Je suis historien et géographe de formation. J'ai été enseignant-formateur à l’Ecole Normale Supérieure (ENS) de Dakar, puis en charge de différentes structures et directions administratives. A la retraite depuis plusieurs années, je profite de ma liberté recouvrée pour assouvir une vieille passion : écrire. Ces dernières années, j’ai publié deux romans («Mon villages au temps des blancs » en 2000 et «La Raparille» en 2010) ainsi que trois essais (« A mes chers parents gaulois » en 2007 ; "Wade Mecum ou le wadisme en 15 mots" en 2010; "Le temps des choses jamais vues : chronique des années Wade-Sarkozy", 2013). Je publie régulièrement des chroniques dans divers journaux sénégalais (en particulier « Nouvel Horizon » et "Sud Quotidien").

lundi 17 novembre 2014

STOCKHOLM-OUAGADOUGOU : REGAINS D’ESPOIR !

PS : Texte publié dans "Sud Quotidien" du 15 novembre 2014

Les manifestations qui se sont déroulées le 30 octobre dans la capitale du Burkina Faso ne doivent pas nous faire oublier que le même jour, à des milliers de kilomètres de là, à Stockholm, capitale de la Suède, était posé un autre acte tout aussi symbolique et qui interpelle aussi notre conscience. Certes, les deux évènements n’ont pas la même signification, ne portent pas la signature des mêmes instances, n’ont pas le même cadre. A Stockholm, c’est une note diplomatique, mesurée, calculée au mot près, presque froide, qui annonce au monde que la Suède reconnait par décret l’Etat de Palestine. A Ouagadougou c’est une insurrection populaire, ce sont des foules improvisées, désordonnées, incontrôlables, qui sonnent l’hallali de l’ère Compaoré. Pourtant ces deux formes d’expression relèvent de la même inspiration et elle s’appelle lassitude.

De la lassitude suédoise…

Depuis plus d’un demi-siècle, la Suède s’est érigée en grande puissance, non pas militaire, mais humanitaire, offrant son territoire, sa diplomatie, son hospitalité, pour défendre ou protéger les plus faibles et les plus démunis. Son engagement pour la paix au Moyen Orient a résisté à toutes les illusions, elle a apporté son soutien à tous les processus de paix, de la conférence de Madrid aux accords  d’Oslo, en passant par les sommets de Camp David  ou de Taba ; son militantisme et sa bonne volonté ont survécu aux frustrations nées de Sabra et Chatila, de l’assassinat d’un vieil handicapé, à l’aube, au sortir d’un lieu de prière, des punitions collectives, des bombardements d’écoles et d’hôpitaux, des massacres d’enfants… Mais la politique, c’est aussi la lucidité et ce sont des signes, et la Suède réalise que depuis près de vingt ans, depuis au moins l’assassinat de Rabin, la compassion occidentale à l’égard d’Israël n’a fait que renforcer son intransigeance. Aucun des problèmes de la crise israélo-palestinienne n’a trouvé un début de solution, que ce soit l’arrêt de la colonisation, la reconnaissance d’un Etat palestinien, le statut de Jérusalem, le partage de l’eau ou la situation des réfugiés. Aujourd’hui les extrémistes juifs menacent même, pratiquement, de faire sauter les lieux saints de l’Islam à Jérusalem, au risque de provoquer une nouvelle intifada, mais en fait, c’est la survie même de la communauté arabe de Palestine qui est en cause puisque 500.000 colons israéliens sont installés sur son territoire et que pour assurer la protection et l’accessibilité de cette population (zones tampons, voies d’accès, murs de protection etc), Israël occupe en fait 60% de la Cisjordanie !

La Suède a donc décidé de ne plus se faire complice de cette politique. Israël, comme d’habitude, tente de tourner en dérision le communiqué suédois : le logo israélo-palestinien est, dit son ministre des Affaires étrangères, plus difficile à assembler qu’un meuble Ikea ! Peut-être serait-il tenté de poser la question : « La Suède, combien de divisions ? ». Rodomontades, car la voix de la Suède porte loin et son exemple peut être contagieux. La réalité, c’est que le ver est dans le fruit, que pour la première fois un Etat déjà membre de l’Union Européenne reconnait l’Etat de Palestine. La réalité, c’est que le monde entier est las de l’intransigeance et de la rouerie israéliennes, ce qui s’est traduit par un vote éloquent lors de la dernière consultation effectuée par l’Assemblée Générale des Nations-Unies : il ne s’est trouvé qu’une demi douzaine de voix sur près de 200 pour soutenir l’Etat hébreu. C’est pour toutes ces raisons que la note diplomatique suédoise est un signe d’espérance et, peut-être, le début d’une révolution…

à l’exaspération burkinabé !

Si le monde entier est las d’Israël, au Burkina c’est tout le peuple qui s’était lassé de son Président. Pendant de longues années, il avait avalé des couleuvres. Mais, pour peu que Blaise Compaoré accepte de débarrasser le plancher après 27 ans de pouvoir, qu’il s’abstienne de violer la constitution, les Burkinabés étaient presque prêts à passer en pertes et profits l’insoutenable voile qui couvre l’assassinat de ses compagnons d’armes, Sankara, Zongo  ou Lingani, l’exécution du journaliste Norbert Zongo, les services rendus à l’ancienne puissance coloniale quelquefois contre les intérêts locaux, la compromission avec les trafiquants de diamants, les amitiés douteuses avec Charles Taylor ou Kadhafi, l’enrichissement de la tribu et la répression de la révolte de 2011, etc. Leur bonne volonté n’a pas suffi et, gagnés par l’exaspération, ils ont usé de la force pour faire reconnaitre leurs droits. Cela s’appelle le ras-le-bol et c’est cela qui pousse aujourd’hui les Palestiniens à s’autodétruire en se jetant contre les chars et les missiles israéliens, c’est cela qui demain conduira les pays européens à rejoindre les 135 nations du monde qui ont déjà reconnu l’Etat de Palestine.

Compaoré aussi avait tourné en dérision les avertissements qui lui avaient été adressés, il s’était prévalu du soutien, de la complicité de ses parrains, de ses réseaux et lobbies, pour provoquer l’opinion au-delà du soutenable. Mais il avait ignoré ces mots de Paul Valéry selon lesquels «  tout pouvoir est exactement dans la situation d’un établissement de crédit : si, à un moment quelconque, (il) était sommé de produire ses forces réelles sur tous les points de son empire, (il) serait en tous ces points à peu près égal à zéro ! ». C’est ce qui s’est passé le 30 octobre à Ouagadougou lorsque l’opposition, la société civile, l’armée, les chefs traditionnels ont uni leurs voix. Le paradoxe, c’est que Compaoré qui se gargarisait de nationalisme et d’authenticité, n’ait dû la vie sauve qu’au secours et aux artifices d’une puissance étrangère, et que lui qui rêvait d’un Prix Nobel de la Paix, ait fui une capitale en feu… Quel gâchis !

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