Je suis historien et géographe de formation. J'ai été enseignant-formateur à l’Ecole Normale Supérieure (ENS) de Dakar, puis en charge de différentes structures et directions administratives. A la retraite depuis plusieurs années, je profite de ma liberté recouvrée pour assouvir une vieille passion : écrire. Ces dernières années, j’ai publié deux romans («Mon villages au temps des blancs » en 2000 et «La Raparille» en 2010) ainsi que trois essais (« A mes chers parents gaulois » en 2007 ; "Wade Mecum ou le wadisme en 15 mots" en 2010; "Le temps des choses jamais vues : chronique des années Wade-Sarkozy", 2013). Je publie régulièrement des chroniques dans divers journaux sénégalais (en particulier « Nouvel Horizon » et "Sud Quotidien").

mercredi 11 juin 2014

POURQUOI ETAIT-IL PARTI ?

NB Texte publié dans "Sud Quotidien" du 14 mai 2014

Pourquoi donc était-il parti ? Pourquoi  d’ailleurs partent-ils tous ?

Tout le monde se pose la question de savoir quelles sont les motivations du retour de Wade, mais personne ne s’interroge sur les raisons de son départ du Sénégal, dès après sa défaite, en 2012, et pourquoi c’est seulement au bout de deux ans qu’il revient dans le pays qui l’avait adulé, l’avait enrichi, lui et sa progéniture, mettant ainsi fin à un exil que rien ne justifiait et au cours duquel il  est resté quasi indifférent aux difficultés et aux inquiétudes de ses concitoyens. On devrait pousser la réflexion plus loin et s’interroger sur ce paradoxe bien sénégalais : pourquoi un ancien chef d’Etat, pourtant battu à la régulière au cours d’élections démocratiques, abandonne-t-il son pays, son parti, ses militants, sa maison, pour s’expatrier à l’étranger, comme s’il désavouait le choix de son peuple ? Pourquoi, plus généralement encore, les anciens présidents sénégalais, Wade et avant lui Senghor puis Diouf, nous fuient-ils comme si nous étions des pestiférés, dès le moment où ils cèdent ou perdent le pouvoir, alors même que leur démission ou leur défaite n’ont rien d’infamant et constituent même une exception dont ils devraient se glorifier ? L’exil de Senghor était, d’une certaine manière, assez prévisible, tant était fort l’attachement sentimental, culturel et même familial du président-poète à l’égard d’un pays où s’était forgé son esprit, car comme le dit un adage pulaar, ceux qui éduquent l’emportent toujours sur ceux qui mettent au monde. L’exil de Diouf était plus surprenant, celui de Wade totalement injustifiable puisqu’il était le seul parmi les trois à disposer d’un domicile fixe et connu à Dakar, bien avant son arrivée au pouvoir.            
                   
La mise en scène d’un retour

Mais, évidemment, Abdoulaye Wade ne fait jamais ce qu’on attend de lui et la surprise aurait été qu’après la fin de son mandat, il se contente d’être un retraité nonagénaire, certes prestigieux, mais soucieux de se placer désormais au dessus des factions et de préserver la dignité de son statut. Il est donc parti, mais contrairement à ses prédécesseurs, son exil relevait du théâtralisme plutôt que du désir de ne pas interférer dans la gestion de son successeur. Wade a une mentalité de joueur et use toujours des mêmes combinaisons. Il va donc tenter de rééditer son coup de décembre 1999, quand porté par toute l’opposition réunie autour de lui, il  était revenu de son exil de France –  déjà ! – pour aller à l’assaut du régime de Diouf. Et pour ajouter au spectacle, il fera de ce qui n’est qu’une formalité, son vol retour, un feuilleton où le suspense le dispute à l’imbroglio !

Malheureusement pour lui, il n’est plus un opposant susceptible de conquérir le pouvoir et qui peut encore faire illusion, mais un ancien chef d’Etat, qui traine son bilan comme un boulet. Il a manqué de réalisme en oubliant que les deux tiers des Sénégalais lui avaient claqué la porte, définitivement, il y a seulement deux ans. Il ne réalise même pas que si son parti se meurt, au point que le chantier de son énorme salle d’apparat se rouille dans l’indifférence générale depuis deux ans, c’est qu’il lui tient toujours la bride et ne laisse aucune initiative à ses adjoints.  Il a, comme d’habitude, manqué de mesure en prétendant que, cette fois encore, ils étaient « des millions » à l’accueillir. Mais, surtout, il a manqué de « conscience professionnelle ». Quand on a été chef d’Etat, premier citoyen d’un pays, il y a un comportement qu’on n’a plus le droit d’afficher, il y a des mots qu’on ne doit plus jamais prononcer. Cela, au moins, ses deux prédécesseurs, Senghor et Diouf, l’avaient compris. Ils avaient compris que leur conquête principale était qu’ils étaient désormais des hommes libres et qu’ils pouvaient enfin se passer de se battre pour l’argent ou pour le pouvoir.
Wade revient, non comme on rentre à la maison, mais pour faire la tournée des grands ducs, tenter une fois encore de se concilier les bonnes grâces des chefs religieux, qui tous, prudemment, ont fixé les limites de leur appui. Il rentre pour récupérer l’argent qu’on lui avait offert au titre de chef d’Etat et qu’il avait, sans vergogne, gardé pour lui. Il rentre pour faire pression sur la justice qui doit se prononcer sur les turpitudes réelles ou supposées de son fils, alors que d’autres Sénégalais, qui l’avaient soutenu et accompagné, sont passés sous les fourches caudines sans qu’il élève la voix. Il est vrai qu’à ses yeux seul son fils fait le poids pour reprendre son flambeau.

Quand on a été, comme lui, le premier Président de la République sénégalaise élu de manière libre, démocratique et transparente, on se déshonore en prétendant que l’on peut faire tomber le pouvoir en lançant la rue contre ses  symboles… Même en 1999, Wade  s’était gardé de se présenter en séditieux, se contentant de proclamer que l’accueil populaire qui lui avait été réservé équivalait à une victoire au 1e tour !

Défendra-t-il « sa » loi sur la parité ?

Mandela s’était bien gardé de vouloir gérer l’Afrique du Sud par personne interposée et si un jour il avait revêtu un T-shirt  pour marquer son opposition  à la politique de son successeur en matière de santé, c’est qu’il s’agissait rien de moins que de la survie même de son peuple. On eût ainsi aimé que Wade, d’une manière ou d’une autre, plutôt que d’enflammer les badauds, rappelât aux siens et à ceux qui gouvernent, la nécessité de respecter la loi sur la parité homme-femme qui a été une des grandes avancées de son régime…

Tous les  chefs d’Etat africains sortants ne peuvent pas avoir l’aura de Mandela, mais tous peuvent tenter de suivre les pas de Nyerere, Senghor, Masire, Chissano, Diouf ou Konaré et prêcher à l’issue de leurs mandats, le respect des institutions,  la paix et de l’union.


C’est triste à dire, mais Wade pourrait finir comme il a commencé : en comploteur ! 

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