NB Texte publie en juin 2013 (in "Sud Quotidien")
Faut-il s’en glorifier ou se désoler que le président de la première
puissance économique du monde (pour quelques années encore!) ait choisi notre
pays pour sa première vraie tournée sur le continent africain ? Le Sénégal
est en effet le seul pays africain francophone inscrit sur ce court périple et,
depuis cinq ans l’un des trois du continent, après le Ghana et avec la Tanzanie
– (car l’Afrique du Sud est hors concours :
on la visite pour elle-même et pour …Mandela !) – à « mériter »
de recevoir un chef d’Etat qui avait fait de ses origines africaines un des
atouts de sa première campagne électorale. La visite d’un président des
Etats-Unis est un événement qui se prépare à l’avance et l’on peut être sûr que
depuis des semaines, des mois peut-être, les services de sécurité américains sont,
d’une manière ou d’une autre, présents sur notre territoire, pour sonder notre sol,
humer notre air, s’assurer qu’ils sont compatibles avec notre illustre visiteur.
On peut aussi être sûr, comme ce fut le cas avec G.W. Bush, que cette visite
nous privera, pour un temps, d’une partie de notre souveraineté et de nos
libertés, et que pendant quelques heures Gorée sera sous administration américaine.
Le jeu en vaut-il la chandelle ? La visite d’Obama
sera-t-elle chèrement payée ?
Observons d’abord que la presse occidentale qui avait traité l’Afrique de
« nouvelle colonie de la Chine » lorsque le président nouvellement
élu de ce pays lui avait rendu visite, n’utilisera pas les mêmes termes pour
décrire la tournée du président américain. Pourtant Obama aussi justifie son déplacement
par le souci, notamment, de « renforcer les investissements et le
commerce » avec le continent noir. Mais pour les médias du Nord, c’est
évident : si la Chine vient en
Afrique pour des intérêts bassement mercantiles, l’Europe et les Etats-Unis s’y
rendent pour propager des valeurs et sauver des vies !
Mais ceci est un autre débat…
Comme nous aurions aimé accueillir le président Barak Obama dans la chaleur
d’une fraternité retrouvée, sans réserves, avec enthousiasme et espoir, comme
on accueille un enfant prodigue qui revient auréolé de gloire au pays de ses aïeux !
En 2008, pour la première fois dans l’histoire du monde, l’élection d’un seul
Chef d’Etat, la sienne, avait pris la tournure d’un enjeu universel. Les
Américains oseront-ils ? se demandait-on partout dans le monde. Plus
exactement pourront-ils ? Pourront-ils solder un contentieux vieux de
plusieurs siècles et porter à la tête de leur pays le représentant de cette
minorité noire à laquelle la majorité d’entre eux refusait les droits les plus
élémentaires, il y a seulement cinquante ans ?
Quelques repères, à titre d’exemples, pour montrer d’où ils viennent.
En 1955, l’africaine américaine Rosa Parks avait été arrêtée parce qu’elle,
la négresse, avait osé refuser de céder sa place, dans un bus, à un blanc. C’était
au temps de la discrimination raciale, qui était de règle dans les transports publics,
les jardins, les hôtels et restaurants,
etc.
En 1962, il avait fallu solliciter l’armée et la police pour faire admettre
un étudiant noir, James Meredith, au sein de l’université, jusque là ségrégationniste,
du Mississipi. Malgré son courage et sa détermination Meredith n’avait pas pu
tenir longtemps face à l’hostilité générale et avait été contraint de
poursuivre ses études à l’université d’Ibadan, au Nigéria.
En 1965, l’exaspération était devenue si forte qu’elle s’était muée en
révolte et avait mis en feu un faubourg de Los Angeles, Watts, et fait 34 morts
et un millier de maisons et d’édifices
saccagés ou incendiés.
En 1968, le pasteur Martin Luther King, Prix Nobel de la Paix, avait été
assassiné à Memphis, alors qu’il combattait, sans violence, pour les droits
civiques fondamentaux. Un crime raciste parmi d’autres…
Le défi d’Obama a un nom : « Yes we
can ! »
Les Américains ont donc osé, et c’est un événement remarquable, même si
Obama n’est pas tout à fait ce qu’on en a dit ou voulu en faire. D’abord il
est, pourrait-on dire, aussi blanc que noir, même si, aux Etats-Unis, la notion
de mulâtre n’existe pas et que la moindre goutte de sang noir fait de vous un Noir.
Ensuite, même s’il est noir, Obama n’est pas descendant d’esclave, son père est
un Africain d’Afrique, un intellectuel, et il ne porte pas le spleen de ceux
dont les ancêtres ont vécu et souffert dans les champs de coton et les maisons
patriciennes. Il a d’ailleurs grandi au milieu de sa famille blanche, connait à
peine ses racines africaines et sa jeunesse ressemble plus à celle d’un enfant
de la classe moyenne qu’à celle des enfants des ghettos noirs…
Il reste néanmoins que l’élection d’un « noir » à la tête de la
première puissance du monde a constitué un grand et symbolique moment, une
révolution culturelle, le triomphe de la démocratie et de la tolérance. Sa
prestation de serment a ému toute l’Afrique et fait naître chez nous des
sentiments de fierté et d’espoir… Cinq ans plus tard, avons-nous des raisons de
penser qu’Obama est, non pas un bon président pour les Américains, mais un
président américain plus porté que ses prédécesseurs à prêter une oreille
attentive à nos problèmes, à sentir plus profondément notre besoin à être mieux
considérés, mieux compris ? Le bilan est loin d’être satisfaisant et force
est de reconnaître qu’Obama n’a pas répondu aux multiples attentes qui pesaient
sur sa tête : celles des Africains, celles de ses compatriotes noirs,
celles des défenseurs des droits de l’homme.
S’il n’a pas renié ses racines africaines, il n’a guère cherché à les
mettre en valeur. De même qu’il n’avait mis en exergue son prénom musulman d’Hussein que par nécessité, au moment
de sa prestation de serment, de même plutôt que de fouler la terre natale de
son père et de risquer quelques mots en swahili, il a préféré célébrer ses
miraculeuses et opportunes origines irlandaises en allant boire une pinte de Guinness
avec ses parents celtes, dans l’obscur village de Moneygall. On ne l’a pas
entendu défendre les positions de l’Union Africaine, notamment lorsqu’elle a
condamné le recours à la force en Libye, contre l’avis de la France. On ne l’a
pas entendu non plus prendre en charge l’idée d’un Plan Marshall au profit du
continent noir et ses promesses au sein du G8 restent pour la plupart des vœux
pieux. C’est le Japon, et non les Etats-Unis, qui a pris l’engagement de
consacrer à l’Afrique l’équivalent de 16.000 milliards CFA au cours des
prochaines années, dont 500 milliards destinés à un plan de stabilisation du Sahel.
C’est la Chine qui a construit le nouveau siège de l’Union Africaine à Addis-Abeba,
c’est le Brésil qui a pris en charge l’élaboration du dernier tome de
l’Histoire de l’Afrique, etc. C’est peut-être symbolique, mais c’est avec des
symboles que l’on construit les fraternités.
Obama a vite compris que les voix des Noirs américains ne suffisaient pas
pour gagner une élection présidentielle et, contrairement à Lula, il ne s’est
pas beaucoup investi pour réduire le nombre de pauvres aux Etats-Unis (et les
pauvres ce sont d’abord les Noirs). Certes il n’a pas chez lui les
pouvoirs d’un président africain, mais
il faut reconnaître que son plan de réforme de la protection sociale, qui était
un de ses grands engagements, est un plan à minima qui soulage mais ne guérit
pas.
Il avait promis de fermer Guantanamo dès son premier mandat. Il a entamé
son dernier mandat et le bagne continue d’abriter des prisonniers politiques,
détenus en dehors de tout cadre légal, national ou international. Près de 800
prisonniers y sont passés, 4 seulement ont été reconnus coupables, il en reste
plus de 160 qui n’ont jamais été ni jugés ni inculpés et contre lesquels
aucune charge n’a été formellement
retenue. Leur condition de détention s’est considérablement dégradée sous Obama,
la moitié d’entre eux est en grève de la faim depuis des mois, nourrie de force
par sonde gastrique, en toute illégalité et en toute cruauté.
Les services de sécurité américains n’hésitent pas, même sous Obama, à violer
la souveraineté d’un pays africain, par exemple en kidnappant un officier
supérieur bissau-guinéen pour le juger aux Etats-Unis, alors qu’aucun tribunal
du monde n’est autorisé à traduire en justice un citoyen américain, fût-il coupable de crime. Comme au
temps de Bush Junior, les drones américains, avec aux commandes la CIA et non
pas l’armée, tuent de par le monde, de l’Afghanistan au Yémen, des centaines d’innocents,
y compris des femmes et des enfants !
Barak Obama n’a pas pu éviter les errements de W. Bush. Son gouvernement a laissé
prospérer ce qui apparaît désormais comme une affaire de cyber-surveillance
jamais vue dans un Etat démocratique. Les écoutes (téléphone, mail, vidéo, etc.) mises en place
par l’Agence Nationale de Sécurité des Etats-Unis, qu’il justifie en invoquant
la lutte contre le terrorisme, portent plus atteinte aux libertés des pays du
Sud et des pays musulmans qu’à celles des citoyens américains qui, eux, sont
protégés par le 4eme amendement.
Obama avait nommé un envoyé spécial au Proche Orient dès sa prise de
pouvoir et tout le monde pensait, en se fondant sur ses origines, qu’il allait
combattre l’injustice et secourir le plus faible. Au contraire, Israël n’a
jamais été aussi arrogant, jamais il n’a autant défié, bafoué, un président américain
et Obama a couvert toutes les outrances du gouvernement d’extrême droite
israélien. Non seulement le dialogue israélo-palestinien est interrompu mais,
en poursuivant la construction de nouvelles colonies, à grande échelle, au nez
et à la barbe des Etats-Unis, le Premier Ministre Netanyahou a remis en cause
la clé de voûte de toute négociation de paix…
En juillet 2008, Obama, qui n’était encore que simple candidat à l’élection
présidentielle, avait été acclamé à Berlin par 200.000 fanatiques, malgré les
réticences du gouvernement local. Il y a quelques jours, ils n’étaient que
quelques milliers de Berlinois à l’accueillir sur la mythique porte de
Brandebourg, avec l’appui des moyens et en présence des autorités allemandes.
C’est le signe qu’il n’est plus qu’un président ordinaire des Etats-Unis
d’Amérique, un parmi d’autres !
C’est ce président là que nous recevrons ce 26 juin. Faisons preuve de
courtoisie et de respect pour le peuple américain. Mais réservons notre cœur
pour d’autres occasions…
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