NB : Texte publié dans "Sud Quotidien" du 29 novembre 2014
Le sommet de l’OIF à Montreux,
en Suisse, en octobre 2010, s’était tenu dans l’indifférence de la majorité des
Helvètes et dans un décorum bien moins chaleureux que lorsque l’institution
tient ses assises en Afrique. Aucun grand média du Nord n’avait consacré une
place significative à cette rencontre et, symboliquement, le président Sarkozy n’avait
passé que quelques heures dans la ville suisse. Le XVe sommet se tient à Dakar
et depuis des semaines, c’est l’effervescence générale, l’économie est au ralenti,
l’administration est en vacances et la ville est en fête. C’est cela aussi la
Francophonie : dans les pays du Nord, elle figure à la rubrique des chiens
écrasés, elle est confidentielle et timorée, elle ne sort pas des salons
feutrés. En Afrique, elle est populaire et engagée : on bat les tamtams,
on ameute les foules, on paralyse la circulation pour accueillir ses acteurs.
La Francophonie était déjà une idée africaine et ce sont les Africains qui
assurent sa maintenance, son animation et sa défense, allant jusqu’à interdire
toute critique contre l’institution. Abdou Diouf, qui n’est pas coutumier des
esclandres, était pourtant sorti récemment de ses gonds pour déplorer ce paradoxe. « Les intellectuels
et les universitaires (du
Nord) avait-t-il lancé, se moquent de la Francophonie. C’est la nouvelle trahison des clercs. Et les hommes d’affaires s’en moquent encore plus… Quand vous leur en parlez,
vous les ennuyez. On a l’impression
que seule la mondialisation les intéresse ! ».
Mais il n’y a pas que le
décorum et les postures, car, à regarder les plats de résistance de ses sommets,
on a quelquefois l’impression que la Francophonie sert des croissants à des
gens qui n’ont pas souvent accès au pain.
Mettre fin au « ronronnement »
On ne peut pas comprendre
que neuf mois après la plus grande catastrophe urbaine de l’histoire (300.000
morts à Port-au-Prince !), l’OIF, qui a pour ambition de réduire les disparités
entre ses membres, n’ait pas bouleversé l’ordre du jour de son sommet pour inscrire
comme thème central un sujet qui traduise
sa vocation de solidarité. Le sommet de Montreux avait préféré débattre des « Défis et visions d’avenir pour la Francophonie ». C’était,
évidemment, un sujet suffisamment vague et général, qui ne pouvait aboutir qu’à des conclusions plus ésotériques, que pratiques. Deux ans plus tard,
le sommet de Kinshasa aura pour thème une dissertation
philosophique : « La Francophonie : enjeux environnementaux et
économiques face à la gouvernance mondiale ».
C’est bien de tout cela
que parlait Calixte Béyala, candidate à la mode Coluche, lorsqu’elle raillait
le « ronronnement » de
l’institution et sa difficulté à passer de la simple et molle défense d’une
langue à un véritable engagement politique. La Francophonie n’a pas fait pour
Haïti ce que l’Union Européenne a fait pour la Grèce, elle n’a pas fait pour le Mali ce que l’OTAN a fait pour la
Bosnie… Si l’OIF est si peu visible, c’est aussi qu’elle vole souvent trop haut,
qu’elle s’attaque à des bastions qui sont au-dessus de ses moyens et qui sont
ceux sur lesquels butent des institutions bien mieux armées, comme l’ONU ou le
G20. Ses assises sont une sorte de Davos des pauvres où les discours sont
écrits par des experts qui s’essayent à mâcher la besogne au G8 ,en débattant
de la réforme du FMI ou de la place de l’Afrique au sein du Conseil de Sécurité,
alors qu’en termes d’influence ses 77 membres et observateurs pèsent moins
lourd que les 4 pays du BRIC.
Après la Francophonie
sentimentale et nostalgique, après celle qui se voulait plus politique, il est
peut-être temps d’essayer une Francophonie plus généreuse, plus égalitaire plus
pragmatique surtout, prête à faire face à des défis, spécifiques ceux-là, les
seuls qui peuvent justifier son existence. C’est en préférant l’impertinence au
politiquement correct, en bousculant certains stéréotypes, dont elle a du mal à
se défaire après 40 ans d’existence, qu’elle peut offrir une plus-value, par
rapport aux autres organisations. L’un de ses enjeux, c’est de prouver qu’on
peut instaurer l’égalité entre des nations d’inégales fortunes, d’être, enfin,
une institution paritaire au sein de laquelle aucun pays n’impose sa loi aux autres.
Ce qui est encore loin d’être acquis : il ne viendrait jamais à l’idée du
Premier Ministre britannique de promettre le poste de Secrétaire Général du
Commonwealth à Museveni, par exemple, comme Hollande l’a fait, pour l’OIF, à
Compaoré, sans que cela choque Abdou Diouf. Mais l’égalité, c’est aussi prêter
la même vigilance aux dérives des deux rives, aussi bien à l’endroit des
violations des droits de l’homme en Afrique qu’à l’encontre des outrances
droitières ou ségrégationnistes qui s’opèrent quelquefois au Nord, lorsqu’on y stigmatise
les étrangers en interdisant l’accès à son territoire des ressortissants des
pays atteints par le virus Ebola, ou tente d’assimiler délinquance et immigration.
L’égalité, c’est enfin cultiver la connaissance réciproque. Hier notre histoire
était absente des manuels de l’Occident, aujourd’hui notre actualité est
absente de ses médias. Ainsi, si TV5 Monde, «la chaine francophone internationale», propose chaque jour à ses téléspectateurs les
journaux télévisés complets de la France ou des modestes communautés
francophones de Suisse et de Belgique, elle n’offre aucune fenêtre sur les
réalités africaines en ne diffusant aucun journal télévisé d’un membre africain
de la Francophonie. Sans doute parce qu’aucune des télévisions du Sud, ni leurs
best off, ne sont jugés dignes d’intérêt pour être proposés aux exigeants
téléspectateurs occidentaux. En somme, on nous offre de regarder vivre les pays
du Nord, mais eux n’ont aucune occasion de nous juger sur nos propres pièces.
Le « noyau dur »
de la Francophonie
Un autre défi autrement
plus important, est notre rapport avec la langue française. La France demeure
encore le propriétaire jaloux de son état civil, mais elle pourrait cesser d’en
être l’actionnaire principal dans quelques décennies, car le français reculant
partout, sauf sur le continent noir, 80% des quelques 750 millions de
francophones que pourrait compter le monde en 2050, pourraient être Africains.
Si la langue française survit, il n’est pas exclu que se développe en dehors de
sa terre d’origine, voire contre elle, un « français africain « qui
se passera de son Académie, tout comme l’américain et le brésilien se sont
émancipés de leurs langues mères. Mais pour qu’elle se développe et que son
prestige reste intact, il faut que la scolarisation se généralise et se
consolide en Afrique, c’est-à-dire dans les pays où le français est langue d’enseignement
et qui ne représentent plus que le tiers des membres de l’OIF. Le recensement
de locuteurs francophones est encore une fiction et les étrangers qui se
promènent dans les rues de Dakar réaliseront vite que la plus ancienne colonie
française d’Afrique est loin d’être francophone. Le français n’est pas
seulement une langue étrangère, c’est aussi une langue imposée et, pour certains,
l’ignorer c’est en quelque sorte se libérer. Contrairement à ce que l’on croit,
son statut est loin d’être irréversible et la menace ne vient pas seulement des
langues africaines, mais aussi d’autres langues étrangères comme l’anglais,
comme le montre l’exemple du Rwanda qui en quelques années est passé de
l’anglophilie à l’anglophonie.
Si la Francophonie garde son nom et ses références, un de ses combats doit être
celui de l’éducation en farçais. Elle n’y perdrait rien, car en matière de
profit, l’investissement en éducation est l’un des plus rentables. Evidemment
ce combat est difficile au sein d’une institution devenue hétérogène, qui
semble quelquefois lâcher le poisson qu’elle serre entre ses mains au profit de
celui qu’elle ne retient que par ses pieds. L’avenir du français se jouera
néanmoins dans ce tiers de membres où l’apprentissage de la langue est en
déconfiture et les universités en ruines. Certes l’éducation, en élevant le
niveau des Africains ferait d’eux des partenaires plus exigeants, mais pour que
les Africains s’engagent dans « sa défense et son illustration », il
faut que le français reste attractif, utile et rentable, que les universités
francophones du Nord s’ouvrent aux étudiants et aux chercheurs.
Faute de cela, les hommes
et les femmes qui demain seront aux commandes de notre économie et de notre
politique pourraient être majoritairement des produits des universités et du
monde des affaires de pays dont les langues et la culture nous étaient
étrangères. La vérité, c’est qu’aujourd’hui, la raison nous pousse déjà vers
ces pays qui sont aussi ceux avec
lesquels nous n’avons pas de contentieux historiques. Demain, c’est notre cœur
qui jouera contre la Francophonie.
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