NB Texte publié dans "Sud Quotidien" (édition du 17 mai 2013)
Un
ancien Président de la République, qui fut, douze ans durant, « gardien de la
Constitution », qui appelle les militants de son parti à prendre
possession de la rue pour exiger, non le respect de la démocratie, mais la
libération de son fils incarcéré pour des délits aussi peu glorieux que le
trafic d’influence, l'enrichissement
illicite et la corruption…
D’anciens
ministres de la République, dont celui de l’Intérieur et celui de la Justice,
chargés donc autrefois, respectivement, de la police et du maintien de l’ordre
et du respect des lois, qui appellent à l’insurrection et au désordre, poussent
à la désobéissance civile et menacent de marcher sur la prison pour libérer ce
prisonnier décidément très précieux…
Recto et verso
Le
chef d’un parti, membre à part entière de la majorité, qui réussit cette
posture inconfortable d’être assis sur deux chaises, reniant à toutes les
occasions les actions de son allié, sans prendre le risque de rompre les
amarres, de se retirer d’une coalition dont il ne se sent plus solidaire. Il
est vrai qu’en d’autres temps, un autre chef de parti avait tenté de nous
convaincre qu’on pouvait vivre sept ans avec des voleurs sans jamais succomber
à leur vice…
Des
hommes et des femmes qui semblaient s'entendre comme larrons en foire, s’adoraient
même il y a quelques mois, marchaient la main dans la main pour célébrer le
culte d’un seul homme, et qui non contents de s’être éparpillés en plusieurs
chapelles, se jouent des tours de cochon, s’écrivent au lieu de se parler…
Ceci
c’est le verso, car il y a aussi le recto !
Un
Président de la République, en exercice celui-là, qui, il y a à peine plus d’un
an, alors qu’il était un opposant déclaré, souffrait de se voir interdire un
droit inscrit dans la Constitution, celui de manifester, et qui aujourd’hui fait
interdire l’exercice de ce même droit à ses opposants, en invoquant les mêmes
justifications que son prédécesseur…
Le
même président qui réunit les directeurs et chefs des sociétés publiques et
parapubliques affiliés à son parti, ce qui est en soi un acte peu républicain,
pour leur dire que la seule manière de conserver leurs fonctions était de remporter
les suffrages dans leurs circonscriptions d'origine. C'est une procédure que ne
renierait pas son prédécesseur car elle consiste à autoriser tous les délits
pour préserver la victoire du Parti.
Un
ministre qui avait bâti sa réputation sur la stigmatisation des passe-droits et
de la mal gouvernance et qui, aujourd’hui qu’il est au pouvoir, justifie les
marchés de gré à gré et les pactes secrets. Il reconnaît désormais, par la même
occasion, l'existence d'une raison d'Etat et la pertinence des éléphants blancs.
Le même homme jadis épris du respect des libertés qui passe sous silence et
même défend la résurgence de pratiques que l'on croyait abolies : des soupçons
de pression sur un magistrat qui voulait une justice républicaine, l'expulsion
d'un exilé politique dont le seul tort avait été de fustiger la dictature et
l'injustice...
On
est pourtant treize ans après le début de ce qu'on avait appelé l'Alternance et
ses promesses de changement !
Dépouilles politiques
C'est
que, décidément, en politique plus ça change et plus c’est pareil, tout dépend
de l'endroit où l'on se trouve ! L'alternance n'existe pas, ou plus exactement,
de même qu'une hirondelle ne fait pas le printemps, de même un homme politique
ne fait pas l'alternance. Ni Robespierre, ni Danton, ni Mirabeau n'étaient à
l'assaut de la Bastille, c'est le peuple de Paris qui a contraint la forteresse
à la reddition, et, n'eût été sa vigilance, la Révolution aurait été vite
balayée par les partisans de l'Ancien Régime... C'est le peuple qui fait
l'alternance. C'est sans doute l'un des sens qu'il faut donner à cette sentence
du Livre Saint selon laquelle « Dieu ne change en rien la bonne fortune qu'Il a
accordée à un peuple sans que celui-ci ne change l'état de son cœur » (Coran
VIII,53). Il en est de même de sa désespérance.
Les
promesses de changement de Wade n'ont tenu qu'un printemps, parce que, très
vite, et c'est une loi de la politique,
l'ambition d'accomplir quelque chose a laissé la place au rêve de devenir quelqu'un.
Contrairement à ce que dit François Hollande, aucun chef d'Etat ne peut se
contenter d'être un homme « normal ».
Voilà
qui explique cette idée de Wade,
insensée et irréaliste, de mettre en chantier l'extension du siège de son parti
à quelques mois d'un scrutin auquel il n'avait pas le droit de participer en
tant que candidat et qui, de toutes façons et selon tous les pronostics, lui
serait défavorable. Il avait pourtant vu le Parti Socialiste, après la défaite
de Diouf en 2000, révoquer la quasi-totalité des agents qui servaient dans son
siège et laisser pratiquement en friches le vaste domaine qu'il s'était octroyé
à Colobane. Le résultat de la précipitation du « pape du Sopi », c'est cette carcasse métallique inachevable, en tout cas inachevée et déjà
rouillée et qui était censée abriter le Palais des Congrès d'un part dont le
seul actionnaire était en fin de contrat. Elle trône sur la VDN, jouxtant le
somptueux et souvent désert siège du PDS, comme un igloo désossé, tombé en
déshérence, figé dans l'oubli. Wade était pourtant bien placé pour savoir que
sous nos cieux, la prospérité des partis politiques est en rapport direct avec
l'exercice du pouvoir : il suffit de comparer le siège exigu du PDS de
Colobane, celui de l'époque des vaches maigres, à l'édifice construit sur la
VDN en quelques mois, avec des moyens qui ne proviennent sûrement pas des cotisations
des militants. À peine son fondateur défait, le PDS s'est scindé en une
demi-douzaine de factions dont chacune prétend être la seule légitime et nul ne
sait même quel nom figure sur le titre de propriété de son siège.
Le
projet suspendu et déjà décrépi du Palais des congrès du PDS constitue le symbole
de la vanité du pouvoir et de l'état de l'héritage politique de Wade. Le
pouvoir actuel gagnerait à se passer de
ces dépouilles politiques, qui sont un obstacle dans notre marche vers le
progrès, et à préférer l'effort à la mise en scène. Car le vrai danger pour le
président Macky Sall ne vient pas des piques voulues assassines et des rodomontades
de Idrissa Seck. Les allées et venues du
maire de Thiès vers et hors du PDS ont accrédité aux yeux de l'opinion l'idée d'un politicien
ondoyant, un allié sur lequel on ne peut longtemps compter.
Le
vrai danger vient du doute qui s'installe dans la tête de ceux qui croient
encore à la sincérité du candidat qu'ils avaient élu. Aucun d'entre eux ne lui
demande de faire en un an ce qu'il avait promis de faire en cinq, même s'il ne
lui en reste que trois car l'année électorale est une année perdue. Aucun de ses amis ne met à son seul compte
toutes les discordances notées dans son entourage, les excès de langage de
certains de ses proches, et les erreurs de casting qu'il a pu faire peuvent
encore être rattrapées. Contrairement à l'ancien président Wade qui s'était
octroyé un CDI, Macky Sall a promis de se contenter d'un CDD de cinq ans
renouvelable une seule fois. Le maximum qu'il puisse rester au pouvoir c'est
donc dix ans.
C'est
un peu court pour se forger une légende, mais dix ans ce n'est pas rien : c'est
autant que le règne d'Alexandre le Grand ; c'est le laps de temps qu'a duré le
Premier Empire et dans ce laps de temps Napoléon a conçu le Code Civil et
l'Institut de France, le baccalauréat et les Universités, la Cour des Comptes,
la Bourse de Paris, la Banque de France,
etc. Ce qu'on demande au président Sall, c'est de prendre plus
résolument qu'il n'a fait jusqu'ici le chemin qui conduit aux vrais changements
et il peut remercier Dieu : les Assises Nationales lui ont largement mâché le
travail.
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