NB : Texte publié dans "Sud Quotidien" du 14 juin 2017
La
victoire, ou plus précisément les victoires d’Emmanuel Macron aux élections
présidentielle et législative françaises auront
au moins, pour nous Sénégalais et pour nos compatriotes vivant en
France, le mérite de réduire au silence, ou, pour le moins de contraindre à
l’humilité, des personnalités politiques françaises qui aspiraient à un destin
national, mais qui n’avaient guère brillé par leur empathie à l’endroit des
préoccupations africaines, par leur esprit de fraternité à l’égard des immigrés
vivant en France ou des « Français
issus de l’immigration »
ou par leur tolérance en faveur de l’Islam…
La
première de ces personnalités victimes du « dégagisme » provoqué par Macron, c’est Nicolas Sarkozy, l’homme
du discours de Dakar, celui qui a proféré cette contrevérité selon laquelle
« l’homme africain n’est pas entré
dans l’Histoire », et qui sonne encore plus faux aujourd’hui au
moment où les dernières découvertes archéologiques confirment que, plus que jamais,
l’Afrique est le berceau de l’histoire de l’homme. Sarkozy est aussi l’homme du
discours d’Agen dans lequel il désignait à la vindicte publique ces Français
issus des anciennes possessions françaises et qui, selon lui, préfèrent « attiser la surenchère des mémoires
pour exiger une compensation que personne ne leur
doit, plutôt que de s’intégrer
par l’effort et par le
travail », et auxquels il rappelait
« qu’ils ne sont pas obligés de rester sur le
territoire national ! ».
Sarkozy
pourra toujours poursuivre ses intrigues au sein de la classe politique
française, jouer les membres de son parti les uns contre les autres, mais
désormais c’est lui qui est hors de notre histoire et ce qu’il dit ou fait
n’aura plus d’effet sur notre destin…
« Dégagé » aussi, François
Fillon ! Lui, c’était l’homme des propositions aussi inutiles
qu’inapplicables sur les immigrés, comme l’instauration de quotas d’étrangers
ou la rétention administrative des demandeurs d’asile qui fuient la guerre ou
la barbarie. C’est aussi l’homme qui, en France, a réintroduit la notion de
« race » dans le discours
politique et le premier à brandir sa foi en guise d’argument politique. C’est
celui qui a affirmé que la France n’a pas inventé l’esclavage, que par la colonisation,
elle visait à « partager sa culture aux peuples d’Afrique ou d’Asie », celui
qui avait promis de faire réécrire l’histoire de France par des Académiciens
afin de donner une bonne image de son pays. C’est l’homme enfin qui n’a cessé
de stigmatiser l’Islam, assurant qu’en France, « la communauté musulmane est la seule qui pose problème » et qu’il n’y a de
communautarisme que musulman !
Désormais
François Fillon est sorti de notre horizon et devra user ses forces à défendre
son honneur, plutôt qu’à cultiver la division et pratiquer la stigmatisation et
le déni…
Manuel
Valls peut encore faire illusion, mais son image est si délabrée qu’il est peu probable,
et en tout cas peu souhaitable, que son destin croise encore le nôtre. C’était
le socialiste qui avait critiqué la Chancelière allemande parce qu’elle avait
secouru les immigrés, c’est le fils de réfugié qui demandait à l’Union
Européenne d’arrêter l’accueil des réfugiés, c’est celui qui prône la
démocratie en Afrique mais fréquente ses dictateurs. C’est celui qui met sur le
même pied le communautarisme et le FN, dénonce le « complot
musulman » et affirme sans ambages que l’Islam est pauvre socialement et
intellectuellement.
Il
y a enfin Marine Le Pen, et Marine Le Pen c’est Marine Le Pen ! Espérons
seulement que le Tchad restera le seul pays africain à lui avoir déroulé un
tapis …
De
ces victoires, aussi rapides qu’éclatantes, remportées par Emmanuel Macron sur
des personnalités qui tenaient encore le haut du pavé il y a quelques mois et
qu’il a, pour certaines, archivées, nous pouvons tirer deux enseignements.
Le
premier, c’est qu’elles représentent en fin de compte le triomphe de la démocratie.
Les hommes politiques oublient trop souvent qu’en matière de guerre, le Vatican
ça ne fait pas de régiments ! C’est bête à dire, mais pour être élu dans
un régime démocratique, il faut des voix, et les voix ce sont celles de
électeurs. A nos hommes et femmes politiques qui brassent des idées quelquefois
généreuses, souvent fumeuses, irréalistes ou démagogiques, qui invoquent Dieu,
les marabouts, leurs diplômes ou leurs ancêtres, il faudrait rappeler qu’il
leur faut aussi convaincre des électeurs déterminés, qui ne soient ni fongibles
ni aléatoires, et qui soient décidés à mettre dans les urnes un bulletin à leur
nom ou au nom de leur formation. La pléthore de 47 listes déposées pour nos
élections législatives est d’abord le signe d’une méconnaissance profonde des
règles de la démocratie et plusieurs de leurs responsables pourraient se
retrouver dans la situation de Henri Gaino, réduits à insulter les électeurs
qui les ont ignorés, au lieu de ne s’en prendre qu’à eux-mêmes !
Mais
on peut aussi penser que la victoire d’Emanuel Macron marque le triomphe du
lobbysme politique. Comment en effet imaginer qu’un homme sorti de nulle part,
dépourvu de toute expérience politique significative, puisse rafler toutes les
mises, dans une nation démocratique, sans qu’il ait été le fruit d’un marketing
imaginé, conduit et financé par de puissantes coteries et d’abord à leur profit
? Quel que soit le crédit que l’on peut donner à cette interprétation, ce
risque là en tout cas existe bel et bien au Sénégal et menace dangereusement
notre démocratie, avec l’ambition prêtée à certains de transformer les
élections en nominations et de remplacer le libre choix par le mot d’ordre.
Et
ça c’est autrement plus lourd de conséquences que ce qui vient de se passer en
France…
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