Je suis historien et géographe de formation. J'ai été enseignant-formateur à l’Ecole Normale Supérieure (ENS) de Dakar, puis en charge de différentes structures et directions administratives. A la retraite depuis plusieurs années, je profite de ma liberté recouvrée pour assouvir une vieille passion : écrire. Ces dernières années, j’ai publié deux romans («Mon villages au temps des blancs » en 2000 et «La Raparille» en 2010) ainsi que trois essais (« A mes chers parents gaulois » en 2007 ; "Wade Mecum ou le wadisme en 15 mots" en 2010; "Le temps des choses jamais vues : chronique des années Wade-Sarkozy", 2013). Je publie régulièrement des chroniques dans divers journaux sénégalais (en particulier « Nouvel Horizon » et "Sud Quotidien").

lundi 1 novembre 2010

« LA FRANCE, TU L’AIMES OU TU LA QUITTES…ET, SI TU L’AIMES, PRENDS GARDE A TOI ! »

NB Ce texte a été publié en juillet 2010 dans un journal dakarois

Après le discours de Dakar, celui de Grenoble…

Quelle leçon y-a-t-il encore à tirer, quel modèle y-a-t-il à emprunter à la France de Nicolas Sarkozy pour que treize Chefs d’Etats africains acceptent de jouer les faire-valoir, se plient à cette humble fonction de figurants muets et anonymes à la fête française du 14 juillet 2010, au motif que c’était aussi une occasion de commémorer le cinquantenaire des indépendances de leurs pays respectifs et la « fraternité» de leurs armées ? Quelle drôle idée d’abord de délivrer le diplôme à Paris quand l’examen a été fait en Afrique et quelle inconvenance que de fêter son anniversaire chez « l’ami », plus fort, plus puissant que vous, qui vous impose ses rites et ses symboles, plutôt que chez soi, au milieu des siens et à sa mesure… Le sage peulh nous dit pourtant que le taureau doit parader et se battre dans son village, car c’est là qu’on prendra parti pour lui, qu’il sera reconnu et qu’on l’acclamera.

Si les Chefs d’Etat d’Afrique francophone s’inclinent à Paris ce 14 juillet 2010, comme l’avaient fait leurs prédécesseurs cinquante ans plus tôt, ce qui est tout un symbole, Nicolas Sarkozy pour sa part, poursuit le chemin de dénigrement entamé à Dakar. Plus Fouché qu’Obama, il demeure un policier, un inquisiteur qui depuis presque dix ans, depuis sa nomination au poste de ministre de l’intérieur, a fait de la sécurité de la France son principal slogan électoral et de la lutte contre les immigrés la seule arme pour l’assurer. Elu Président de la République, il avait vite abattu ses cartes en créant un ministère qui conjugue identité nationale et immigration, et invité les immigrés à faire un choix : « La France, tu l’aimes ou tu la quittes ! ». A Grenoble, en juillet dernier, il s’est fait encore plus pressant et plus menaçant : il établit désormais un lien étroit entre immigration et délinquance. Mais ne vous trompez pas de cible : l’ « immigré » pour Sarkozy, né de père hongrois longtemps apatride, marié à une italienne naturalisée française, c’est essentiellement, sinon exclusivement, celui qui vient d’au-delà de la Méditerranée, le « géant noir » des banlieues, le « caïd » beur des cités, l’Arabe ou l’Africain, même s’ils sont nés en France. A défaut de les passer au « karcher », ce qui ne se fait plus, il va user donc de lois très opportunistes pour les punir. Cela fait près de dix ans qu’il renforce l’arsenal répressif contre eux, sans réussir à juguler l’insécurité, mais le filon reste éminemment rentable, comme le prouvent les derniers sondages opérés en France. La politique du bouc émissaire est une tactique électorale très connue mais, comme le dit la députée écologiste européenne Eva Joly, qui est loin d’être une extrémiste, le tir de barrage permanent de Sarkozy contre les immigrés, contre les « gens du voyage », qui sont pourtant d’ «authentiques » Français, et contre les Roms s’apparente bien à « un racisme d’Etat ».

« Issu de l’immigration » : un péché !

Il y a tout de même un paradoxe français. Voila un pays qui, contrairement aux pays anglo-saxons, Etats-Unis ou Canada entre autres, impose une « assimilation » totale à ceux qui prétendent à sa nationalité. La France ne tolère pas les « communautés », les exceptions culturelles en son sein, les survivances régionalistes. Pour être Français, il faut se dépouiller de tout ce qui vous lie à votre pays d’origine, et l’on sait quelles ambigüités cela avait provoqué sous le régime colonial. Mais, au-delà de l’immigration proprement dite, cette exigence a marqué tout le vécu français puisque les régions françaises se sont vu imposer les lois d’une république monoculturelle qui ont amputé leur héritage historique. Cette politique d’assimilation se nourrit depuis peu de surenchères : des voix s’élèvent aujourd’hui pour réclamer le bannissement de prénoms qui, comme Mouloud ou Fatou, détonnent parmi les noms de baptême français et Mme Yade se garde bien de préciser qu’elle s’appelle Ramatoulaye. L’Islam, deuxième religion de France, revendique bien 5 à 6 millions de fidèles, mais pour certains il n’est tolérable que s’il est « français », si ses pratiquants ne sont musulmans que superficiellement, sans ostentation ni prétention, s’ils se contentent de mosquées sans minarets, se plient aux us vestimentaires et alimentaires du Français de référence. S’ils mangent du porc et boivent du vin, on est même prêt alors à les considérer comme de bons Auvergnats…à condition qu’ils ne soient pas trop nombreux tout de même !

Mais pour Sarkozy, l’assimilation ne suffit pas pour effacer le passé. Etre « issu de l’immigration » c’est une tare indélébile, un péché originel dont on ne peut jamais se démettre. A Grenoble, il l’a rappelé à tous ces Français de « fraîche » date qui croyaient qu’ils étaient devenus des Français comme les autres. Danny Boon se croyait pur ch’ti, Sarkozy lui rappelle que sous son écorce de fils du Nord et son nom de trappeur, il y a le dur noyau de fils de maghrébin. Les héros des championnats européens d’athlétisme de Barcelone, les Myriam Soumaré ou Leslie Dhjone, qui avaient préféré la France à la Mauritanie ou à la Côte d’Ivoire de leurs parents, Rama Yade qui ne se dit jamais d’origine sénégalaise mais Française « née à l’étranger », en sont pour leurs frais : il ne leur suffit pas d’aimer la France, qu’ils sachent qu’en cas de faute grave, ils seront doublement sanctionnés, d’abord en tant que criminels, puis en tant qu’issus de l’immigration ! Si pour le même crime, leurs camarade et collègue Ch. Lemaître et Roselyne Bachelot, qui ont le privilège d’être des Français « souchiens », ne risquent que la prison, conformément à la loi, eux seront, en outre, déchus de la nationalité française. Quitte à se retrouver apatrides ! Quant à leurs parents, ils seront jugés responsables des délits de leurs enfants mineurs et sanctionnés à leur tour, de privations d’allocations familiales, voire de prison ! Si cela ne suffit pas, les maires des communes qui les accueillent seront traînés devant la justice ! Et si cela ne suffit pas encore, l’expulsion voire la déchéance seront prononcées pour des motifs plus futiles : vols répétés ou « mendicité agressive » ! Un humoriste français a posé cette question pertinente : quels crimes restent autorisés aux Français « issus de l’immigration », s’ils veulent continuer à conserver la nationalité française ?

La double peine c’est seulement pour ceux qui sont issus de l’immigration !

La France « s’africanise » !

La France d’aujourd’hui n’est plus un modèle de démocratie, ni en matière de respect des droits de l’Homme, comme vient de le lui rappeler l’ONU, ni en matière d’équilibre des pouvoirs. Certains n’ont pas hésité à appeler « rafles » les déguerpissements conduits contre les « gens du voyage ». D’autres trouvent des relents de « pureté » nationale dans la distinction faite entre les Français en matière de droits. Avec Sarkozy, la France est désormais ravalée au rang des pays africains dont elle moquait le pouvoir autocratique, ses dirigeants et sa classe politique versent dans les excès de langage et les improvisations. Il y a désormais un chef et quand il parle, le rôle de chaque membre de sa cour consiste à aller plus loin encore que lui. Il n’y a aujourd’hui aucune différence, dans le fond comme dans la forme, entre les imprécations de Doudou Wade et celles de Frédéric Lefebvre, entre les dérives d’Eric Besson et les élucubrations de Farba Senghor, entre la ministre Nadine Morano qui traite tous les journalistes-investigateurs de France de « hitléro-trotskistes » et les « taasu » injurieux de la députée de base du PDS. Les propositions du député Eric Ciotti sont de la même inspiration que celles qui avaient conduit à la loi Ezan. En France comme au Sénégal, il n’y a qu’ « une seule constante », le Chef de l’Etat, ses sorties sont paroles d’évangile, ses ministres sont de petits soldats qui se chargent d’en expliciter le contenu. « Français ou voyou : il faut choisir ! » clame l’un, tandis qu’un autre invente une nouvelle catégorie juridique, celle du« présumé coupable » ! Le Président de la République française peut donc ignorer un article fondamental de la constitution française qui établit que tous les citoyens français sont égaux devant la loi et que la justice ne peut être rendue en fonction de l’origine du citoyen en cause. Il peut fouler aux pieds cette règle selon laquelle la déchéance de la citoyenneté suppose que le citoyen visé dispose d’une nationalité de rechange et qu’il ne devient pas apatride. Ses propositions ne franchiront probablement pas le cap du Conseil Constitutionnel, mais qu’importe, elles sont d’abord un appât, une manière de gagner des voix sur Le Pen, une sortie pour détourner l’attention et faire oublier les échecs et les « affaires » gênantes : les Roms ont sauvé Eric Worth. Quitte à mettre en péril la cohésion nationale et les fondements de l’égalité républicaine.

Rapatrier notre dignité !

Chefs d’Etat francophones si, quelquefois, vous râliez ! Vous ne pouvez pas rester toujours indifférents au sort des sans-papiers, qui ne sont pas forcément des sans travail, dont beaucoup exercent des métiers, quelquefois au sein d’institutions publiques, s’acquittent de leurs impôts et contribuent à la résorption du déficit de la sécurité sociale française. Ils sont citoyens de vos Etats et, par leurs envois d’argent assurent, quelquefois tout seuls, la paix sociale dans vos pays. Vous ne devez pas oublier que ces jeunes Français « issus de l’immigration » sont les enfants ou les descendants de vos propres concitoyens. Pourtant aucune voix ne s’élève jamais de vos palais pour stigmatiser les dérives qui pèsent sur les Africains de France et sur les Français-africains, pour regretter le procès d’intention qui leur est fait, pour déplorer la généralisation facile et hâtive que l’on fait chaque fois que l’un d’entre eux commet un délit. Le président Sarkozy peut se permettre de tenir un « langage de vérité » à ses partenaires africains, les présidents africains sont eux condamnés à la langue de bois et à la non ingérence dans les affaires intérieures françaises. Il peut annoncer qu’il ira chercher au Tchad ses concitoyens condamnés pour escroquerie humanitaire, « quoiqu’ils aient fait », précise-t-il, mais ne vous autorise pas à vous apitoyer sur le sort de cette femme africaine traînée dans la rue, un bébé dans les bras. Il l’avait déjà dit haut et fort : « Il n’appartient pas à M. Wade de définir la politique d’immigration de la France ! ». En revanche, lorsque son représentant à Dakar s’interpose dans nos affaires intérieures, c’est notre opposition elle-même qui salue ce geste de « haute portée politique ». L’ambassadeur de France aurait donc le droit de se prononcer publiquement et dans l’exercice de ses fonctions, sur le rôle que Wade voudrait, selon lui, faire jouer à son fils, mais il serait outrecuidant que celui qui défend les intérêts du Sénégal à Paris exprime un point de vue sur les manœuvres de Sarkozy tentant d’imposer son fils à la direction de la Défense. La réciprocité est pourtant une règle intangible des relations entre nations et si la France n’éprouve aucun scrupule à soutirer, en moyenne, un milliard et demi de francs, par an, aux Sénégalais qui sollicitent un visa dans son consulat, pour « frais de dossier », il n’y a aucune raison pour que le Sénégal se dispense d’exiger les mêmes droits des Français qui veulent fouler son territoire.

C’est dire donc qu’au-delà des récriminations que nous avons le devoir de formuler lorsque nos intérêts sont en cause, il y a une impérative nécessité pour nos pays de rapatrier notre dignité, comme nous avons rapatrié nos instruments politiques. Les cinquante prochaines années devraient être celles de la reprise de l’initiative dans la conduite de notre destin. Que l’on cesse désormais de, toujours et sur tout, nous référer à l’Occident qui détiendrait seule l’étalon des valeurs universelles. Arrêtons les manifestations devant le Parlement français pour exprimer notre ressentiment contre nos propres gouvernants, les délégations dans les missions diplomatiques étrangères pour les prendre à témoin et implorer leur arbitrage. Il est aussi ridicule d’écrire à Claude Guéant pour se plaindre du mode de nomination d’un ambassadeur de France au Sénégal, que de le louer pour avoir reçu Karim Wade. Cessons de croire que les seuls bons journaux africains sont ceux qui figurent dans la revue de presse de RFI, de considérer que l’opinion de l’Occident compte plus que celle de notre population ou de nos élites.

La force de la Chine c’est qu’elle croit d’abord à elle-même...

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