NB Texte publié dans "Sud Quotidien" du 14 mai 2014
Pourquoi
donc était-il parti ? Pourquoi d’ailleurs partent-ils tous ?
Tout
le monde se pose la question de savoir quelles sont les motivations du retour
de Wade, mais personne ne s’interroge sur les raisons de son départ du Sénégal,
dès après sa défaite, en 2012, et pourquoi c’est seulement au bout de deux ans
qu’il revient dans le pays qui l’avait adulé, l’avait enrichi, lui et sa progéniture,
mettant ainsi fin à un exil que rien ne justifiait et au cours duquel il est resté quasi indifférent aux difficultés et
aux inquiétudes de ses concitoyens. On devrait pousser la réflexion plus loin
et s’interroger sur ce paradoxe bien sénégalais : pourquoi un ancien chef
d’Etat, pourtant battu à la régulière au cours d’élections démocratiques,
abandonne-t-il son pays, son parti, ses militants, sa maison, pour s’expatrier
à l’étranger, comme s’il désavouait le choix de son peuple ? Pourquoi,
plus généralement encore, les anciens présidents sénégalais, Wade et avant lui
Senghor puis Diouf, nous fuient-ils comme si nous étions des pestiférés, dès le
moment où ils cèdent ou perdent le pouvoir, alors même que leur démission ou
leur défaite n’ont rien d’infamant et constituent même une exception dont ils
devraient se glorifier ? L’exil de Senghor était, d’une certaine
manière, assez prévisible, tant était fort l’attachement sentimental, culturel
et même familial du président-poète à l’égard d’un pays où s’était forgé son
esprit, car comme le dit un adage pulaar, ceux qui éduquent l’emportent
toujours sur ceux qui mettent au monde. L’exil de Diouf était plus surprenant,
celui de Wade totalement injustifiable puisqu’il était le seul parmi les trois à
disposer d’un domicile fixe et connu à Dakar, bien avant son arrivée au pouvoir.
La mise en scène
d’un retour
Mais,
évidemment, Abdoulaye Wade ne fait jamais ce qu’on attend de lui et la surprise
aurait été qu’après la fin de son mandat, il se contente d’être un retraité
nonagénaire, certes prestigieux, mais soucieux de se placer désormais au dessus
des factions et de préserver la dignité de son statut. Il est donc parti, mais
contrairement à ses prédécesseurs, son exil relevait du théâtralisme plutôt que
du désir de ne pas interférer dans la gestion de son successeur. Wade a une
mentalité de joueur et use toujours des mêmes combinaisons. Il va donc tenter
de rééditer son coup de décembre 1999, quand porté par toute l’opposition
réunie autour de lui, il était revenu de
son exil de France – déjà ! – pour
aller à l’assaut du régime de Diouf. Et pour ajouter au spectacle, il fera de
ce qui n’est qu’une formalité, son vol retour, un feuilleton où le suspense le
dispute à l’imbroglio !
Malheureusement
pour lui, il n’est plus un opposant susceptible de conquérir le pouvoir et qui
peut encore faire illusion, mais un ancien chef d’Etat, qui traine son bilan
comme un boulet. Il a manqué de réalisme en oubliant que les deux tiers des
Sénégalais lui avaient claqué la porte, définitivement, il y a seulement deux ans.
Il ne réalise même pas que si son parti se meurt, au point que le chantier de son
énorme salle d’apparat se rouille dans l’indifférence générale depuis deux ans,
c’est qu’il lui tient toujours la bride et ne laisse aucune initiative à ses
adjoints. Il a, comme d’habitude, manqué
de mesure en prétendant que, cette fois encore, ils étaient « des
millions » à l’accueillir. Mais, surtout, il a manqué de « conscience
professionnelle ». Quand on a été chef d’Etat, premier citoyen d’un pays,
il y a un comportement qu’on n’a plus le droit d’afficher, il y a des mots
qu’on ne doit plus jamais prononcer. Cela, au moins, ses deux prédécesseurs,
Senghor et Diouf, l’avaient compris. Ils avaient compris que leur conquête
principale était qu’ils étaient désormais des hommes libres et qu’ils pouvaient
enfin se passer de se battre pour l’argent ou pour le pouvoir.
Wade revient,
non comme on rentre à la maison, mais pour faire la tournée des grands ducs,
tenter une fois encore de se concilier les bonnes grâces des chefs religieux,
qui tous, prudemment, ont fixé les limites de leur appui. Il rentre pour
récupérer l’argent qu’on lui avait offert au titre de chef d’Etat et qu’il avait,
sans vergogne, gardé pour lui. Il rentre pour faire pression sur la justice qui
doit se prononcer sur les turpitudes réelles ou supposées de son fils, alors
que d’autres Sénégalais, qui l’avaient soutenu et accompagné, sont passés sous
les fourches caudines sans qu’il élève la voix. Il est vrai qu’à ses yeux seul
son fils fait le poids pour reprendre son flambeau.
Quand
on a été, comme lui, le premier Président de la République sénégalaise élu de
manière libre, démocratique et transparente, on se déshonore en prétendant que
l’on peut faire tomber le pouvoir en lançant la rue contre ses symboles… Même en 1999, Wade s’était gardé de se présenter en séditieux,
se contentant de proclamer que l’accueil populaire qui lui avait été réservé
équivalait à une victoire au 1e tour !
Défendra-t-il « sa » loi sur la parité ?
Mandela
s’était bien gardé de vouloir gérer l’Afrique du Sud par personne interposée et
si un jour il avait revêtu un T-shirt
pour marquer son opposition à la
politique de son successeur en matière de santé, c’est qu’il s’agissait rien de
moins que de la survie même de son peuple. On eût ainsi aimé que Wade, d’une
manière ou d’une autre, plutôt que d’enflammer les badauds, rappelât aux siens
et à ceux qui gouvernent, la nécessité de respecter la loi sur la parité
homme-femme qui a été une des grandes avancées de son régime…
Tous
les chefs d’Etat africains sortants ne
peuvent pas avoir l’aura de Mandela, mais tous peuvent tenter de suivre les pas
de Nyerere, Senghor, Masire, Chissano, Diouf ou Konaré et prêcher à l’issue de
leurs mandats, le respect des institutions, la paix et de l’union.
C’est
triste à dire, mais Wade pourrait finir comme il a commencé : en
comploteur !
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