NB :
Texte publié dans « Sud-Quotidien » du 28 octobre 2017
Pendant très longtemps, les
hommes politiques ont gouverné avec des hommes et des femmes choisis dans leur
entourage politique ou triés sur le volet parmi ceux et celles dont la
compétence ou l’habileté étaient reconnues, mais en tout cas jamais dans le
cercle restreint de leurs familles biologiques. De Gaulle avait choisi comme
Premier Ministre un banquier qui n’avait jamais exercé de mandat politique,
Mitterrand un compagnon de route, Nixon s’était appuyé sur un politologue… En
Afrique les hommes qui, les premiers, ont présidé aux destinées des Etats issus
de la colonisation ont tous tenu leurs familles, épouses comprises, à l’écart
du pouvoir et jamais aucun ministre de Senghor, Houphouët-Boigny, Modibo Keita,
Nkrumah… n’a commis l’impair de proclamer publiquement qu’il devait son poste
et sa bonne fortune à l’épouse du chef de l’Etat…
… patrimonialisation du pouvoir
Les choses ont changé et on
a désormais l’impression, surtout en Afrique, que les gouvernants ne font plus
confiance qu’à leur entourage familial, que le pouvoir se « patrimonialise »,
que des dynasties politiques se créent comme au beau temps des monarchies absolues.
Comme toutes les modes, celle-ci est née et a prospéré d’abord au Nord et l’un
de ses initiateurs n’était autre que le président Kennedy qui, au début des
années soixante, avait fait de son frère le véritable homme fort de son gouvernement.
Quelques décennies plus tard, Mitterrand inventera « Papa-m’a-dit » et
Sarkozy tentera de « placer » son rejeton de 23 ans, sans aucun
bagage académique ou professionnel, à la tête de la plus grande entreprise
publique d’aménagement territorial de France ! Dans les trois cas, les
résultats se révèleront catastrophiques : Robert Kennedy sera assassiné,
peut-être avec la complicité de la CIA, Jean Christophe Mitterrand sera écroué
dans une affaire de trafic d’armes et ses dettes mettront sa mère sur la paille,
Jean Sarkozy qui rêvait d’un gros salaire se résoudra à épouser une riche
héritière comme on le faisait au XIXe siècle !
Mais en Afrique, l’épidémie
s’était déjà répandue comme une trainée de poudre et comme le terrain était
plutôt malsain, du moins en matière d’expression démocratique, elle atteindra
des pics insoupçonnés. Les familles Eyadema, Bongo, et Kabila dans une moindre
mesure, ont ainsi mis le grappin sur leurs pays respectifs et y règnent depuis cinquante
ans pour les deux premières et vingt ans pour la troisième. La Guinée
Equatoriale est sous l’autorité de la même famille depuis son accession à
l’indépendance, avec cette spécificité qu’ici l’héritage familial s’est fait
dans la violence et que le neveu (désormais le plus ancien chef d’Etat africain
en exercice), a balayé son oncle par un coup d’Etat. A ces transmissions
directes, il faut ajouter les cas des présidents qui ne doivent pas directement
leur accession au pouvoir à leurs pères puisqu’ils ont été élus bien après la
mort ou l’élimination de ceux-ci, comme Nana Akufo Addo ou Uhuru Kenyatta. Il
est tout de même symptomatique qu’au Kenya, ce sont les fils de deux des héros
de l’indépendance, il y a plus de cinquante ans, qui aujourd’hui se disputent
la fonction présidentielle !
Mais en Afrique tous les
promus n’ont pas été élus et certains même ont eu des déboires cuisants. Au
cours des cinq ou six dernières années, des fils, filles ou frères de
présidents, déchus ou en exercice, ont fait l’objet de mandats d’arrêt
internationaux, ont été placés sous contrôle judiciaire ou mis en examen, voire
inculpés ou placés en détention, ou sont en fuite ou en exil …dans plus de dix
pays africains.
…en trois
marches inégales
Malgré ces déboires, la
stratégie utilisée par les chefs d’Etats africains pour pousser leur
progéniture au haut de l’échelle n’a guère varié au cours des ans et s’appuie
toujours sur trois démarches graduelles.
Première manche : la « valeur »
n’attendant point le nombre des années, le Président commence par introduire le
petit jeunot, tout frais émoulu de l’Université (ou d’ailleurs), dans le saint
des saints et, pourquoi pas, à lui confier tout de go des responsabilités
gouvernementales. Teodorin Nguema a été nommé ministre à 27 ans, et Ali Bongo à
30 ans au prestigieux poste ministre des affaires étrangères et en violation de
la loi. L’exemple venant de haut, il n’était pas rare que les ministres
eux-mêmes nomment des membres de leurs familles à des postes clés dans des
entreprises publiques relevant de leur autorité…
Deuxième manche : qu’il
soit ou non membre du gouvernement, l’héritier présomptif sera très vite amené
à exercer ses « compétences » dans un domaine stratégique (pétrole, mines,
infrastructures, banques etc.), ce qui lui permet de contrôler les ressources
nationales et de nouer des relations avec les plus éminents brasseurs
d’affaires du monde. Le fils Sassou passera en quelques années de stagiaire à
administrateur puis directeur dans la même société nationale des pétroles, la
fille Dos Santos, classée femme la plus riche d’Afrique avec un patrimoine de
3,2 milliards de dollars, exerce entre autres activités, celle de présidente du
conseil d’administration de la Société Nationale des Hydrocarbures dont le
chiffre d’affaires est de 40 milliards de dollars…
Enfin la troisième étape
consistera à donner au rejeton, devenu incontournable, une stature politique,
légitimée par la conquête, que l’on espère facile, d’un mandat électif. C’est
souvent à cette étape que les choses se compliquent et se gâtent, que la rue
gronde et que la zizanie s’installe jusqu’au sein de la famille présidentielle,
souvent traversée par une guerre fratricide, comme on a en a eu des exemples au
Togo ou au Gabon.
Quid du Sénégal ? On
peut dire que le phénomène d’accaparement du pouvoir par une famille est
relativement récent et qu’en tout cas, il n’a pris l’ampleur du scandale que
depuis le début de ce siècle. Senghor, auquel on a prêté ce mot selon lequel « la famille
est un ennemi en politique »,
même s’il veillait malgré tout au bien-être de la sienne, avait bien confié des
responsabilités ministérielles à l’un de ses neveux, mais il avait pris le temps
de réfléchir (treize ans !) et surtout, il avait choisi un homme discret
qui (après une petite erreur de casting), fera très rarement la manchette des
journaux. Diouf, dont les enfants étaient inconnus du public (à une exception
près, mais plus médiatique que politique) avait lui aussi longtemps hésité (dix
ans), avant d’appeler un de ses frères au gouvernement, mais plutôt à titre
d’expert et à des postes relativement peu exposés…
Puis vint Wade et toutes les
barrières ont été franchies : trop tôt (quelques mois après son arrivée au
pouvoir), trop de monde (ses deux enfants, et heureusement qu’il n’en avait que
deux !), trop de responsabilités dans des secteurs sensibles, et surtout « argentivores »,
qui ont fini par coller à son fils la désastreuse réputation de « ministre du ciel et de
la terre ». On peut dire sans exagérer que c’est Karim Wade qui a
scié la branche sur laquelle était assis son père.
« Monsieur Frère »,
qui navigue aujourd’hui dans les mêmes eaux troubles et soulève le même vacarme,
avec le handicap d’être, physiquement, un quasi clone du Président, s’armera-t-il
de l’humilité et de la rigueur nécessaires pour éviter que les mêmes
comportements ne reproduisent les mêmes effets ?
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