Je suis historien et géographe de formation. J'ai été enseignant-formateur à l’Ecole Normale Supérieure (ENS) de Dakar, puis en charge de différentes structures et directions administratives. A la retraite depuis plusieurs années, je profite de ma liberté recouvrée pour assouvir une vieille passion : écrire. Ces dernières années, j’ai publié deux romans («Mon villages au temps des blancs » en 2000 et «La Raparille» en 2010) ainsi que trois essais (« A mes chers parents gaulois » en 2007 ; "Wade Mecum ou le wadisme en 15 mots" en 2010; "Le temps des choses jamais vues : chronique des années Wade-Sarkozy", 2013). Je publie régulièrement des chroniques dans divers journaux sénégalais (en particulier « Nouvel Horizon » et "Sud Quotidien").

mercredi 17 juillet 2013

AFFAIRE HISSENE HABRE : UNE HISTOIRE D’ABUS DE FAIBLESSE…

NB Texte publié dans "Sud Quotidien" (édition du 4 juillet 2013)

Dans le code pénal français, l’abus de faiblesse est défini comme le fait d’exercer sur une personne dont la particulière vulnérabilité est apparente, des pressions dans le but de la conduire à faire des actes préjudiciables pour elle. C’est en vertu de cela que des personnes ont été mises en examen pour  s’être enrichies en profitant de l’âge et de la (supposée) fragilité mentale de la femme la plus riche de France, Liliane Betancourt.

S’il existait un tribunal des Nations, on pourrait y traduire les grandes puissances, et de manière générale les pays du Nord, et les accuser de profiter de notre faiblesse pour user du même subterfuge pour nous contraindre, nous pays  du Sud, et tout particulièrement les pays africains, à mettre en place des réformes, à voter des lois, à engager des actions qui ne sont pas conformes à notre culture, qui ne respectent pas nos intérêts, ou qui ne constituent pas pour nous une priorité. Notre « vulnérabilité apparente », connue de nos partenaires, c’est notre pauvreté, le fait que nous sommes redevables de leur aide, que, souvent, notre sécurité même  dépend de leurs armées.

C’était, hier, abus de faiblesse que de profiter des dissensions internes du continent africain et de la balkanisation de sa diplomatie pour envoyer des forces européennes en Libye  alors que l’Union Africaine s’était prononcée pour une solution négociée. Ce ne sont pourtant pas des troupes du Nigéria ou d’Afrique su Sud qui ont pacifié la Bosnie, et depuis le président Monroe le nouveau monde est interdit aux troupes extra-américaines.

C’est abus de faiblesse, aujourd’hui, que de profiter de la déliquescence du Mali pour exiger de son gouvernement qu’il organise des élections à une date que sa CENI, la seule institution qualifiée pour en fixer le calendrier, juge irréaliste. C’était déjà le cas, il y a quelques années, lorsqu’un autre gouvernement français avait sommé Laurent Gbagbo de tenir des élections sans se préoccuper des autres exigences d’une consultation démocratique.

C’est abus de faiblesse encore que de profiter du complexe culturel et éthique qui nous rend si envieux du monde occidental pour poser comme conditions pour la conclusion d’accords de partenariat que les pays africains appliquent chez eux des lois qui ne rencontrent pas l’adhésion de leurs populations, blessent quelquefois leurs sentiments religieux ou moraux, sous le seul prétexte que ces lois sont, sous d’autres cieux, considérées comme les seuls symboles de l’émancipation et du progrès. C’est le cas, aujourd’hui, des lois sur les tolérances sexuelles, ce sera, peut-être, demain, le cas sur le suicide assisté autorisé déjà dans certains pays européens. Le journaliste qui a posé au président sénégalais la question sur la dépénalisation de l’homosexualité osera-t-il demander au roi d’Arabie pourquoi les Saoudiennes ne peuvent ni voter ni même conduire une voiture, osera-t-il interpeller publiquement le président chinois et exiger qu’il arrête les exécutions massives ?

Le procès de l’ancien président tchadien que la « communauté internationale » (qui se résume à une dizaine de pays !) impose au Sénégal, et en partie aux frais de notre budget, est aussi un signe de cet abus de faiblesse dont sont victimes les pays africains. Hissène Habré a-t-il tué des Tchadiens innocents ? Oui très certainement, même s’il appartient à la Justice de tenter d’en déterminer le nombre exact. Il a tué, comme ont tué tous ceux qui ont accédé au pouvoir par les armes et s’y sont maintenus par les armes. Le débat n’est pas à ce niveau. Ce qui est en cause, c’est l’acharnement dont ont fait preuve certains pays du Nord et certaines de leurs organisations, après dix ans de silence, pour le traduire en justice. Ce qui est insupportable, c’est la pression qu’ils ont exercée sur le Sénégal pour que leur soit livré l’ancien président tchadien et qu’ils le jugent suivant leurs normes, ou, à défaut, pour le traduire devant la justice, au Sénégal, mais selon leurs conditions, alors même que les Sénégalais avaient fini par oublier sa présence sur leur sol, tant elle était restée discrète. La Belgique, qui n’a pas encore jugé les assassins de Lumumba, s’est ainsi montrée particulièrement zélée, offrant les services de sa justice universelle, à ceci près qu’elle épargne les Etats-Unis et Israël. Enfin, au sein de Human Rights Watch, on avait comme l’impression qu’on y était prêt à passer l’éponge sur les dérives des capitaines Dadis Camara ou Sanogo et que M. Reed Brody était commis à temps plein sur une seule cible…

S’il faut juger tous les anciens présidents africains coupables de crimes ou de tortures, alors les Euro-américains devraient aussi exfiltrer des pays du Golfe où ils se la coulent douce, les anciens présidents Ben Ali et Maouiya Ould Sid Ahmed Taya, ou de son asile du Zimbabwe, l’ancien dictateur  Mengistu Haïlé Mariam (s’il est encore en vie !) que l’intraitable Mugabe  tient sous sa protection ! Le premier, tout comme Habré, n’a pas quitté son pays les mains vides, le second avait tenté un nettoyage ethnique qui a privé la Mauritanie de plusieurs de ses cadres négro-africains, et quant au troisième, connu sous le nom du « Négus Rouge », il a déjà été condamné, in absentia, pour génocide, par la justice de son pays et serait responsable de 2 millions de morts. Il est vrai que ces  bourreaux n’ont sacrifié que leurs compatriotes alors que Habré a commis la suprême faute de tuer un officier européen !

Pourquoi d’ailleurs ne s’en tenir qu’à l’Afrique et, en ne visant que les chefs d’Etat qui ne sont plus en fonctions, pourquoi ne pas demander, par exemple, à l’ancien président W. Bush de s’expliquer, entre autres crimes, sur les  tortures pratiquées sous ses ordres à Abu Graïa ou à Guantanamo et qu’il a reconnues ? Puis, ce sera au tour de son complice des mauvais coups, l’ancien Premier Ministre britannique Tony Blair, qui a menti à son pays. Pourraient suivre l’émir démissionnaire du Qatar, financier des terroristes, et tous les anciens Premiers Ministres vivants d’Israël. Les cours pénales de chefs d’Etats ont de beaux jours devant elles !

Enfin peut-on juger Hissène Habré avec pour procureur et bailleur de fonds Idriss Deby qui fut le commandant en chef de son armée, son conseiller à la Présidence chargé de la défense et de la sécurité  et le commissaire chargé des mêmes responsabilités au sein de son parti ? Même si l’on est à une autre échelle de crime, c’est comme si l’on jugeait Hitler avec  Goebbels ou Himmler dans le rôle de l’avocat général !

Le Sénégal va donc organiser un procès aux ordres, exigé, circonscrit, réglementé, financé par des gouvernements extérieurs. Il s’est vu imposer un tribunal ad hoc qui n’existe nulle part au monde, juteux pour ses personnels, ruineux pour notre pays et qui sanctionnera sans doute Habré et ses éventuels complices (dont peut-être des Sénégalais !), sans offrir une compensation matérielle aux survivants des exactions. Il nous reste, pour sauver l’honneur, de faire en sorte que le déroulement du procès n’obéisse pas aux intérêts de l’étranger et que son verdict ne soit pas forcément celui qu’il en attend. N’ajoutons pas au dépit de n’avoir tenu ce tribunal que contraints et forcés, l’impardonnable faute de rendre, à la face du monde, une justice embedded, bancale ou peu respectueuse de la dignité humaine, y compris celle de l’accusé.


Il n’y a pas, dit un de nos proverbes, à rougir du fait que l’on vous sert un repas dans la gamelle d’un chien, le déshonneur c’est d’accepter d’y manger ! 

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Vraiment intéressant ce post. Est-ce que vous avez un flux RSS ?
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