L’Afrique,
la jeunesse africaine, les défenseurs de la Renaissance africaine, ne peuvent
pas s’enorgueillir des événements que nous avons vécus au cours de ces derniers
jours. Tous démontrent à l’envi que, plus de cinquante ans après l’octroi des
premières indépendances, nous n’avons pas réussi à faire deux conquêtes qui font la force des grandes
nations du Nord. Nous n’avons pas pu amener nos chefs politiques à placer
l’intérêt des peuples qu’ils gouvernent au-dessus de leurs propres intérêts ni
les empêcher de ne prolonger leur pouvoir que par des expédients. Nous n’avons
pas réussi à faire en sorte que nos partenaires du Nord cessent de nous
gouverner par personne interposée et de nous contraindre à ne lire le monde
qu’au travers de leur propre spectre.
Impuissance, indécence, indignité…
Il y
eut donc d’abord l’impuissance. La victoire de Mugabe aux élections du Zimbabwe
est une défaite pour l’Afrique, non pas à cause de ce que l’Occident dit du
personnage et qui est faux ou exagéré, mais parce que c’est un pis aller pour
un pays dont plus de la moitié de la population a moins de vingt ans que d’être
contraint de porter au pouvoir un vieil homme de près de 90 ans et qui l’exerce
déjà depuis plus de trois décennies. Les Zimbabwéens avaient en quelque sorte
le choix entre la peste et le choléra. Ils ont choisi Mugabe parce que son
adversaire est de manière si évidente le candidat de l’étranger que la peur
qu’il remette en cause les acquis, réels de la réforme agricole, le rend
pestiféré. Tsvangirai est une création de l’Occident, son parti a été créé de
toutes pièces et est financé par des lobbies britanniques ou américains et
autour de lui gravitent des Blancs de sinistre mémoire qui cherchent à se faire
une nouvelle virginité. Les électeurs ont donc choisi le choléra qu’ils
fréquentent depuis des décennies, plutôt que la peste qui pourrait leur faire
perdre tout, y compris l’honneur.
Il y
eut aussi l’indécence. Blaise Compaoré a accédé au pouvoir par le sang et par
la traitrise. Au pouvoir depuis plus d’un quart de siècle, il a été érigé
depuis plus d’une décennie en parrain de la sous-région. Lui qui ne laisse à
son opposition qu’une parcelle du pouvoir, qui est accusé d’être mêlé à des
assassinats politiques, est devenu, par la volonté de la « communauté
internationale », le négociateur en chef des crises africaines, au point
qu’on a même « oublié » de le citer au procès de Charles Taylor dont
il fut proche comme cul et chemise pendant des années. Cette semaine, au lieu
de commencer le processus de retrait du pouvoir et de préparer la relève, il
tente de nouvelles manœuvres que ses collègues et ses protecteurs approuvent et
qui toutes visent, par la création d’un Sénat, à légitimer son maintien à la
tête de l’Etat.
Il y
eut aussi l’indignité. L’ex. capitaine Sanogo a la baraka. Il a pris le pouvoir
par les armes et dissous les institutions démocratiquement élues, lui le petit capitaine,
dans un pays qui comptait des dizaines de généraux. Sa milice a joué aux
cow-boys pendant des mois, arrêtant à tour de bras des civils (dont Soumaïla Cissé)
et des militaires, torturant des détenus, défiant la CEDEAO et l’ONU auxquelles
elle contestait le droit d’intervenir au Mali ! Et voila qu’il est promu
général 4 étoiles par un Président de la République, peut-être légal mais pas
légitime, que ses sbires avaient battu, dénudé et laissé pour mort. De qui
Dioncounda Traoré, président de compromis, tient-il le pouvoir de porter un
putschiste au sommet de l’armée, et comment se justifiera-t-il devant son
opinion ? S’agit-il d’un deal comme, on en signe entre bandits de grands
chemins, ou d’un diktat imposé par une tierce partie ? La transition au
Mali se termine dans l’infamie et il appartient désormais au président élu de
faire oublier à ses concitoyens la déroute de leur armée et la capitulation de
leurs politiques.
…et un bain
de sang en apothéose !
Il y eut,
enfin l’horreur. Comment cela s’appelle-t-il quand un homme ou un groupe d’hommes,
des soldats notamment, s’emparent soudainement du pouvoir, destituent les
autorités en place pour leur substituer un pouvoir civil ou militaire qu’ils contrôlent ? Cela
dépend ! En Egypte le général Al Sissi a renversé le président de la
République élu au suffrage universel et qu’il servait au titre de ministre, il
a dissout les institutions, mis au secret les opposants, il a nommé un
président fantoche dont il tire les ficelles, mais, dit-le ministre français
des Affaires Etrangères, on ne peut pas appeler cela un « coup
d’état », parce que si on le faisait on serait obligé de prendre des
sanctions ! Voila donc à quoi tiennent quelquefois les décisions des
chancelleries des grands de ce monde, voila comment la politique extérieure est
devenue un jeu de relations dans lequel un petit nombre de pays imposent aux
autres leurs sentiments, leurs desseins, leurs ambitions. Cela donne donc tous
les droits au Général Al Sissi, y compris celui de tirer sur des foules de manifestants
sans armes qui refusent cet acte sans nom et l’audace de reconnaître que son
armée a fait quand même 600 morts, ce
qui est sans doute au dessous de la vérité. Où sont donc passés les aboyeurs qui,
il y a quelques semaines, s’offusquaient des attaques que la police turque
lançait contre les manifestants qui occupaient les places d’Istanbul ou
d’Ankara ? Pour les morts du Caire – (plus de 2000 selon les partisans de
Morsi) – aucune chancellerie, à Washington, Paris ou Londres n’a, ici encore,
osé prononcer le mot « massacre ». Le massacre n’est pas une question
de nombre, tout dépend de l’identité des victimes ! Il ne suffit pas, dit
un éminent penseur, de convenir de l’existence d’un fait, il faut aussi
convenir de son importance. Hélas, l’important n’est pas à notre discrétion, et
au scandale du bain de sang s’ajoute celui de sa banalisation, même si les
images, quand on veut les montrer, sont édifiantes. Le massacre de 2000
« islamistes » reste une broutille, et peut-être même le prix à payer
pour ramener l’Egypte dans le giron de l’Occident. Voila pourquoi la seule
sanction prononcée par le président Obama est le report de manœuvres militaires
communes, tandis que la France se contente d’appeler l’armée à « la
retenue ». C’est une réprobation de pure convenance qui, au Caire, a été
interprétée comme une autorisation de poursuivre la répression comme au beau
temps de Moubarak.
Cette
semaine était aussi celle de l’anniversaire de la tuerie de Marikana qui fit
plus de 30 victimes parmi des mineurs en grève, abattus froidement par la
police sud-africaine. Le record est battu : en Egypte on a de toute
évidence franchi le cap du millier de morts, et ce n’est que le début !
Rude
semaine pour l’Afrique.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire