Il y a dix ans la diplomatie française connaissait un de ses plus beaux titres de gloire.
Pour la première fois sans doute dans l’histoire des Nations-Unies, le
représentant d’un membre permanent du Conseil de Sécurité, Dominique de Villepin
en l’occurrence, était ovationné par l’ensemble des nations du monde, à
l’exception des Etats-Unis, du Royaume Uni, et d’Israël évidemment. Et encore : on ne peut pas
dire qu’au fond de leur cœur les délégués des deux premiers pays n’aient pas plutôt
sacrifié leur conviction intime au profit de leur sentiment patriotique puisque
le Secrétaire d’Etat américain, Colin Powell, regrettera publiquement son
discours et parlera de tromperie.
Fallujah, avant Damas
Pour balayer toute équivoque Villepin avait rappelé à ses collègues que le
débat ne portait pas sur la culpabilité du président irakien, mais sur la
manière de le combattre. « Aucun d’entre nous, avait-il rappelé, n’éprouve
la moindre complaisance à l’égard de Saddam Hussein et du régime irakien ».
On est aujourd’hui dans la même position vis-à-vis de Bachar El Assad et de son
régime. On n’avait que trop toléré les excès de sa dictature, qui avait
bénéficié, faut-il le rappeler, de la complaisance de certains, parmi lesquels
Nicolas Sarkozy qui avait fait de lui l’invité d’honneur de la fête nationale
française. A fortiori on ne peut tolérer qu’il écrase (?) les populations
civiles sous les bombes chimiques, même si d’illustres chefs d’état de pays
dits « civilisés » avaient commis le même crime sans être inquiétés.
Sans remonter à la guerre du Vietnam, rappelons tout de même qu’en 2004,
l’armée américaine avait lancé une
opération intensive de bombardement sur la ville irakienne de Fallujah, lâchant
sur des femmes et des enfants, principalement, des bombes enrichies au
phosphore blanc et à l’uranium. Aujourd’hui Fallujah est une zone interdite (y compris aux membres de
l’l’AIEA !) et selon le professeur Chris Bubsy, Secrétaire scientifique du
Comité européen sur les risques liés aux radiations, sa population serait
ravagée par le cancer, la mortalité infantile et les malformations génétiques.
Les Etats-Unis sont, et de loin, le pays qui a eu le plus souvent recours aux
armes chimiques et si l’humanisme n’est pas à géométrie variable, les défenseurs
des droits de l’homme du Nord devraient aussi s’inquiéter du sort des
populations de Fallujah et réclamer justice…
Aujourd’hui aussi le débat porte sur les voies par lesquelles on peut
mettre un terme aux pratiques criminelles d’un régime et rétablir la démocratie.
En 2003, à la tribune des Nations-Unies, Villepin rappelait que la guerre était
toujours « la sanction d’un échec » et que personne ne pouvait
affirmer qu’elle « pourrait déboucher sur un monde plus sûr, plus juste, plus stable
». Il proposait donc d’aller au désarmement de l’Irak d’abord par la voie des
inspections et, en cas d’échec, « l’examen par le Conseil de Sécurité de
toutes les options, y compris celle du recours à la force ». Comme on le
voit, il proposait à la fois une stratégie et une caution, qui toutes ont été
rejetées par le président Bush. Les américains sont donc passés outre, ils ont
gagné la guerre, mais ils n’ont pas rétabli la paix en Irak.
La France
à la remorque de l’Amérique
Dix ans après le discours de Villepin, la France se retrouve dans le même
isolement que celui des Etats-Unis en 2003 et, pour emboucher les trompettes de
la guerre, elle use de la méthode qu’elle avait condamnée. Paradoxalement,
c’est un président socialiste qui prône le recours exclusif à la force, et à
force de vouloir démontrer qu’il n’est pas ce que l’on croit, François Hollande
semble traumatisé par les fantômes de
ses deux principaux adversaires aux primaires socialistes et à l’élection
présidentielle de 2012. Martine Aubry l’avait
traité de symbole de la « gauche
molle » et le voila qui bande les muscles. Sarkozy avait eu
sa « guerre de Libye », Hollande veut sa « guerre de
Syrie ». Il ne se satisfait plus de ses bains de foule à Tombouctou et du
« plus beau jour de sa vie » vécu à Bamako, car, malgré cinquante ans
d’absence de troupes françaises sur son sol, le Mali reste pour lui un élément
du pré carré de la France, et il n’y a aucune gloire à reprendre ce qui vous
appartenait déjà. Il sera donc BHL, Sarkozy, Bush et la CIA. Tout comme son prédécesseur
il fera de la reconnaissance prématurée de l’opposition comme autorité légitime le point d’orgue de
sa politique, alors même que les antis Assad n’étaient d’accord sur rien. Il ne
tient aucun compte de son opinion publique, majoritairement opposée à la guerre,
ni des avis d’une frange importante de l’opposition syrienne, ni évidemment, de
ceux du Pape. Contrairement au Premier Ministre britannique, il refuse que son
Parlement se prononce, ce qu’il avait pourtant préconisé lors de la crise irakienne.
Comme Bush en 2003, Il ignore superbement la commission d’enquête internationale,
et ne s’est résolu à attendre la publication de son rapport que sous la
pression de l’Allemagne. De toute façon, l’enquête, il l’a déjà faite, par ses
propres services, comme l’avaient fait naguère les services de renseignements américains, en
annonçant la découverte d’armes de destruction massive dont on ne verra jamais
les traces ! Enfin, et c’est une première pour la diplomatie française, il
se dit prêt à se passer de l’assentiment de l’ONU, ignorant une fois encore cet
avertissement lancé par Villepin en 2003 : s’il y a la guerre, « ce
sont les Nations-Unies qui resteront demain, quoiqu’il arrive, au cœur de la paix
à construire ». Il est vrai que la mission que s’assigne Hollande consiste
seulement « à punir Assad », elle est d’ordre moral et non politique,
comme si le rétablissement de l’ordre et de la justice était secondaire.
Patatras ! Tout s’écroule ! Parce que la témérité de François
Hollande reposait sur ce postulat : la France ne serait pas seule et,
comme toujours, le gros œuvre reposerait sur la force de frappe américaine. A
la différence du Mali, la Syrie a une armée et c’est même désormais la
seule armée arabe susceptible d’opposer une certaine résistance à Israël. Ce
n’est pas la lointaine Australie, seul pays à lui offrir son aide, qui assurera
à la France la couverture aérienne indispensable à son opération punitive.
Voila pourquoi les hésitations et reculs d’Obama mettent le président français dans
une situation inédite : il est suspendu aux décisions du Congrès américain
et, sachant l’attachement que les Sénateurs portent à leurs électeurs, la
politique extérieure française se fera
donc conformément aux intérêts des Etats-Unis d’Amérique.
Hollande veut aller en guerre, mais il n’en maîtrise pas le calendrier et
il attend la permission d’Obama pour la conduire ! De Gaulle, qui avait
fait de l’indépendance de l’initiative de la France l’axe principal de sa
politique extérieure, doit se retourner dans sa tombe !
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