Je suis historien et géographe de formation. J'ai été enseignant-formateur à l’Ecole Normale Supérieure (ENS) de Dakar, puis en charge de différentes structures et directions administratives. A la retraite depuis plusieurs années, je profite de ma liberté recouvrée pour assouvir une vieille passion : écrire. Ces dernières années, j’ai publié deux romans («Mon villages au temps des blancs » en 2000 et «La Raparille» en 2010) ainsi que trois essais (« A mes chers parents gaulois » en 2007 ; "Wade Mecum ou le wadisme en 15 mots" en 2010; "Le temps des choses jamais vues : chronique des années Wade-Sarkozy", 2013). Je publie régulièrement des chroniques dans divers journaux sénégalais (en particulier « Nouvel Horizon » et "Sud Quotidien").

dimanche 18 juin 2017

MACRON A LA SAUCE AFRICAINE

NB : Texte publié dans "Sud Quotidien" du 14 juin 2017

La victoire, ou plus précisément les victoires d’Emmanuel Macron aux élections présidentielle et législative françaises auront  au moins, pour nous Sénégalais et pour nos compatriotes vivant en France, le mérite de réduire au silence, ou, pour le moins de contraindre à l’humilité, des personnalités politiques françaises qui aspiraient à un destin national, mais qui n’avaient guère brillé par leur empathie à l’endroit des préoccupations africaines, par leur esprit de fraternité à l’égard des immigrés vivant en France ou des « Français issus de l’immigration » ou par leur tolérance en faveur de l’Islam…

La première de ces personnalités victimes du « dégagisme » provoqué par Macron, c’est Nicolas Sarkozy, l’homme du discours de Dakar, celui qui a proféré cette contrevérité selon laquelle « l’homme africain n’est pas entré dans l’Histoire », et qui sonne encore plus faux aujourd’hui au moment où les dernières découvertes archéologiques confirment que, plus que jamais, l’Afrique est le berceau de l’histoire de l’homme. Sarkozy est aussi l’homme du discours d’Agen dans lequel il désignait à la vindicte publique ces Français issus des anciennes possessions françaises et qui, selon lui, préfèrent « attiser la surenchère des mémoires pour exiger une compensation que personne ne leur doit, plutôt que de s’intégrer par l’effort et par le travail », et auxquels il rappelait « qu’ils ne sont pas obligés de rester sur le territoire national ! ».  

Sarkozy pourra toujours poursuivre ses intrigues au sein de la classe politique française, jouer les membres de son parti les uns contre les autres, mais désormais c’est lui qui est hors de notre histoire et ce qu’il dit ou fait n’aura plus d’effet sur notre destin…

« Dégagé » aussi, François Fillon ! Lui, c’était l’homme des propositions aussi inutiles qu’inapplicables sur les immigrés, comme l’instauration de quotas d’étrangers ou la rétention administrative des demandeurs d’asile qui fuient la guerre ou la barbarie. C’est aussi l’homme qui, en France, a réintroduit la notion de « race » dans le discours politique et le premier à brandir sa foi en guise d’argument politique. C’est celui qui a affirmé que la France n’a pas inventé l’esclavage, que par la colonisation, elle visait à « partager sa culture aux peuples d’Afrique ou d’Asie », celui qui avait promis de faire réécrire l’histoire de France par des Académiciens afin de donner une bonne image de son pays. C’est l’homme enfin qui n’a cessé de stigmatiser l’Islam, assurant qu’en France, « la communauté musulmane est la seule qui pose problème » et qu’il n’y a de communautarisme que musulman !

Désormais François Fillon est sorti de notre horizon et devra user ses forces à défendre son honneur, plutôt qu’à cultiver la division et pratiquer la stigmatisation et le déni…

Manuel Valls peut encore faire illusion, mais son image est si délabrée qu’il est peu probable, et en tout cas peu souhaitable, que son destin croise encore le nôtre. C’était le socialiste qui avait critiqué la Chancelière allemande parce qu’elle avait secouru les immigrés, c’est le fils de réfugié qui demandait à l’Union Européenne d’arrêter l’accueil des réfugiés, c’est celui qui prône la démocratie en Afrique mais fréquente ses dictateurs. C’est celui qui met sur le même pied le communautarisme et le FN, dénonce le « complot musulman » et affirme sans ambages que l’Islam est pauvre socialement et intellectuellement.

Il y a enfin Marine Le Pen, et Marine Le Pen c’est Marine Le Pen ! Espérons seulement que le Tchad restera le seul pays africain à lui avoir déroulé un tapis …

De ces victoires, aussi rapides qu’éclatantes, remportées par Emmanuel Macron sur des personnalités qui tenaient encore le haut du pavé il y a quelques mois et qu’il a, pour certaines, archivées, nous pouvons tirer deux enseignements.

Le premier, c’est qu’elles représentent en fin de compte le triomphe de la démocratie. Les hommes politiques oublient trop souvent qu’en matière de guerre, le Vatican ça ne fait pas de régiments ! C’est bête à dire, mais pour être élu dans un régime démocratique, il faut des voix, et les voix ce sont celles de électeurs. A nos hommes et femmes politiques qui brassent des idées quelquefois généreuses, souvent fumeuses, irréalistes ou démagogiques, qui invoquent Dieu, les marabouts, leurs diplômes ou leurs ancêtres, il faudrait rappeler qu’il leur faut aussi convaincre des électeurs déterminés, qui ne soient ni fongibles ni aléatoires, et qui soient décidés à mettre dans les urnes un bulletin à leur nom ou au nom de leur formation. La pléthore de 47 listes déposées pour nos élections législatives est d’abord le signe d’une méconnaissance profonde des règles de la démocratie et plusieurs de leurs responsables pourraient se retrouver dans la situation de Henri Gaino, réduits à insulter les électeurs qui les ont ignorés, au lieu de ne s’en prendre qu’à eux-mêmes !

Mais on peut aussi penser que la victoire d’Emanuel Macron marque le triomphe du lobbysme politique. Comment en effet imaginer qu’un homme sorti de nulle part, dépourvu de toute expérience politique significative, puisse rafler toutes les mises, dans une nation démocratique, sans qu’il ait été le fruit d’un marketing imaginé, conduit et financé par de puissantes coteries et d’abord à leur profit ? Quel que soit le crédit que l’on peut donner à cette interprétation, ce risque là en tout cas existe bel et bien au Sénégal et menace dangereusement notre démocratie, avec l’ambition prêtée à certains de transformer les élections en nominations et de remplacer le libre choix par le mot d’ordre.

Et ça c’est autrement plus lourd de conséquences que ce qui vient de se passer en France…


Aucun commentaire: