NB Texte publié dans "Sud Quotidien" du 12 octobre 2012
Le président français sera à Dakar ce 12 octobre. Pour
quelques heures : c’est toujours en heures qu’il faut calculer la durée
des séjours que les Grands du monde passent sous nos cieux. Leur objectif
principal n’est pas de prendre le temps de nous connaître, mais de se faire
acclamer par des foules dont l’enthousiasme est à la mesure des primes reçues
et que leurs médias portent au loin leurs paroles et leurs actes. C’est du
reste mieux ainsi, parce que leur séjour perturbe notre quotidien, nous coûte
cher en logistique, que nos services de protocole et de sécurité en sortent
épuisés, mais surtout, frustrés d’être dépossédés de leurs responsabilités par
l’ « assistance » étrangère.
François Hollande sera donc chez nous, et, au Sénégal comme
en France, on spécule. Va-t-il tenter d’ « effacer » le discours
prononcé par Nicolas Sarkozy le 26 juillet 2007, rassurer les Africains et
donner à ses hôtes l’image d’une France plus généreuse et mieux instruite de
leur histoire ? Ce n’est pas ce que nous devrions attendre de ce voyage et
ce serait d’ailleurs une illusion que de croire qu’un simple discours peut
réparer les dégâts d’une adresse qui n’a jamais été reniée par son auteur. Il
n’appartient même pas à François Hollande de répondre à Sarkozy : les
Français n’étaient pas les destinataires des propos et ce n’est pas leur
histoire qui a été mise en cause. Enfin c’est aller trop vite en besogne que de
croire que l’alternance politique qui a eu lieu en France suffit pour faire
changer les choses. La manière a changé, le contenu bien moins, et le discours et les actes du plus populaire des
ministres de François Hollande ne sont pas très éloignés de ceux tenus ou
conduits sous son prédécesseur.
Mais le malentendu est aussi à un autre niveau. Que pourrait
nous dire François Hollande pour effacer
le discours de Sarkozy ? Rétablir la vérité historique ? C’est
commettre une grosse erreur que de croire que c’est par ses connotations
historiques que le discours de Sarkozy est blessant. L’histoire de l’Afrique
n’est pas une terra incognita et il suffisait à Sarkozy (ou à sa plume) de se
plonger un court instant dans l’ouvrage que d’éminents historiens lui ont
consacré sous l’égide de l’Unesco pour éviter de tomber dans les poncifs. Le
discours de Dakar choque parce qu’il est politique, ses inexactitudes historiques
sont moins flagrantes que le mépris qui s’en dégage. La réponse qui doit lui
être donnée doit venir, non des historiens, mais des politiques, et elle ne
peut être qu’africaine. Nos chefs d’Etat ont manqué à leur devoir en gardant le
silence devant cette agression.
Que reste-t-il comme recours aujourd’hui ?
Il nous faut d’abord observer que l’exercice auquel se prêtent les présidents
français a cette particularité qu’il ne prévoit aucune réponse : l’invité livre
son « message », se fait applaudir et s’en va ! C’est une
prestation sans risque puisque les auditoires qui y sont conviés sont composés
de gens sages et mesurés, triés sur le volet. Sarkozy s’était exprimé devant le
gratin de l’Université et de la nomenklatura politique et il ne s’était trouvé
personne pour quitter la salle, comme les pays occidentaux le font aux
Nations-Unies quand s’expriment les présidents de l’Iran, du Zimbabwe ou de Cuba.
De Tiaytou où il repose, le parrain des lieux, chantre des origines, a du
lancer un tonitruant cri de colère. Hollande est encore plus à l’abri des
chahuts puisqu’il s’exprimera devant le Parlement, instance peu familière aux rebellions.
La réponse n’a donc pas eu lieu quand il le fallait. Aujourd’hui
ce qui s’impose à nous, c’est de faire plus qu’un discours, c’est de changer
radicalement de comportement. C’est de rompre avec cette « inégalité des
termes de l’échange » qui nous lient avec l’ancienne métropole, en matière
de diplomatie comme tout simplement en dignité. La Françafrique n’existe pas seulement parce que
la France l’a voulue, mais d’abord parce que les Africains s’en accommodaient. « Dieu
ne change pas le sort des hommes tant qu’eux–mêmes n’ont pas changé », dit
un verset du Coran. On pourrait paraphraser cette sentence divine en affirmant
que la Françafrique ne disparaitra pas tant que les Africains eux-mêmes, et non
la France, ne lui refuseront pas le droit d’existence. Si le Commonwealth ne
connait pas de dérives de ce genre, c’est qu’on y respecte ce principe
intangible des relations entre nations et qui est la réciprocité.
Que nos présidents cessent donc de se précipiter à Paris
aussitôt après leur élection, comme s’ils reconnaissaient que l’examen, c’est-à-dire
leur élection, a bien lieu en Afrique mais que le diplôme, c’est-à-dire la
reconnaissance internationale, est toujours délivré à Paris.
Qu’ils cessent d’intriguer pour que leur pays soit le premier
à accueillir le président de la république française (ou celui des Etats-Unis),
comme si c’était la seule consécration qui avait un sens à leurs yeux.
Que nos gouvernants
cessent de donner de nous l’image de peuples plus enclins à la bamboula
qu’au travail et refusent de paralyser notre économie et notre administration,
sous prétexte que nous recevons, pour quelques heures, la visite d’un hôte venu
des pays du Nord, alors que les visites de nos chefs d’Etat dans ces pays
passent inaperçues. A moins que cette frénésie populaire ne soit la contrepartie
de l’aide qu’ils nos apportent, ce qui serait bien mesquin !
Qu’ils refusent de laisser nos hôtes du Nord se comporter
chez nous comme en pays conquis et fassent chez nous ce qu’ils nous refusent
chez eux. Qu’est-ce que Laurent Fabius, qui est « ministre des affaires
étrangères », est allé faire dans la banlieue dakaroise ? Au lieu de
rencontrer les animateurs de « Y en a Marre », pourquoi n’a-t-il
pas accordé la même attention aux étudiants et chercheurs sénégalais dont les
préoccupations sont de sa compétence ? La France peut-elle tolérer qu’un
ministre africain, en visite officielle chez elle, taille bavette avec les animateurs de SOS Racisme ou du CRAN, s’intéresse
aux conditions d’insertion au travail des jeunes Français issus de la
« diversité », à Saint-Denis ou à Créteil, défende leurs intérêts contre ceux qui les
traitent de « racaille », refuse de serrer la main d’un ministre
condamné pour injures racistes ! Ou qu’un chef d’Etat africain s’inquiète
des quotas de reconduction à la frontière ou des tests Adn pour contrôler le regroupement familial. Sarkozy
avait répondu à cette question en faisant savoir au président Wade qu’il ne lui
appartenait pas de définir la politique d’immigration de la France.
Certes il faut condamner la violation des droits de l’homme,
mais à condition de le faire partout où ça se passe, et pas en aparté en Chine
et avec éclat en Afrique. La situation des libertés est bien plus aléatoire en
Arabie Saoudite qu’en RDC et pourtant on n’a jamais entendu une autorité
française exiger des élections libres et transparentes dans la monarchie pétrolière.
Quant à la bonne gouvernance, la situation qui prévaut actuellement en Grèce
montre que les Européens devraient aussi balayer devant leurs portes.
Mais, pour en revenir au discours de Sarkozy, ce qu’il nous
faut refuser désormais c’est cette propension des chefs d’Etats du Nord à se
servir de nos capitales comme tribunes pour nous faire la leçon, nous tancer ou
nous menacer, nous dire ce que nous devons faire pour leur plaire. A Dakar,
Sarkozy était allé encore plus loin. Il avait convoqués les Africains devant
leurs misères, dont ils étaient les seuls responsables selon lui. Il avait
justifié l’injustifiable et, lui qui n’avait encore que quelques mois d’expérience
présidentielle, leur avait livré un kit de développement pour sortir de la
nuit.
Si François Hollande veut, non pas effacer mais marquer sa
différence avec Sarkozy, qu’il s’abstienne donc de s’ériger en donneur de
leçons, qu’il parle de la France et ce qu’elle peut offrir en fraternité, et ne
donne pas l’impression qu’il connait nos intérêts mieux que nous-mêmes, qu’il
exprime non de la compassion mais du respect.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire