NB Texte publié dans "Sud Quotidien" (édition du 4 juillet 2013)
Dans
le code pénal français, l’abus de faiblesse est défini comme le fait d’exercer
sur une personne dont la particulière
vulnérabilité est apparente, des
pressions dans le but de la conduire à faire des actes préjudiciables pour elle.
C’est en vertu de cela que des personnes ont été mises en examen pour s’être enrichies en profitant de l’âge et de
la (supposée) fragilité mentale de la femme la plus riche de France, Liliane Betancourt.
S’il
existait un tribunal des Nations, on pourrait y traduire les grandes puissances,
et de manière générale les pays du Nord, et les accuser de profiter de notre
faiblesse pour user du même subterfuge pour nous contraindre, nous pays du Sud, et tout particulièrement les pays africains,
à mettre en place des réformes, à voter des lois, à engager des actions qui ne sont
pas conformes à notre culture, qui ne respectent pas nos intérêts, ou qui ne
constituent pas pour nous une priorité. Notre « vulnérabilité apparente »,
connue de nos partenaires, c’est notre pauvreté, le fait que nous sommes
redevables de leur aide, que, souvent, notre sécurité même dépend de leurs armées.
C’était,
hier, abus de faiblesse que de profiter des dissensions internes du continent
africain et de la balkanisation de sa diplomatie pour envoyer des forces
européennes en Libye alors que l’Union Africaine s’était prononcée pour une
solution négociée. Ce ne sont pourtant pas des troupes du Nigéria ou d’Afrique
su Sud qui ont pacifié la Bosnie, et depuis le président Monroe le nouveau
monde est interdit aux troupes extra-américaines.
C’est
abus de faiblesse, aujourd’hui, que de profiter de la déliquescence du Mali pour
exiger de son gouvernement qu’il organise des élections à une date que sa CENI,
la seule institution qualifiée pour en fixer le calendrier, juge irréaliste. C’était
déjà le cas, il y a quelques années, lorsqu’un autre gouvernement français
avait sommé Laurent Gbagbo de tenir des élections sans se préoccuper des autres
exigences d’une consultation démocratique.
C’est
abus de faiblesse encore que de profiter du complexe culturel et éthique qui
nous rend si envieux du monde occidental pour poser comme conditions pour la
conclusion d’accords de partenariat que les pays africains appliquent chez eux
des lois qui ne rencontrent pas l’adhésion de leurs populations, blessent
quelquefois leurs sentiments religieux ou moraux, sous le seul prétexte que ces
lois sont, sous d’autres cieux, considérées comme les seuls symboles de
l’émancipation et du progrès. C’est le cas, aujourd’hui, des lois sur les
tolérances sexuelles, ce sera, peut-être, demain, le cas sur le suicide assisté
autorisé déjà dans certains pays européens. Le journaliste qui a posé au
président sénégalais la question sur la dépénalisation de l’homosexualité
osera-t-il demander au roi d’Arabie pourquoi les Saoudiennes ne peuvent ni
voter ni même conduire une voiture, osera-t-il interpeller publiquement le
président chinois et exiger qu’il arrête les exécutions massives ?
Le
procès de l’ancien président tchadien que la « communauté internationale »
(qui se résume à une dizaine de pays !) impose au Sénégal, et en partie
aux frais de notre budget, est aussi un signe de cet abus de faiblesse dont
sont victimes les pays africains. Hissène Habré a-t-il tué des Tchadiens
innocents ? Oui très certainement, même s’il appartient à la Justice de
tenter d’en déterminer le nombre exact. Il a tué, comme ont tué tous ceux qui
ont accédé au pouvoir par les armes et s’y sont maintenus par les armes. Le
débat n’est pas à ce niveau. Ce qui est en cause, c’est l’acharnement dont ont
fait preuve certains pays du Nord et certaines de leurs organisations, après
dix ans de silence, pour le traduire en justice. Ce qui est insupportable,
c’est la pression qu’ils ont exercée sur le Sénégal pour que leur soit livré
l’ancien président tchadien et qu’ils le jugent suivant leurs normes, ou, à défaut,
pour le traduire devant la justice, au Sénégal, mais selon leurs conditions,
alors même que les Sénégalais avaient fini par oublier sa présence sur leur
sol, tant elle était restée discrète. La Belgique, qui n’a pas encore jugé les
assassins de Lumumba, s’est ainsi montrée particulièrement zélée, offrant les
services de sa justice universelle, à ceci près qu’elle épargne les Etats-Unis
et Israël. Enfin, au sein de Human Rights Watch, on avait comme l’impression
qu’on y était prêt à passer l’éponge sur les dérives des capitaines Dadis
Camara ou Sanogo et que M. Reed Brody était commis à temps plein sur une seule
cible…
S’il
faut juger tous les anciens présidents africains coupables de crimes ou de tortures,
alors les Euro-américains devraient aussi exfiltrer des pays du Golfe où ils se
la coulent douce, les anciens présidents Ben Ali et Maouiya Ould Sid Ahmed Taya,
ou de son asile du Zimbabwe, l’ancien dictateur
Mengistu Haïlé Mariam (s’il est encore en vie !) que l’intraitable
Mugabe tient sous sa protection ! Le
premier, tout comme Habré, n’a pas quitté son pays les mains vides, le second avait
tenté un nettoyage ethnique qui a privé la Mauritanie de plusieurs de ses
cadres négro-africains, et quant au troisième, connu sous le nom du
« Négus Rouge », il a déjà été condamné, in absentia, pour génocide, par la justice de son pays et serait
responsable de 2 millions de morts. Il est vrai que ces bourreaux n’ont sacrifié que leurs
compatriotes alors que Habré a commis la suprême faute de tuer un officier
européen !
Pourquoi
d’ailleurs ne s’en tenir qu’à l’Afrique et, en ne visant que les chefs d’Etat
qui ne sont plus en fonctions, pourquoi ne pas demander, par exemple, à
l’ancien président W. Bush de s’expliquer, entre autres crimes, sur les tortures pratiquées sous ses ordres à Abu Graïa
ou à Guantanamo et qu’il a reconnues ? Puis, ce sera au tour de son
complice des mauvais coups, l’ancien Premier Ministre britannique Tony Blair,
qui a menti à son pays. Pourraient suivre l’émir démissionnaire du Qatar,
financier des terroristes, et tous les anciens Premiers Ministres vivants d’Israël.
Les cours pénales de chefs d’Etats ont de beaux jours devant elles !
Enfin
peut-on juger Hissène Habré avec pour procureur et bailleur de fonds Idriss Deby
qui fut le commandant en chef de son armée, son conseiller à la Présidence
chargé de la défense et de la sécurité
et le commissaire chargé des mêmes responsabilités au sein de son parti ?
Même si l’on est à une autre échelle de crime, c’est comme si l’on jugeait
Hitler avec Goebbels ou Himmler dans le
rôle de l’avocat général !
Le
Sénégal va donc organiser un procès aux ordres, exigé, circonscrit, réglementé,
financé par des gouvernements extérieurs. Il s’est vu imposer un tribunal ad
hoc qui n’existe nulle part au monde, juteux pour ses personnels, ruineux pour
notre pays et qui sanctionnera sans doute Habré et ses éventuels complices
(dont peut-être des Sénégalais !), sans offrir une compensation matérielle
aux survivants des exactions. Il nous reste, pour sauver l’honneur, de faire en
sorte que le déroulement du procès n’obéisse pas aux intérêts de l’étranger et
que son verdict ne soit pas forcément celui qu’il en attend. N’ajoutons pas au
dépit de n’avoir tenu ce tribunal que contraints et forcés, l’impardonnable
faute de rendre, à la face du monde, une justice embedded, bancale ou peu respectueuse de la dignité humaine, y
compris celle de l’accusé.
Il
n’y a pas, dit un de nos proverbes, à rougir du fait que l’on vous sert un
repas dans la gamelle d’un chien, le déshonneur c’est d’accepter d’y manger !
1 commentaire:
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