Je suis historien et géographe de formation. J'ai été enseignant-formateur à l’Ecole Normale Supérieure (ENS) de Dakar, puis en charge de différentes structures et directions administratives. A la retraite depuis plusieurs années, je profite de ma liberté recouvrée pour assouvir une vieille passion : écrire. Ces dernières années, j’ai publié deux romans («Mon villages au temps des blancs » en 2000 et «La Raparille» en 2010) ainsi que trois essais (« A mes chers parents gaulois » en 2007 ; "Wade Mecum ou le wadisme en 15 mots" en 2010; "Le temps des choses jamais vues : chronique des années Wade-Sarkozy", 2013). Je publie régulièrement des chroniques dans divers journaux sénégalais (en particulier « Nouvel Horizon » et "Sud Quotidien").

lundi 15 décembre 2014

POUR UNE FRANCOPHONIE DU TROISIEME TYPE…

NB : Texte publié dans "Sud Quotidien" du 29 novembre 2014

Le sommet de l’OIF à Montreux, en Suisse, en octobre 2010, s’était tenu dans l’indifférence de la majorité des Helvètes et dans un décorum bien moins chaleureux que lorsque l’institution tient ses assises en Afrique. Aucun grand média du Nord n’avait consacré une place significative à cette rencontre et, symboliquement, le président Sarkozy n’avait passé que quelques heures dans la ville suisse. Le XVe sommet se tient à Dakar et depuis des semaines, c’est l’effervescence générale, l’économie est au ralenti, l’administration est en vacances et la ville est en fête. C’est cela aussi la Francophonie : dans les pays du Nord, elle figure à la rubrique des chiens écrasés, elle est confidentielle et timorée, elle ne sort pas des salons feutrés. En Afrique, elle est populaire et engagée : on bat les tamtams, on ameute les foules, on paralyse la circulation pour accueillir ses acteurs. La Francophonie était déjà une idée africaine et ce sont les Africains qui assurent sa maintenance, son animation et sa défense, allant jusqu’à interdire toute critique contre l’institution. Abdou Diouf, qui n’est pas coutumier des esclandres, était pourtant sorti récemment de ses gonds pour  déplorer ce paradoxe. « Les intellectuels et les universitaires (du Nord) avait-t-il lancé, se moquent de la Francophonie. C’est la nouvelle trahison des clercs. Et les hommes d’affaires s’en moquent encore plus… Quand vous leur en parlez, vous les ennuyez. On a l’impression que seule la mondialisation les intéresse !  ».

Mais il n’y a pas que le décorum et les postures, car, à regarder les plats de résistance de ses sommets, on a quelquefois l’impression que la Francophonie sert des croissants à des gens qui n’ont pas souvent accès au pain.

Mettre  fin au « ronronnement »

On ne peut pas comprendre que neuf mois après la plus grande catastrophe urbaine de l’histoire (300.000 morts à Port-au-Prince !), l’OIF, qui a pour ambition de réduire les disparités entre ses membres, n’ait pas bouleversé l’ordre du jour de son sommet pour inscrire comme thème central  un sujet qui traduise sa vocation de solidarité. Le sommet de Montreux avait préféré débattre des « Défis et visions d’avenir pour la Francophonie ». C’était, évidemment, un sujet suffisamment vague et général, qui ne pouvait aboutir  qu’à des conclusions plus  ésotériques, que pratiques. Deux ans plus tard, le sommet de Kinshasa aura pour thème une dissertation philosophique : « La Francophonie : enjeux environnementaux et économiques face à la gouvernance mondiale ».

C’est bien de tout cela que parlait Calixte Béyala, candidate à la mode Coluche, lorsqu’elle raillait le « ronronnement » de l’institution et sa difficulté à passer de la simple et molle défense d’une langue à un véritable engagement politique. La Francophonie n’a pas fait pour Haïti ce que l’Union Européenne a fait pour la Grèce, elle n’a pas fait  pour le Mali ce que l’OTAN a fait pour la Bosnie… Si l’OIF est si peu visible, c’est aussi qu’elle vole souvent trop haut, qu’elle s’attaque à des bastions qui sont au-dessus de ses moyens et qui sont ceux sur lesquels butent des institutions bien mieux armées, comme l’ONU ou le G20. Ses assises sont une sorte de Davos des pauvres où les discours sont écrits par des experts qui s’essayent à mâcher la besogne au G8 ,en débattant de la réforme du FMI ou de la place de l’Afrique au sein du Conseil de Sécurité, alors qu’en termes d’influence ses 77 membres et observateurs pèsent moins lourd que les 4 pays du BRIC.

Après la Francophonie sentimentale et nostalgique, après celle qui se voulait plus politique, il est peut-être temps d’essayer une Francophonie plus généreuse, plus égalitaire plus pragmatique surtout, prête à faire face à des défis, spécifiques ceux-là, les seuls qui peuvent justifier son existence. C’est en préférant l’impertinence au politiquement correct, en bousculant certains stéréotypes, dont elle a du mal à se défaire après 40 ans d’existence, qu’elle peut offrir une plus-value, par rapport aux autres organisations. L’un de ses enjeux, c’est de prouver qu’on peut instaurer l’égalité entre des nations d’inégales fortunes, d’être, enfin, une institution paritaire au sein de laquelle aucun pays n’impose sa loi aux autres. Ce qui est encore loin d’être acquis : il ne viendrait jamais à l’idée du Premier Ministre britannique de promettre le poste de Secrétaire Général du Commonwealth à Museveni, par exemple, comme Hollande l’a fait, pour l’OIF, à Compaoré, sans que cela choque Abdou Diouf. Mais l’égalité, c’est aussi prêter la même vigilance aux dérives des deux rives, aussi bien à l’endroit des violations des droits de l’homme en Afrique qu’à l’encontre des outrances droitières ou ségrégationnistes qui s’opèrent quelquefois au Nord, lorsqu’on y stigmatise les étrangers en interdisant l’accès à son territoire des ressortissants des pays atteints par le virus Ebola, ou tente d’assimiler délinquance et immigration. L’égalité, c’est enfin cultiver la connaissance réciproque. Hier notre histoire était absente des manuels de l’Occident, aujourd’hui notre actualité est absente de ses médias. Ainsi, si TV5 Monde, «la chaine francophone internationale», propose chaque jour à ses téléspectateurs les journaux télévisés complets de la France ou des modestes communautés francophones de Suisse et de Belgique, elle n’offre aucune fenêtre sur les réalités africaines en ne diffusant aucun journal télévisé d’un membre africain de la Francophonie. Sans doute parce qu’aucune des télévisions du Sud, ni leurs best off, ne sont jugés dignes d’intérêt pour être proposés aux exigeants téléspectateurs occidentaux. En somme, on nous offre de regarder vivre les pays du Nord, mais eux n’ont aucune occasion de nous juger sur nos propres pièces.

Le « noyau dur » de la Francophonie

Un autre défi autrement plus important, est notre rapport avec la langue française. La France demeure encore le propriétaire jaloux de son état civil, mais elle pourrait cesser d’en être l’actionnaire principal dans quelques décennies, car le français reculant partout, sauf sur le continent noir, 80% des quelques 750 millions de francophones que pourrait compter le monde en 2050, pourraient être Africains. Si la langue française survit, il n’est pas exclu que se développe en dehors de sa terre d’origine, voire contre elle, un « français africain « qui se passera de son Académie, tout comme l’américain et le brésilien se sont émancipés de leurs langues mères. Mais pour qu’elle se développe et que son prestige reste intact, il faut que la scolarisation se généralise et se consolide en Afrique, c’est-à-dire dans les pays où le français est langue d’enseignement et qui ne représentent plus que le tiers des membres de l’OIF. Le recensement de locuteurs francophones est encore une fiction et les étrangers qui se promènent dans les rues de Dakar réaliseront vite que la plus ancienne colonie française d’Afrique est loin d’être francophone. Le français n’est pas seulement une langue étrangère, c’est aussi une langue imposée et, pour certains, l’ignorer c’est en quelque sorte se libérer. Contrairement à ce que l’on croit, son statut est loin d’être irréversible et la menace ne vient pas seulement des langues africaines, mais aussi d’autres langues étrangères comme l’anglais, comme le montre l’exemple du Rwanda qui en quelques années est passé de l’anglophilie à l’anglophonie.

Si la Francophonie garde son nom  et ses références, un de ses combats doit être celui de l’éducation en farçais. Elle n’y perdrait rien, car en matière de profit, l’investissement en éducation est l’un des plus rentables. Evidemment ce combat est difficile au sein d’une institution devenue hétérogène, qui semble quelquefois lâcher le poisson qu’elle serre entre ses mains au profit de celui qu’elle ne retient que par ses pieds. L’avenir du français se jouera néanmoins dans ce tiers de membres où l’apprentissage de la langue est en déconfiture et les universités en ruines. Certes l’éducation, en élevant le niveau des Africains ferait d’eux des partenaires plus exigeants, mais pour que les Africains s’engagent dans « sa défense et son illustration », il faut que le français reste attractif, utile et rentable, que les universités francophones du Nord s’ouvrent aux étudiants et aux chercheurs.


Faute de cela, les hommes et les femmes qui demain seront aux commandes de notre économie et de notre politique pourraient être majoritairement des produits des universités et du monde des affaires de pays dont les langues et la culture nous étaient étrangères. La vérité, c’est qu’aujourd’hui, la raison nous pousse déjà vers ces pays  qui sont aussi ceux avec lesquels nous n’avons pas de contentieux historiques. Demain, c’est notre cœur qui jouera contre la Francophonie.

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