Je suis historien et géographe de formation. J'ai été enseignant-formateur à l’Ecole Normale Supérieure (ENS) de Dakar, puis en charge de différentes structures et directions administratives. A la retraite depuis plusieurs années, je profite de ma liberté recouvrée pour assouvir une vieille passion : écrire. Ces dernières années, j’ai publié deux romans («Mon villages au temps des blancs » en 2000 et «La Raparille» en 2010) ainsi que trois essais (« A mes chers parents gaulois » en 2007 ; "Wade Mecum ou le wadisme en 15 mots" en 2010; "Le temps des choses jamais vues : chronique des années Wade-Sarkozy", 2013). Je publie régulièrement des chroniques dans divers journaux sénégalais (en particulier « Nouvel Horizon » et "Sud Quotidien").

jeudi 21 septembre 2017

ENTENDEZ-VOUS CES CRIS AUNG SAN SUU KYI ?

NB : Texte publié dans Sud-Quotidien du 15 septembre 2017

La presse occidentale, les dirigeants et les institutions les plus éminentes d’Europe et d’Amérique du Nord avaient fait de vous une icône, le symbole de la résistance contre l’oppression, la barbarie et l’injustice. Fichtre : vous aviez tout ce qu’il fallait pour les séduire, entretenir leur imagination et enrichir leurs médias. Femme, frêle, parée de fleurs assorties à votre tunique exotique, visage de madone malgré le poids des ans, fille d’un général élevé au rang d’héros national qui contrairement à la réputation faite aux militaires s’était battu pour l’avènement de la démocratie (en réalité, il avait seulement négocié l’indépendance de son pays, à laquelle d’ailleurs il n’a pas assisté et n’a donc pas vraiment eu le temps de gouverner), formée dans les universités occidentales les plus huppées et notamment à Oxford, mariée à un anglais et mère de deux fils qui, eux ,avaient obstinément refusé de renier leur citoyenneté britannique… Il y avait là de quoi construire une légende et vous êtes devenue un mythe vivant…

Votre parcours, votre vie ont été transformés en saga, ont fait l’objet de milliers d’articles de presse, de dizaines de documentaires, de téléfilms et de films qui ont fini par faire de vous « une héroïne de notre temps » : La Lady. Vous avez reçu les récompenses les plus prestigieuses et parmi elles, le Prix Nobel de la Paix ! Grâce aux pressions exercées par les plus grandes puissances, au soutien moral, diplomatique et financier, voire au chantage, des dirigeants de la « communauté internationale » vous avez fini par accéder progressivement au pouvoir sans avoir eu besoin de recourir aux armes.

Malheureusement, et c’est une règle universelle, confrontées aux réalités du monde, aux exigences et aux égoïsmes des hommes et des femmes qui le peuplent, les idoles flétrissent et se désagrègent et, quelquefois, révèlent leurs vrais visages. Vous n’avez pas échappé à la règle.

Avant même d’exercer légalement le pouvoir, vous avez cédé aux calculs politiciens et violé un des commandements de la démocratie qui est l’égalité de tous les citoyens et le refus de toute discrimination. Votre parti a banni des investitures tous les candidats musulmans aux élections législatives, y compris les députés sortants, et c’est avec votre complicité que, pour la première fois depuis soixante-dix ans, le parlement de votre pays ne compte plus dans ses rangs un élu de la minorité musulmane. Vous avez joint votre voix à celles de ceux qui refusent de considérer celle-ci comme une composante de la nation, allant jusqu’à exclure du langage officiel l’usage du terme même de Rohingyas qui sert à la désigner, et à imposer à certains de vos interlocuteurs étrangers celui de « Bengalis » pour signifier que ses membres restent étrangers après des siècles de présence sur votre territoire. Enfin et à plusieurs reprises, vous avez utilisé des phrases malheureuses, fait preuve de « dérapages anti-islamiques » inadmissibles dans la bouche d’une personne qui exerce des responsabilités comme les vôtres. Vous avez fait profil bas après l’assassinat d’une éminente personnalité musulmane qui était l’une des rares à oser plaider publiquement contre l’intolérance religieuse et qui était pourtant un de vos avocats les plus engagés…

Mais aujourd’hui on n’en est plus aux mots. Les images diffusées à travers les médias et sur la toile sont d’une sauvagerie extrême au point que l’Occident qui vous a longtemps épargnée, ne peut plus cacher la méfiance que votre comportement inspire et condamne votre silence. Les scènes de torture exercée notamment à l’endroit des enfants et des femmes, les viols, les exécutions sommaires de grande amplitude, la répression féroce pratiquée par l’armée, les hordes qui fuient devant elle, les propos haineux que prononcent devant des foules exaltées (du genre : « vous préférez bien marier votre fille avec un porc plutôt qu’avec un musulman ? »), les moines d’une religion dont on disait qu’elle était la plus pacifique du monde, bref tous ces actes dont certains sont assimilables à des crimes contre l’Humanité et à des nettoyages ethniques, ne seraient selon vous qu’un « iceberg de désinformation ». Elles se sont donc trompées ces institutions internationales comme Amnesty International ou Human Right Watch qui longtemps vous ont portée aux nues et qui, aujourd’hui, vous accusent de manquer à vos devoirs. Ils se sont trompés les onze Prix Nobel qui en décembre dernier ont adressé une lettre ouverte aux Nations-Unies pour exiger l’arrêt du « nettoyage ethnique » pratiqué sous votre gouvernement. Il s’est trompé Desmond Tutu, homme mesuré et exigeant défenseur de la vérité, lorsqu’il vous somme de parler et dit que c’est payer trop cher votre survie politique que de garder le silence devant ces atrocités. Il se trompe le Pape lorsqu’il vous invite à faire preuve d’humanité. Il se trompe le Dalai Lama dont l’autorité morale s’exerce sur vos concitoyens, lorsqu’il s’émeut des atrocités commises par ses coreligionnaires, vous invite « à tendre la main à toutes les composantes de la société » et rappelle que « dans des situations similaires Bouddha avait aidé les musulmans » (sic). Ils se trompent, ou sont manipulés, les 500.000 signataires du manifeste qui exige votre destitution du Nobel. Pure fiction que ce documentaire glaçant que le cinéaste suisse Barbet Schroder, lui-même bouddhiste, a consacré au « Vénérable W », Ashin Wirathu, moine bouddhiste qui depuis dix ans, donc sous votre gouvernement aussi, attise l’islamophobie et dont on a dit qu’il était « le Hitler de Birmanie et que les Rohningyas étaient ses Juifs ». Enfin ils n’existent que dans notre imagination les milliers de musulmans dont les corps sont livrés aux vautours ou flottent sur les rivières et les centaines de milliers d’entre eux qui se sont réfugiés au Bangladesh voisin !

Votre réputation est perdue Mme Aung San Suu Kyi, essayez au moins de sauver votre honneur, et votre honneur Madame, ce n’est pas de vous défiler et de refuser de vous présenter à l’ONU !


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