NB : Texte publié dans Sud-Quotidien du 15 septembre 2017
La presse
occidentale, les dirigeants et les institutions les plus éminentes d’Europe et
d’Amérique du Nord avaient fait de vous une icône, le symbole de la résistance
contre l’oppression, la barbarie et l’injustice. Fichtre : vous aviez tout
ce qu’il fallait pour les séduire, entretenir leur imagination et enrichir
leurs médias. Femme, frêle, parée de fleurs assorties à votre tunique exotique,
visage de madone malgré le poids des ans, fille d’un général élevé au rang
d’héros national qui contrairement à la réputation faite aux militaires s’était
battu pour l’avènement de la démocratie (en réalité, il avait seulement négocié
l’indépendance de son pays, à laquelle d’ailleurs il n’a pas assisté et n’a
donc pas vraiment eu le temps de gouverner), formée dans les universités
occidentales les plus huppées et notamment à Oxford, mariée à un anglais et mère
de deux fils qui, eux ,avaient obstinément refusé de renier leur citoyenneté
britannique… Il y avait là de quoi construire une légende et vous êtes devenue
un mythe vivant…
Votre parcours,
votre vie ont été transformés en saga, ont fait l’objet de milliers d’articles
de presse, de dizaines de documentaires, de téléfilms et de films qui ont fini
par faire de vous « une héroïne de notre temps » : La Lady. Vous avez reçu les récompenses les
plus prestigieuses et parmi elles, le Prix Nobel de la Paix ! Grâce aux
pressions exercées par les plus grandes puissances, au soutien moral,
diplomatique et financier, voire au chantage, des dirigeants de la
« communauté internationale » vous avez fini par accéder
progressivement au pouvoir sans avoir eu besoin de recourir aux armes.
Malheureusement, et
c’est une règle universelle, confrontées aux réalités du monde, aux exigences
et aux égoïsmes des hommes et des femmes qui le peuplent, les idoles flétrissent
et se désagrègent et, quelquefois, révèlent leurs vrais visages. Vous n’avez
pas échappé à la règle.
Avant même
d’exercer légalement le pouvoir, vous avez cédé aux calculs politiciens et
violé un des commandements de la démocratie qui est l’égalité de tous les
citoyens et le refus de toute discrimination. Votre parti a banni des
investitures tous les candidats musulmans aux élections législatives, y compris
les députés sortants, et c’est avec votre complicité que, pour la première fois
depuis soixante-dix ans, le parlement de votre pays ne compte plus dans ses
rangs un élu de la minorité musulmane. Vous avez joint votre voix à celles de
ceux qui refusent de considérer celle-ci comme une composante de la nation,
allant jusqu’à exclure du langage officiel l’usage du terme même de Rohingyas
qui sert à la désigner, et à imposer à certains de vos interlocuteurs étrangers
celui de « Bengalis » pour signifier que ses membres restent étrangers
après des siècles de présence sur votre territoire. Enfin et à plusieurs
reprises, vous avez utilisé des phrases malheureuses, fait preuve de « dérapages anti-islamiques » inadmissibles dans la bouche d’une personne
qui exerce des responsabilités comme les vôtres. Vous avez fait profil bas
après l’assassinat d’une éminente personnalité musulmane qui était l’une des
rares à oser plaider publiquement contre l’intolérance religieuse et qui était
pourtant un de vos avocats les plus engagés…
Mais aujourd’hui on
n’en est plus aux mots. Les images diffusées à travers les médias et sur la
toile sont d’une sauvagerie extrême au point que l’Occident qui vous a
longtemps épargnée, ne peut plus cacher la méfiance que votre comportement
inspire et condamne votre silence. Les scènes de torture exercée notamment à
l’endroit des enfants et des femmes, les viols, les exécutions sommaires de
grande amplitude, la répression féroce pratiquée par l’armée, les hordes qui
fuient devant elle, les propos haineux que prononcent devant des foules exaltées
(du genre : « vous
préférez bien marier votre fille avec un porc plutôt qu’avec un musulman ? »),
les moines d’une religion dont on disait qu’elle était la plus pacifique du
monde, bref tous ces actes dont certains sont assimilables à des crimes contre
l’Humanité et à des nettoyages ethniques, ne seraient selon vous qu’un « iceberg de désinformation ».
Elles se sont donc trompées ces institutions internationales comme Amnesty International ou Human Right Watch qui longtemps vous ont
portée aux nues et qui, aujourd’hui, vous accusent de manquer à vos devoirs.
Ils se sont trompés les onze Prix Nobel qui en décembre dernier ont adressé une
lettre ouverte aux Nations-Unies pour exiger l’arrêt du « nettoyage ethnique » pratiqué sous
votre gouvernement. Il s’est trompé Desmond Tutu, homme mesuré et exigeant
défenseur de la vérité, lorsqu’il vous somme de parler et dit que c’est payer
trop cher votre survie politique que de garder le silence devant ces atrocités.
Il se trompe le Pape lorsqu’il vous invite à faire preuve d’humanité. Il se
trompe le Dalai Lama dont l’autorité morale s’exerce sur vos concitoyens,
lorsqu’il s’émeut des atrocités commises par ses coreligionnaires, vous invite
« à tendre la main à toutes les composantes de la
société » et rappelle que
« dans des situations similaires Bouddha avait aidé les
musulmans » (sic). Ils se
trompent, ou sont manipulés, les 500.000 signataires du manifeste qui exige
votre destitution du Nobel. Pure fiction que ce documentaire glaçant que le
cinéaste suisse Barbet Schroder, lui-même bouddhiste, a consacré au
« Vénérable W », Ashin Wirathu, moine bouddhiste qui depuis dix ans,
donc sous votre gouvernement aussi, attise l’islamophobie et dont on a dit
qu’il était « le Hitler de Birmanie
et que les Rohningyas étaient ses Juifs ». Enfin ils n’existent que
dans notre imagination les milliers de musulmans dont les corps sont livrés aux
vautours ou flottent sur les rivières et les centaines de milliers d’entre eux
qui se sont réfugiés au Bangladesh voisin !
Votre réputation
est perdue Mme Aung San Suu Kyi, essayez au moins de sauver votre honneur, et
votre honneur Madame, ce n’est pas de vous défiler et de refuser de vous
présenter à l’ONU !
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