Je suis historien et géographe de formation. J'ai été enseignant-formateur à l’Ecole Normale Supérieure (ENS) de Dakar, puis en charge de différentes structures et directions administratives. A la retraite depuis plusieurs années, je profite de ma liberté recouvrée pour assouvir une vieille passion : écrire. Ces dernières années, j’ai publié deux romans («Mon villages au temps des blancs » en 2000 et «La Raparille» en 2010) ainsi que trois essais (« A mes chers parents gaulois » en 2007 ; "Wade Mecum ou le wadisme en 15 mots" en 2010; "Le temps des choses jamais vues : chronique des années Wade-Sarkozy", 2013). Je publie régulièrement des chroniques dans divers journaux sénégalais (en particulier « Nouvel Horizon » et "Sud Quotidien").

mercredi 17 juillet 2013

OBAMA ET NOUS


NB Texte publie en juin 2013 (in "Sud Quotidien")

Faut-il s’en glorifier ou se désoler que le président de la première puissance économique du monde (pour quelques années encore!) ait choisi notre pays pour sa première vraie tournée sur le continent africain ? Le Sénégal est en effet le seul pays africain francophone inscrit sur ce court périple et, depuis cinq ans l’un des trois du continent, après le Ghana et avec la Tanzanie – (car l’Afrique du Sud  est hors concours : on la visite pour elle-même et pour …Mandela !) – à « mériter » de recevoir un chef d’Etat qui avait fait de ses origines africaines un des atouts de sa première campagne électorale. La visite d’un président des Etats-Unis est un événement qui se prépare à l’avance et l’on peut être sûr que depuis des semaines, des mois peut-être, les services de sécurité américains sont, d’une manière ou d’une autre, présents sur notre territoire, pour sonder notre sol, humer notre air, s’assurer qu’ils sont compatibles avec notre illustre visiteur. On peut aussi être sûr, comme ce fut le cas avec G.W. Bush, que cette visite nous privera, pour un temps, d’une partie de notre souveraineté et de nos libertés, et que pendant quelques heures Gorée sera sous administration américaine.

Le jeu en vaut-il la chandelle ? La visite d’Obama sera-t-elle chèrement payée ?

Observons d’abord que la presse occidentale qui avait traité l’Afrique de « nouvelle colonie de la Chine » lorsque le président nouvellement élu de ce pays lui avait rendu visite, n’utilisera pas les mêmes termes pour décrire la tournée du président américain. Pourtant Obama aussi justifie son déplacement par le souci, notamment, de « renforcer les investissements et le commerce » avec le continent noir. Mais pour les médias du Nord, c’est évident : si  la Chine vient en Afrique pour des intérêts bassement mercantiles, l’Europe et les Etats-Unis s’y rendent pour propager des valeurs et sauver des vies !

Mais ceci est un autre débat…

Comme nous aurions aimé accueillir le président Barak Obama dans la chaleur d’une fraternité retrouvée, sans réserves, avec enthousiasme et espoir, comme on accueille un enfant prodigue qui revient auréolé de gloire au pays de ses aïeux ! En 2008, pour la première fois dans l’histoire du monde, l’élection d’un seul Chef d’Etat, la sienne, avait pris la tournure d’un enjeu universel. Les Américains oseront-ils ? se demandait-on partout dans le monde. Plus exactement pourront-ils ? Pourront-ils solder un contentieux vieux de plusieurs siècles et porter à la tête de leur pays le représentant de cette minorité noire à laquelle la majorité d’entre eux refusait les droits les plus élémentaires, il y a seulement cinquante ans ?

Quelques repères, à titre d’exemples, pour montrer d’où ils viennent.

En 1955, l’africaine américaine Rosa Parks avait été arrêtée parce qu’elle, la négresse, avait osé refuser de céder sa place, dans un bus, à un blanc. C’était au temps de la discrimination raciale, qui était de règle dans les transports publics, les jardins, les hôtels  et restaurants, etc.

En 1962, il avait fallu solliciter l’armée et la police pour faire admettre un étudiant noir, James Meredith, au sein de l’université, jusque là ségrégationniste, du Mississipi. Malgré son courage et sa détermination Meredith n’avait pas pu tenir longtemps face à l’hostilité générale et avait été contraint de poursuivre ses études à l’université d’Ibadan, au Nigéria.

En 1965, l’exaspération était devenue si forte qu’elle s’était muée en révolte et avait mis en feu un faubourg de Los Angeles, Watts, et fait 34 morts et un millier de maisons et d’édifices  saccagés ou incendiés.

En 1968, le pasteur Martin Luther King, Prix Nobel de la Paix, avait été assassiné à Memphis, alors qu’il combattait, sans violence, pour les droits civiques fondamentaux. Un crime raciste parmi d’autres…

Le défi d’Obama a un nom : « Yes we can ! »

Les Américains ont donc osé, et c’est un événement remarquable, même si Obama n’est pas tout à fait ce qu’on en a dit ou voulu en faire. D’abord il est, pourrait-on dire, aussi blanc que noir, même si, aux Etats-Unis, la notion de mulâtre n’existe pas et que la moindre goutte de sang noir fait de vous un Noir. Ensuite, même s’il est noir, Obama n’est pas descendant d’esclave, son père est un Africain d’Afrique, un intellectuel, et il ne porte pas le spleen de ceux dont les ancêtres ont vécu et souffert dans les champs de coton et les maisons patriciennes. Il a d’ailleurs grandi au milieu de sa famille blanche, connait à peine ses racines africaines et sa jeunesse ressemble plus à celle d’un enfant de la classe moyenne qu’à celle des enfants des ghettos noirs…

Il reste néanmoins que l’élection d’un « noir » à la tête de la première puissance du monde a constitué un grand et symbolique moment, une révolution culturelle, le triomphe de la démocratie et de la tolérance. Sa prestation de serment a ému toute l’Afrique et fait naître chez nous des sentiments de fierté et d’espoir… Cinq ans plus tard, avons-nous des raisons de penser qu’Obama est, non pas un bon président pour les Américains, mais un président américain plus porté que ses prédécesseurs à prêter une oreille attentive à nos problèmes, à sentir plus profondément notre besoin à être mieux considérés, mieux compris ? Le bilan est loin d’être satisfaisant et force est de reconnaître qu’Obama n’a pas répondu aux multiples attentes qui pesaient sur sa tête : celles des Africains, celles de ses compatriotes noirs, celles des défenseurs des droits de l’homme.

S’il n’a pas renié ses racines africaines, il n’a guère cherché à les mettre en valeur. De même qu’il n’avait mis en exergue son prénom musulman d’Hussein que par nécessité, au moment de sa prestation de serment, de même plutôt que de fouler la terre natale de son père et de risquer quelques mots en swahili, il a préféré célébrer ses miraculeuses et opportunes origines irlandaises en allant boire une pinte de Guinness avec ses parents celtes, dans l’obscur village de Moneygall. On ne l’a pas entendu défendre les positions de l’Union Africaine, notamment lorsqu’elle a condamné le recours à la force en Libye, contre l’avis de la France. On ne l’a pas entendu non plus prendre en charge l’idée d’un Plan Marshall au profit du continent noir et ses promesses au sein du G8 restent pour la plupart des vœux pieux. C’est le Japon, et non les Etats-Unis, qui a pris l’engagement de consacrer à l’Afrique l’équivalent de 16.000 milliards CFA au cours des prochaines années, dont 500 milliards destinés à un plan de stabilisation du Sahel. C’est la Chine qui a construit le nouveau siège de l’Union Africaine à Addis-Abeba, c’est le Brésil qui a pris en charge l’élaboration du dernier tome de l’Histoire de l’Afrique, etc. C’est peut-être symbolique, mais c’est avec des symboles que l’on construit les fraternités.

Obama a vite compris que les voix des Noirs américains ne suffisaient pas pour gagner une élection présidentielle et, contrairement à Lula, il ne s’est pas beaucoup investi pour réduire le nombre de pauvres aux Etats-Unis (et les pauvres ce sont d’abord les Noirs). Certes il n’a pas chez lui les pouvoirs  d’un président africain, mais il faut reconnaître que son plan de réforme de la protection sociale, qui était un de ses grands engagements, est un plan à minima qui soulage mais ne guérit pas.

Il avait promis de fermer Guantanamo dès son premier mandat. Il a entamé son dernier mandat et le bagne continue d’abriter des prisonniers politiques, détenus en dehors de tout cadre légal, national ou international. Près de 800 prisonniers y sont passés, 4 seulement ont été reconnus coupables, il en reste plus de 160 qui n’ont jamais été ni jugés ni inculpés et contre lesquels aucune  charge n’a été formellement retenue. Leur condition de détention s’est considérablement dégradée sous Obama, la moitié d’entre eux est en grève de la faim depuis des mois, nourrie de force par sonde gastrique, en toute illégalité et en toute cruauté.

Les services de sécurité américains n’hésitent pas, même sous Obama, à violer la souveraineté d’un pays africain, par exemple en kidnappant un officier supérieur bissau-guinéen pour le juger aux Etats-Unis, alors qu’aucun tribunal du monde n’est autorisé à traduire en justice un citoyen  américain, fût-il coupable de crime. Comme au temps de Bush Junior, les drones américains, avec aux commandes la CIA et non pas l’armée, tuent de par le monde, de l’Afghanistan au Yémen, des centaines d’innocents, y compris des femmes et des enfants !

Barak Obama n’a pas pu éviter les errements de W. Bush. Son gouvernement a laissé prospérer ce qui apparaît désormais comme une affaire de cyber-surveillance jamais vue dans un Etat démocratique. Les écoutes  (téléphone, mail, vidéo, etc.) mises en place par l’Agence Nationale de Sécurité des Etats-Unis, qu’il justifie en invoquant la lutte contre le terrorisme, portent plus atteinte aux libertés des pays du Sud et des pays musulmans qu’à celles des citoyens américains qui, eux, sont protégés par le 4eme amendement.

Obama avait nommé un envoyé spécial au Proche Orient dès sa prise de pouvoir et tout le monde pensait, en se fondant sur ses origines, qu’il allait combattre l’injustice et secourir le plus faible. Au contraire, Israël n’a jamais été aussi arrogant, jamais il n’a autant défié, bafoué, un président américain et Obama a couvert toutes les outrances du gouvernement d’extrême droite israélien. Non seulement le dialogue israélo-palestinien est interrompu mais, en poursuivant la construction de nouvelles colonies, à grande échelle, au nez et à la barbe des Etats-Unis, le Premier Ministre Netanyahou a remis en cause la clé de voûte de toute négociation de paix…

En juillet 2008, Obama, qui n’était encore que simple candidat à l’élection présidentielle, avait été acclamé à Berlin par 200.000 fanatiques, malgré les réticences du gouvernement local. Il y a quelques jours, ils n’étaient que quelques milliers de Berlinois à l’accueillir sur la mythique porte de Brandebourg, avec l’appui des moyens et en présence des autorités allemandes. C’est le signe qu’il n’est plus qu’un président ordinaire des Etats-Unis d’Amérique, un parmi d’autres !


C’est ce président là que nous recevrons ce 26 juin. Faisons preuve de courtoisie et de respect pour le peuple américain. Mais réservons notre cœur pour d’autres occasions…

Aucun commentaire: