NB :
Texte publié dans Sud-Quotidien du 28 septembre 2017
Traiter Donald Trump du terme
infamant de terroriste relève-t-il d’un abus de langage ?
Pas vraiment.
En effet, comment qualifier
autrement un homme qui préside aux destinées de la nation la plus puissante du
monde et dispose de la seule vraie arme de destruction massive et qui, devant
l’instance internationale la plus élevée, celle dont la vocation première est
« de maintenir la paix et la sécurité internationale (…) et réaliser par des
moyens pacifiques le règlement des différends susceptibles de mener à (a)
rupture » (Article 1e de la Charte des Nations-Unies), annonce
sans ambages qu’il est prêt à « détruire entièrement » un pays dans lequel vivent 25 millions de femmes,
d’hommes et d’enfants ? D’ailleurs, et ce n’est pas un hasard, Trump use
des mêmes méthodes, du même langage fait de diatribes de mauvais gout, de
menaces et de rodomontades, que celui qu’il traite de terroriste et de chef
d’un « Etat voyou ». Le dialogue, désormais direct et intime, qu’entretiennent
les deux hommes, truffé d’insultes et de références de mauvais aloi (« rocket man », « chien
apeuré », « gâteux dérangé » etc.) fait davantage penser à un règlement de
comptes entre chefs de gangs qu’à une interpellation entre des hommes d’Etat
responsables devant leurs citoyens. Il y a dans cette joute oratoire, que plus
personne ne prend à la légère, de quoi mettre en émoi le monde entier lorsqu’on
sait que chacun des deux hommes a à sa portée le feu nucléaire.
Trump n’est
évidemment pas un « terroriste » du même acabit que les enragés qui
jettent des bombes et sèment la mort au milieu de foules pacifiques. Mais le
terrorisme est une notion subjective dont il n’existe aucune définition
consensuelle, et d’Israël à la Birmanie, chaque jour qui passe nous montre que
l’utilisation de la violence est commune aux Etats et aux groupes non
étatiques. Trump distille la terreur dans chacun de ses tweets, et le terrorisme,
qui est avant tout une tactique, étant dans son acception la plus banale
« une action violente qui inspire
l’anxiété », force est de
reconnaitre que le Trumpisme en est
une forme accomplie parce qu’il soumet l’humanité entière aux élucubrations
d’un homme dont la mesure n’est pas la première qualité. Quand Trump, dont le
pouvoir de nuisance est énorme, improvise ou tweete, on craint toujours le pire, le monde retient son souffle et
ses concitoyens ne sont pas en reste. On comprend donc la mine éplorée de ses
propres collaborateurs effarés par la violence de son discours sur la tribune
des Nations-Unies. On comprend les manifestations de colère de milliers de
citoyens américains, l’indignation, la honte, des intellectuels, des artistes, des
sportifs de haut niveau qui refusent ses invitations et clament qu’il ne parle
pas en leur nom. On peut en revanche s’étonner qu’il y ait des diplomates
conscients de leur mission pour accepter de représenter dans le monde un
président qui s’acharne à diviser son pays, pour défendre et justifier devant
l’opinion ses idées rétrogrades et primaires.
Le plus
malheureux d’entre ces missi dominici
est très certainement celui qui défend les intérêts de Trump à Dakar et se
trouve être noir et d’origine africaine…
Comment en
effet un citoyen certes américain, mais né en terre africaine, plus précisément
dans le pays de Patrice Lumumba, peut en toute conscience être le porte-parole
d’un chef d’Etat dont l’ignorance est si flagrante qu’il est incapable de
donner avec exactitude les noms de certains Etats africains ? Un président
qui prétend qu’il n’y a pas « de
raccourci vers la maturité »,
que les Africains restent « des esclaves vivant comme des esclaves dans
leurs propres pays en prétendant qu’ils sont indépendants alors qu’ils
devraient être recolonisés ! ». Comment un homme qui vient de ce
Congo si férocement meurtri par les outrances de la colonisation, peut ne pas
se sentir gêné, pour le moins, par un président (dont le père a été membre du Ku
Klux Klan) qui, après les intolérables échauffourées de Charlottesville, met
dans le même panier les pacifistes américains, qui militent pour le respect de
toutes les composantes nationales, et les suprémacistes et racistes blancs qui
reprennent du poil de la bête cinquante ans après l’assassinat de Martin Luther
King ? Comment peut-il cautionner la remise en cause de l’Obamacare dont l’objectif était de réduire les inégalités et de
protéger les plus démunis quand on sait qu’aux Etats-Unis la majorité des
pauvres sont des Noirs ?
L’ambassadeur
des Etats-Unis au Sénégal devrait s’instruire sur le sens du dicton wolof
« Lu upp tuuru » ou,
mieux encore, relire le discours du philosophe espagnol Miguel de Unamuno qui,
exaspéré par les vociférations des soldats franquistes qui criaient « Mort à l’intelligence, vive la mort !», avait, au péril de sa vie,
décidé de parler pour mettre fin à un compagnonnage tacite. C’était il y a
quatre vingts ans, et les mots qu’il avait prononcés sont toujours d’actualité. « L’Amérique d’abord ! » de Trump, qui en réalité signifie
« l’Amérique et rien d’autre ! », ne sera pas une grande
Amérique parce que, dit Unamuno « l’isolement
est le pire des conseillers ». L’Amérique de Trump,
qui n’aurait d’autre arme que « sa force
bestiale » et qui brandit les
muscles contre le monde entier, peut remporter quelques victoires mais elle ne
pourra pas convaincre : il lui manquera toujours « la raison
et le droit dans son combat ».
Les victoires
qui n’ont été acquises que par la seule force sont des succès sans lendemain…
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