L’épidémie provoquée par le virus Ebola n’est pas seulement une
« urgence de santé publique de portée mondiale » et une catastrophe
humanitaire pour notre région, elle nous livre aussi des leçons que nous
aurions tort de prendre à la légère.
Mgr Ebola
La première est pourrait-on dire d’ordre sémantique puisqu’elle se rapporte
aux mots et discours qui ont accompagné l’épidémie. Face à la tragédie qui se
joue en Afrique de l’Ouest, les Français mesureront peut-être, enfin, la
monstruosité des propos tenus par Jean-Marie Le Pen qui, lors d’une adresse
destinée aux « Frontistes des origines »,
s’était élevé contre la menace de « subversion »
que les immigrés feraient peser sur la France et avait conclu que « Mgr Ebola pouvait régler ça en trois
mois ! ». Il appelait donc
au secours une maladie qui se manifeste par des hémorragies externes et internes,
le saignement des muqueuses, des vomissements et des diarrhées accompagnés de sang,
des peaux qui s’arrachent, et se termine par des corps incinérés alors qu’ils
sont encore vivants, une mort atroce, des cadavres jetés dans des fosses communes…
Malgré l’indignité des termes utilisés, ce discours n’a pas soulevé des vagues
semblables à celles qui, en 1988, avaient accompagné l’ignominieux « Durafour-crématoire » de Le Pen et lui avait valu l’opprobre de toute
la classe politique française et une condamnation pour injure. La passiveté de
la même classe face aux attaques racistes et sexistes lancées contre des
Françaises qui ont le tort d’être non « souchiennes »,comme Christiane Taubira ou Najat Vallaud-Belkacem,
est à ce titre édifiante. Il en est désormais ainsi : la qualité de
l’insulté importe plus que la nature de l’insulte !
C’est aussi une querelle de mots quand, comme on l’a déjà souligné, la
presse occidentale place le Sénégal parmi les pays « touchés par
Ebola », alors qu’il n’y existe aucun foyer de la maladie, et que le seul
malade qui y a été répertorié est venu
de l’extérieur. A ce compte-là, même si les modes de transfert sont différents,
les Etats-Unis, l’Allemagne ou l’Espagne qui eux aussi ont accueilli des
malades, devraient figurer sur le même tableau infâmant !
Quelle conclusion tirer de ce deux poids deux mesures ? Qu’au-delà du
fléau, il y a aussi une bataille de communication qui se fait à nos dépens et
que nous devons relever les injures et récuser les amalgames, même vis-à-vis de
nos « amis ». « Africains,
si vous parliez ! »,
disait Mongo Betti ? Cette invite s’adresse d’abord aux dirigeants qui
doivent parler pour déterrer les maux enfouis sous les mots.
Mourir à cause Ebola !
Cette tragédie nous rappelle un autre mot, celui de Charles De
Gaulle : « les Etats n’ont pas d’amis, ils n’ont que des
intérêts ! ». Pour notre malheur,
Ebola est une endémie africaine et, face à ce fléau, la première réaction des
grandes puissances a été de se barricader et non de l’enrayer. Si le financement
de la recherche sur la maladie de Charcot a pu collecter des millions de
dollars en quelques semaines, au moyen d’un simple jeu (Ice Bucket Challenge), c’est que celle-ci représente une menace universelle,
tout comme le sida qui, pour les mêmes raisons, avait bénéficié d’une manne inégalable. Mais si, comme on l’annonce, la
lutte contre Ebola est déjà perdue, il faudra situer la responsabilité autant au
manque de générosité des riches qu’à notre imprévoyance et à notre incapacité à
mettre en place des moyens coordonnés d’investigation et de traitement des
maladies qui naissent ou se développent sur notre continent.
Un autre enseignement à tirer de cette douloureuse expérience est
celui-ci : la maladie ne tue pas que les humains, elle peut aussi tuer
tout le système sanitaire ! Il y a aujourd’hui, en Guinée ou au Libéria,
des hommes et des femmes qui meurent non d’Ebola mais à cause d’Ebola :
parce que les structures de santé sont désertées par leur personnel, parce que
les soignants, hantés par le doute, hésitent à prendre en charge une femme enceinte
ou un paludéen, parce que la faim ou le désespoir précipite la mort avant même
la contamination ! Que restera-t-il de l’édifice sanitaire du Libéria,
dans six mois, lorsque la maladie aura atteint son pic ?
Il y a, pour terminer cette analyse qui est loin d’être exhaustive, une
leçon qui remonte à nos impulsions et met à mal nos illusions. Le Sénégalais a
un péché mignon : c’est de se mirer dans son nombril et de prétendre qu’il
n’est pas comme les autres. Au point qu’il y a déjà un livre qui se prépare et
qui a l’ambition de mettre en évidence que notre histoire en est la parfaite
illustration. Nous serions donc insensibles à l’intolérance et aux divisions
intestines qui ont mis à mal la paix civile chez nos voisins. Nous sommes le
pays de la « Téranga » et la violence est une arme que nous méprisons.
Hélas, tout n’est pas aussi simple et Ebola démontre que les mêmes démons sont
à nos portes, pour peu que nous manquions de vigilance. On a ainsi vu de jeunes
sénégalais tenter de forcer les portes d’un hôpital pour imposer une solution
radicale en immolant l’étudiant guinéen qui a troublé leur quiétude. On a
entendu d’autres sénégalais expliquer qu’accueillir un malade et le soigner
c’est créer un appel d’air qui ferait
basculer vers Dakar toutes les populations désespérées du Golfe de
Guinée. D’ores et déjà, certains de nos concitoyens ne se fient qu’au faciès
pour serrer la main des personnes qu’ils rencontrent. D’ores et déjà, certains
spéculent, d’autres exercent des trafics et des chantages…
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