xiaobo, Prix Nobel de la paix, condamné à 11 ans
de réclusion. Il n’est pas venu à Pékin avec huit de ses ministres et des
dizaines de chefs d’entreprises françaises pour débattre du sort des
prisonniers politiques chinois, il est venu pour arracher des contrats,
importer du travail pour ses entreprises dont beaucoup sont en déconfiture. Il
est venu pour tenter de faire ce qu’a si bien réussi l’Allemagne : transformer
le presque milliard et demi de Chinois en partenaires commerciaux et en clients
pour son industrie. Le seul vrai objet
de son voyage en Chine est le rééquilibrage des échanges entre les deux pays.
Entre valeurs et réalités: le double
langage
A
Bamako François Hollande est dans les valeurs et les remontrances, à Pékin il
est dans la réalité et les compromis. C'est un double langage qui est propre à
tout le monde occidental. A Pékin le président français a dit, en substance,
que le développement de l'Europe ne peut se faire sans la Chine et vice versa,
que chacune des deux parties a besoin de l'autre. Pourtant quand le nouveau président
chinois a commencé son mandat par une
tournée en Afrique, la presse française a ironisé et traité notre continent de
« nouvelle colonie chinoise ».
Des
« sinologues » africains ont embouché
les mêmes trompettes et jugé qu'à priori les intentions de la Chine étaient
forcément suspectes. La Chine investirait donc chez nous sans s'inquiéter du
respect des droits de l'homme par nos dirigeants ? Pourtant les pays européens,
et la France en particulier, acceptent chez eux les investissements de pays qui
ne les respectent pas non plus. Le Qatar, qui n'est pas un modèle de
démocratie, ne possède pas que le PSG, qui n'est que sa danseuse de luxe, il
est présent dans la première entreprise française – Total – et dans d'autres de
moindre envergure. Le Louvre et la Sorbonne ont délocalisé dans le Golfe, et ce
n'est point pour y saluer l'avènement de la liberté et de l'égalité. La Chine
est déjà propriétaire dans ce qui est le must du patrimoine français : les
vignobles et les châteaux. A Pékin
Hollande a dit et répété qu'il était demandeur d'investissements chinois, dans
des secteurs stratégiques, sans poser de conditions.
Alors
tant que les Occidentaux ne nous démontreront pas la différence entre
accueillir de l'argent dont la provenance heurte leur conscience, comme ils le
font, et en recevoir, comme nous le faisons, sans exiger l'établissement
préalable de la démocratie, nous devrons poursuivre la coopération avec la
nation qui sera, dans moins de dix ans, la première puissance économique du
monde.
Avec
indépendance et lucidité.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire