Je suis historien et géographe de formation. J'ai été enseignant-formateur à l’Ecole Normale Supérieure (ENS) de Dakar, puis en charge de différentes structures et directions administratives. A la retraite depuis plusieurs années, je profite de ma liberté recouvrée pour assouvir une vieille passion : écrire. Ces dernières années, j’ai publié deux romans («Mon villages au temps des blancs » en 2000 et «La Raparille» en 2010) ainsi que trois essais (« A mes chers parents gaulois » en 2007 ; "Wade Mecum ou le wadisme en 15 mots" en 2010; "Le temps des choses jamais vues : chronique des années Wade-Sarkozy", 2013). Je publie régulièrement des chroniques dans divers journaux sénégalais (en particulier « Nouvel Horizon » et "Sud Quotidien").

lundi 22 octobre 2012

HOLLANDE PEUT-IL "EFFACER" LE DISCOURS DE SARKOZY A DAKAR ?



NB Texte publié dans "Sud Quotidien" du 12 octobre 2012

Le président français sera à Dakar ce 12 octobre. Pour quelques heures : c’est toujours en heures qu’il faut calculer la durée des séjours que les Grands du monde passent sous nos cieux. Leur objectif principal n’est pas de prendre le temps de nous connaître, mais de se faire acclamer par des foules dont l’enthousiasme est à la mesure des primes reçues et que leurs médias portent au loin leurs paroles et leurs actes. C’est du reste mieux ainsi, parce que leur séjour perturbe notre quotidien, nous coûte cher en logistique, que nos services de protocole et de sécurité en sortent épuisés, mais surtout, frustrés d’être dépossédés de leurs responsabilités par l’ « assistance » étrangère.

François Hollande sera donc chez nous, et, au Sénégal comme en France, on spécule. Va-t-il tenter d’ « effacer » le discours prononcé par Nicolas Sarkozy le 26 juillet 2007, rassurer les Africains et donner à ses hôtes l’image d’une France plus généreuse et mieux instruite de leur histoire ? Ce n’est pas ce que nous devrions attendre de ce voyage et ce serait d’ailleurs une illusion que de croire qu’un simple discours peut réparer les dégâts d’une adresse qui n’a jamais été reniée par son auteur. Il n’appartient même pas à François Hollande de répondre à Sarkozy : les Français n’étaient pas les destinataires des propos et ce n’est pas leur histoire qui a été mise en cause. Enfin c’est aller trop vite en besogne que de croire que l’alternance politique qui a eu lieu en France suffit pour faire changer les choses. La manière a changé, le contenu bien moins, et  le discours et les actes du plus populaire des ministres de François Hollande ne sont pas très éloignés de ceux tenus ou conduits sous son prédécesseur.

Mais le malentendu est aussi à un autre niveau. Que pourrait nous dire François Hollande  pour effacer le discours de Sarkozy ? Rétablir la vérité historique ? C’est commettre une grosse erreur que de croire que c’est par ses connotations historiques que le discours de Sarkozy est blessant. L’histoire de l’Afrique n’est pas une terra incognita et il suffisait à Sarkozy (ou à sa plume) de se plonger un court instant dans l’ouvrage que d’éminents historiens lui ont consacré sous l’égide de l’Unesco pour éviter de tomber dans les poncifs. Le discours de Dakar choque parce qu’il est politique, ses inexactitudes historiques sont moins flagrantes que le mépris qui s’en dégage. La réponse qui doit lui être donnée doit venir, non des historiens, mais des politiques, et elle ne peut être qu’africaine. Nos chefs d’Etat ont manqué à leur devoir en gardant le silence devant cette agression. 

Que reste-t-il comme recours aujourd’hui ?

Il nous faut d’abord observer que  l’exercice auquel se prêtent les présidents français a cette particularité qu’il ne prévoit aucune réponse : l’invité livre son « message », se fait applaudir et s’en va ! C’est une prestation sans risque puisque les auditoires qui y sont conviés sont composés de gens sages et mesurés, triés sur le volet. Sarkozy s’était exprimé devant le gratin de l’Université et de la nomenklatura politique et il ne s’était trouvé personne pour quitter la salle, comme les pays occidentaux le font aux Nations-Unies quand s’expriment les présidents de l’Iran, du Zimbabwe ou de Cuba. De Tiaytou où il repose, le parrain des lieux, chantre des origines, a du lancer un tonitruant cri de colère. Hollande est encore plus à l’abri des chahuts puisqu’il s’exprimera devant le Parlement, instance peu familière aux rebellions.

La réponse n’a donc pas eu lieu quand il le fallait. Aujourd’hui ce qui s’impose à nous, c’est de faire plus qu’un discours, c’est de changer radicalement de comportement. C’est de rompre avec cette « inégalité des termes de l’échange » qui nous lient avec l’ancienne métropole, en matière de diplomatie comme tout simplement en dignité. La  Françafrique n’existe pas seulement parce que la France l’a voulue, mais d’abord parce que les Africains s’en accommodaient. « Dieu ne change pas le sort des hommes tant qu’eux–mêmes n’ont pas changé », dit un verset du Coran. On pourrait paraphraser cette sentence divine en affirmant que la Françafrique ne disparaitra pas tant que les Africains eux-mêmes, et non la France, ne lui refuseront pas le droit d’existence. Si le Commonwealth ne connait pas de dérives de ce genre, c’est qu’on y respecte ce principe intangible des relations entre nations et qui est la réciprocité. 

Que nos présidents cessent donc de se précipiter à Paris aussitôt après leur élection, comme s’ils reconnaissaient que l’examen, c’est-à-dire leur élection, a bien lieu en Afrique mais que le diplôme, c’est-à-dire la reconnaissance internationale, est toujours délivré à Paris.

Qu’ils cessent d’intriguer pour que leur pays soit le premier à accueillir le président de la république française (ou celui des Etats-Unis), comme si c’était la seule consécration qui avait un sens à leurs yeux.

Que nos gouvernants  cessent de donner de nous l’image de peuples plus enclins à la bamboula qu’au travail et refusent de paralyser notre économie et notre administration, sous prétexte que nous recevons, pour quelques heures, la visite d’un hôte venu des pays du Nord, alors que les visites de nos chefs d’Etat dans ces pays passent inaperçues. A moins que cette frénésie populaire ne soit la contrepartie de l’aide qu’ils nos apportent, ce qui serait bien mesquin !

Qu’ils refusent de laisser nos hôtes du Nord se comporter chez nous comme en pays conquis et fassent chez nous ce qu’ils nous refusent chez eux. Qu’est-ce que Laurent Fabius, qui est « ministre des affaires étrangères », est allé faire dans la banlieue dakaroise ? Au lieu de rencontrer les animateurs de «  Y en a Marre », pourquoi n’a-t-il pas accordé la même attention aux étudiants et chercheurs sénégalais dont les préoccupations sont de sa compétence ? La France peut-elle tolérer qu’un ministre africain, en visite officielle chez elle, taille bavette avec les  animateurs de SOS Racisme ou du CRAN, s’intéresse aux conditions d’insertion au travail des jeunes Français issus de la « diversité », à Saint-Denis ou à Créteil,   défende leurs intérêts contre ceux qui les traitent de « racaille », refuse de serrer la main d’un ministre condamné pour injures racistes ! Ou qu’un chef d’Etat africain s’inquiète des quotas de reconduction à la frontière ou des tests Adn  pour contrôler le regroupement familial. Sarkozy avait répondu à cette question en faisant savoir au président Wade qu’il ne lui appartenait pas de définir la politique d’immigration de la France.

Certes il faut condamner la violation des droits de l’homme, mais à condition de le faire partout où ça se passe, et pas en aparté en Chine et avec éclat en Afrique. La situation des libertés est bien plus aléatoire en Arabie Saoudite qu’en RDC et pourtant on n’a jamais entendu une autorité française exiger des élections libres et transparentes dans la monarchie pétrolière. Quant à la bonne gouvernance, la situation qui prévaut actuellement en Grèce montre que les Européens devraient aussi balayer devant leurs portes. 

Mais, pour en revenir au discours de Sarkozy, ce qu’il nous faut refuser désormais c’est cette propension des chefs d’Etats du Nord à se servir de nos capitales comme tribunes pour nous faire la leçon, nous tancer ou nous menacer, nous dire ce que nous devons faire pour leur plaire. A Dakar, Sarkozy était allé encore plus loin. Il avait convoqués les Africains devant leurs misères, dont ils étaient les seuls responsables selon lui. Il avait justifié l’injustifiable et, lui qui n’avait encore que quelques mois d’expérience présidentielle, leur avait livré un kit de développement pour sortir de la nuit.

Si François Hollande veut, non pas effacer mais marquer sa différence avec Sarkozy, qu’il s’abstienne donc de s’ériger en donneur de leçons, qu’il parle de la France et ce qu’elle peut offrir en fraternité, et ne donne pas l’impression qu’il connait nos intérêts mieux que nous-mêmes, qu’il exprime non de la compassion mais du respect.

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