NB : Texte publié dans "Sud Quotidien" du 15 décembre 2014
Les
Sénégalais acceptent mal que ceux parmi eux qui ont exercé des fonctions importantes
dans la vie publique, confient à l’opinion les fruits de leur expérience, se
livrent à des confessions dans lesquelles sont citées des personnes vivantes ou
mortes. C’est, estiment-ils, contraire au « maslaa » sénégalais qui
veut que l’on cultive le compromis, quitte à noyer la vérité sous un flot de banalités. Le résultat est là : à
force d’auto-censure, notre histoire récente comporte des trous béants, faute
d’informations de première main. Quelques rares personnalités ont pris le
risque de nous éclairer, mais d’autres, qui étaient des acteurs de premier plan
ou des témoins bien placés, ont préféré se taire et des pages entières de notre
histoire de notre vie resteront inconnues.
Une
« part de vérité » contestée !
Abdou
Diouf a choisi de publier ses mémoires et depuis plusieurs semaines, cela lui
vaut une volée de bois vert. Si l’on en croit certains, lui qui se vante d’avoir « gardé une mémoire intacte », aurait tout faux, sur les choses
anodines comme sur les évènements les plus importants. Ses détracteurs
s’épanchent dans la presse-people et les médias audiovisuels et certaines
critiques revêtent un ton blessant, car elles s’en prennent à l’homme et non au
politique, à sa vie privée et non à sa fonction. Pourtant Diouf avait prévenu
qu’il ne faisait « qu’apporter sa
part de vérité » et tout compte fait, il n’y a pas vraiment dans son
livre de quoi fouetter un chat. S’il a quelques cibles préférées, il ne ménage
pas non plus ses amis, ceux qui l’ont quitté comme ceux qui lui sont restés fidèles.
En réalité son livre trace du personnel politique sénégalais le portrait d’une
classe à l’humeur très changeante et dont la passion de l’Etat n’est pas
souvent la principale qualité.
Il y a,
bien sûr, quelques cancaneries, certaines discutables, comme l’évocation de la
première rencontre entre Jean Collin et celle qui devait devenir sa deuxième épouse.
Il y a des insinuations non fondées sur des arguments, comme le doute porté sur
l’honnêteté de certains, il y a des « comploteurs » dont on ne dit
pas toujours les noms. Mais il y a très peu de révélations croustillantes,
sinon peut-être que Collin aurait été… un espion des Russes ou, sur un autre plan, que dès 1964,
Senghor avait manifesté le désir de faire de Diouf son successeur. Il y a
surtout l’omniprésence de Collin et cette confirmation qu’avant d’être le Maire
du Palais, il avait été pour le Premier Ministre Diouf, l’intercesseur auprès
de Senghor ou de son épouse. Comme on ne prête qu’aux riches, il serait aussi
l’artisan du fameux article 35, et c’est lui qui aurait inspiré à Diouf la
suppression du poste de Premier Ministre, à l’insu du titulaire, Habib Thiam,
pourtant ami et confident du chef de l’Etat ! Evidemment, au travers du
récit, on apprend aussi des choses qui nous laissent dubitatifs, crédules ou
admiratifs : un Président de la République qui discute de la sécurité du
pays en présence d’un conseiller étranger, la Première Dame réduite à vendre
ses bijoux et les… cravates de son mari pour financer sa fondation, le salaire
du Chef de l’Etat réduit à 250.000 F, etc.
Il y
a surtout des confidences qui sont des révélateurs de la nature profonde de Diouf.
Ainsi, ce serait seulement après avoir prêté son premier serment de Président
de la République, dans la voiture qui le conduisait de la Cour Suprême au Palais,
qu’il aurait eu l’idée de nommer Habib Thiam comme Premier Ministre, à la
surprise générale ! Ainsi, c’est en signant le décret nommant Tanor Dieng Ministre
d’Etat chargé des affaires présidentielles, qu’il découvrit que celui-ci était
aussi chargé de l’intérim du Premier Ministre, prérogative qui allait fâcher
des membres influents de son gouvernement !
Le
livre de Diouf a inspiré aussi des avocats, au profil souvent surprenant, qui se sont acharnés à le défendre, sans même
lui laisser le temps de répondre à ses détracteurs. Mais ils ne lui rendent
guère service ces Zorro zélés, car le principal reproche qui a toujours été
fait à l’ancien président, c’est justement de s’être toujours abrité derrière
d’autres personnes, d’être un planqué derrière un paravent de serviteurs. N’était-il
pas enfin temps qu’on le laissât seul, affronter à visage découvert, comme un
grand, ceux qui l’ont servi et qui, à tort ou à raison, se sentent trahis par
ses propos ? Cette rescousse, dont on ne sait pas si elle est spontanée ou
commanditée, est d’autant plus vaine que certaines de ces bonnes âmes tentent
des parallèles bien hasardeux. Comme cette assimilation, au travers de leurs
mémoires, entre le parcours de Diouf, qui a eu la chance d’avoir été, sa vie
politique durant, une sorte de pupille de l’Etat, et celui du Juge Ousmane Camara,
qui à trente ans, lors du procès Mamadou Dia, s’était retrouvé dans la solitude
d’un procureur placé entre l’enclume de l’opinion et le marteau du pouvoir. A
l’occasion d’une des expériences les plus dramatiques de sa vie et presqu’au
même âge, Diouf pour sa part, avait pris moins de risques en faisant pression
sur Senghor pour le convaincre d’annuler la traditionnelle réception au Palais
après l’attentat manqué à la Grande Mosquée de Dakar, oubliant qu’en
République, comme dans le spectacle, « the show must go on ! ».
Le plus important c’est ce qu’il n’a pas dit !
Mais
l’erreur fondamentale de ceux qui substituent leurs paroles à celle de Diouf,
et s’érigent en boucliers, c’est de méconnaître ce fait : ce n’est pas ce
que Diouf dit qui pose problème, c’est ce qu’il ne dit pas ! Pendant
quarante ans, il a été « aux abords du sommet et au sommet de l’Etat »,
on attendait donc qu’il nous éclaire sur les « fait les plus marquants », ceux qui n’ont pas livré leurs
secrets ou dont les contours et les implications sont restés flous ou contestés,
plutôt que sur les querelles de préséance. Non seulement, il ne nous livre pas
toujours les éléments les plus significatifs, mais des pans entiers de notre
vie politique sont « oubliés » ou bradés. Ainsi, il n’y a que
quelques lignes sur le drame cornélien vécu, en 1962, par le jeune gouverneur
de région qu’il était, sommé de choisir entre celui qui avait raison et celui
qui avait la force, y compris celle de l’étranger, et rien sur le procès Dia.
Il y une page, à peine, sur la crise universitaire de 1968 et bien moins sur le drame vécu par
Ousmane Blondin Diop et ses compagnons,
ou sur la fronde de ceux qui estimaient que Senghor avait « sauté une
génération » en le nommant Premier Ministre. Diouf, Président de la
République, est très peu disert sur le rôle, les états d’âme de notre armée et
de ses chefs dans les conflits qui ont opposé le Sénégal et ses voisins, ou
dans ses crises internes, pas plus qu’il n’est explicite sur les dessous de la
crise casamançaise, qui a éclaté et s’est internationalisée sous son mandat,
sauf à nous révéler qu’il se proposait de porter l’abbé Diamacoune à la… présidence
du Sénat ! Il ne nous dit presque rien sur la révolution que fut le
multipartisme intégral, sur les tumultueuses élections de 1988 qui conduisirent
Wade en prison, ou plus tard, sur la cohabitation avec le pape du Sopi, etc. Sur
l’assassinat de Me Sèye, son seul mot c’est de dire que « tout le monde sait ce qui s’est passé ! ». Eh
bien non, M. le Président, personne, en dehors de vous peut-être, ne sait ce
qui s’est VRAIMENT passé… Pour lui, le « Congrès sans débat » n’a qu’un
seul fondement : sa décision de ne plus tenir les réunions de son parti au
Parlement et de ne plus s’y rendre pour ne pas perturber la circulation !
Ce
livre nous laisse sur notre faim et, si Diouf veut inscrire ses pas sur ceux de
celui qu’il prend pour maître, il devra alors en corriger les coquilles,
remplacer quelques expressions malheureuses et apprendre les règles de la
transcription du wolof !
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