Je suis historien et géographe de formation. J'ai été enseignant-formateur à l’Ecole Normale Supérieure (ENS) de Dakar, puis en charge de différentes structures et directions administratives. A la retraite depuis plusieurs années, je profite de ma liberté recouvrée pour assouvir une vieille passion : écrire. Ces dernières années, j’ai publié deux romans («Mon villages au temps des blancs » en 2000 et «La Raparille» en 2010) ainsi que trois essais (« A mes chers parents gaulois » en 2007 ; "Wade Mecum ou le wadisme en 15 mots" en 2010; "Le temps des choses jamais vues : chronique des années Wade-Sarkozy", 2013). Je publie régulièrement des chroniques dans divers journaux sénégalais (en particulier « Nouvel Horizon » et "Sud Quotidien").

dimanche 15 octobre 2017

FUSILLADES LOW COST

NB Texte Publié dans "Sud-Quotidien" du 14 octobre 2017

Une des principales différences que l’on peut établir entre la fusillade de Las Vegas et celles qui se sont déroulées récemment en France et en Grande Bretagne est qu’aux Etats-Unis, s’armer de pistolet et de fusil et tirer sur d’innocentes personnes, en pleine rue, est d’une facilité et même d’une banalité déconcertantes. En Europe, et comme dans d’autres pays du monde, les tireurs sont généralement des comploteurs souvent fichés, qui bénéficient du soutien de réseaux criminels et qui surtout prennent d’énormes risques pour se procurer ou fabriquer des armes et usent de procédures illégales et complexes. Aux Etats-Unis, la fusillade de masse est une entreprise low cost et en tant que telle, repose sur la simplification des procédures et la réduction des couts d’exploitation. N’importe quel citoyen américain peut se procurer des armes, dans des magasins qui ont pignon sur rue, peut, muni de cet attirail, se pavaner parmi les foules avec ostentation, y compris dans l’enceinte même de certaines universités, peut enfin dégainer selon ses pulsions ou son humeur. Aux Etats-Unis, résume un observateur averti, « il est très facile d’acheter une arme légalement si on n’a pas de casier judiciaire, et il est très facile d’en acheter illégalement si on en a un ! »

275 mass shootings en neuf mois…

Voilà pourquoi on a pu recenser 310 millions d’armes dans le pays de Donald Trump, soit pratiquement une arme par habitant. Voilà qui explique que depuis le début de l’année 2017, soit en l’espace de neuf mois, il y ait pu avoir près de 275 fusillades sur le territoire américain, soit une fusillade par jour ! Pour qu’une fusillade attire l’attention des médias et fasse les titres de la presse, il faut qu’elle soit le fait « d’islamistes » ou que le nombre de ses victimes sorte de l’ordinaire. On peut donc dire que, de ce point de vue, le tireur de Las Vegas, Stephen Paddock, a réussi son coup en portant le nombre de victimes d’une fusillade (58 morts, plus de 500 blessés) à un niveau jamais atteint aux Etats-Unis. Cet homme fortuné, qui n’était pas fiché par la police, que l’on prenait pour un paisible retraité, avait réussi la prouesse d’acquérir personnellement plus de 40 armes à feu (parmi lesquels des fusils automatiques dont la vente est interdite depuis les années trente !) et d’en acheminer plus de la moitié dans la luxueuse suite de son hôtel sans attirer l’attention.

11 652 personnes tuées par des armes à feu !

Mais le record battu par Paddock ne doit pas nous faire oublier que depuis le début de l’année 2017, ce sont 11 652 (onze mille six cent cinquante deux !) personnes qui ont été tuées par des armes à feu aux Etats-Unis, soit plus de 40 par jour, et détail sordide, des enfants de moins de cinq ans sont responsables de la mort de deux personnes par semaine… 

On peut donc dire sans caricaturer que les principaux tueurs de citoyens américains… ce sont les Américains eux-mêmes… En effet, contrairement aux idées reçues, il a été établi que 73% des actes létaux sont commis par des proches ou militants de groupes suprémacistes blancs alors que les membres ou sympathisants des groupes dits « jihadistes » viennent très loin derrière. La différence c’est que les criminels blancs sont en règle générale traités de « malades mentaux » (c’est le terme utilisé par Trump pour qualifier Paddock), quand les terroristes dits « islamistes » sont jugés responsables de leurs actes…

Pourtant, ni le souvenir des tueries de Colombine (13 morts, 24 blessés), Aurora (12 morts, 58 blessés), San Bernardino (16 morts, 23 blessés), Orlando (50 morts), etc. ni le pic de monstruosité atteint à Las Vegas n’ont ébranlé les convictions de Donald Trump. Il n’a nulle part évoqué la nécessité d’ouvrir un débat sur le port d’armes ou de réexaminer le très ambigu 2e Amendement. Il avait largement bénéficié du soutien et, pour sa campagne, des financements du plus puissant lobby américain, la National Rifle Association, et de ses 5 millions de membres, parmi lesquels les deux fils Trump. A peine installé à la Maison Blanche, il avait d’un trait de plume rayé les restrictions qu’Obama avait introduites pour assurer un meilleur contrôle de la circulation des armes et sera le seul président américain à se rendre à la convention de la NRA…

« La seule force c’est vous ! » (Noam Chomsky)

Donald Trump n’est pas seulement le défenseur des porteurs d’armes, il est aussi celui de ceux qui les fabriquent puisqu’il vient d’augmenter de 10% le budget militaire des Etats-Unis et de le porter à un niveau jamais atteint dans l’histoire en temps de paix. C’est un président qui obéit plus à ses instincts, souvent guerriers, qu’à la raison et qui a fait de la division un des fondements de sa politique nationale, et c’est en cela qu’il est d’abord dangereux pour ses propres concitoyens.

Il ne cesse d’opposer les pauvres, qu’il méprise, aux nantis, qui se reconnaissent en lui, contribuant ainsi à diviser son pays en deux mondes. Il y a une Amérique quasi sous développée, avec ses infrastructures délabrées, son système sanitaire défaillant, son éducation en lambeaux. Il y a une autre Amérique, celle qui revendique le titre de première super puissance mondiale et dont les habitants concentrent entre leurs mains la richesse et le pouvoir.

Trump oppose les « patriotes », qui seuls méritent le sacrifice de la nation et dont il cultive « l’égoïsme de classe », aux immigrés dont il nie la contribution au développement du pays. « Tout pour les premiers, rien pour les derniers ! » : telle pourrait être sa devise.

Il va désormais dresser les Américains armés, par peur, pour les nantis, ou par conviction militariste, pour les racistes blancs, aux populations désarmées parce qu’elles refusent la violence ou parce que, par le jeu de la ségrégation sociale et raciale, elles ont difficilement accès aux armes. Pourtant, même si l’argent devient omniprésent dans les choix politiques des citoyens américains, même si le matraquage médiatique rend les électeurs de plus en plus ignorants des enjeux, un espoir demeure pour arrêter cette dérive et il repose sur une seule force : les Américains eux-mêmes, ceux-là qui dans les années soixante avaient imposé aux politiques les droits civiques, les droits des femmes et la paix au Viêt-Nam.


C’est comme cela qu’il faut entendre la rage qui a sorti de leur silence certains haut gradés de l’armée américaine, c’est ainsi qu’il faut interpréter la grosse colère et le signe de refus des footballeurs, genoux à terre, noirs et blancs enlacés…

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