NB : Texte publié dans "Sud Quotidien" du 16 mai 2014
Il y
a très exactement quatre ans, l’Assemblée Nationale du Sénégal votait une loi
dont les premiers articles portaient ces mentions :
- Article
1 : « La parité absolue homme-femme est instituée au Sénégal
dans TOUTES (c’est nous qui soulignons)
les institutions totalement ou partiellement électives ».
- Article
2 : « …les listes de candidature doivent être conformes aux
dispositions ci-dessus sous peine d’irrecevabilité… ».
Les
considérations citées à l’appui de cette loi faisaient état de la nécessité de
garantir aux femmes une participation égale à la vie politique et dans une
grande envolée lyrique, le ministre de la justice annonçait l’avènement d’une
« justice sociale et la reconnaissance de l’importance de la position et
de l’implication de tous pour relever les défis de construction et de
développement ».
Pourtant
cette loi n’était pas d’une nécessité absolue et l’égalité imposée par le haut
pouvait avoir le plus mauvais effet. Elle pouvait n’aboutir qu’à mettre en
place une assemblée paritaire composée pour moitié de femmes dont la plupart ne
sont ni préparées à leur fonction ni motivées pour la remplir. Il y a de par le
monde des pays qui se sont passés d’une loi similaire et où pourtant la
participation des femmes à la prise de décisions politiques est à la mesure de
leur contribution effective à la société. Mais au Sénégal on a le fétichisme
des textes réglementaires et, surtout sous Wade, celui du quizz. Avec plus de
42% de femmes élues au parlement en 2012, le Sénégal était au sixième rang
mondial en matière de représentation féminine et, sans doute cela suffisait à
notre gloire…
Le
geste restait néanmoins audacieux et a été salué de par le monde comme une
avancée démocratique exceptionnelle dans un pays en développement. La loi a donc
été votée à la quasi unanimité par l’Assemblée Nationale où, pour une fois,
majorité et opposition ont parlé de la même voix, trois députés seulement (1)
ayant exprimé leur désaccord. Le Sénat a, plus unanimement encore, suivi les
députés et la proclamation s’est faite dans les délais les plus courts…
Il
restait la mise en application et c’est l’épreuve essentielle pour une loi. On
s’attendait donc à ce que tous ceux qui avaient applaudi à cette loi, vanté ses
avancées et l’espérance qu’elle faisait naitre, poussent des cris d’orfraie, défilent
dans les rues, publient des motions à l’annonce qu’aux prochaines élections locales,
les premières organisées depuis son adoption, une entité de notre pays, Touba
en l’occurrence, refuse de s’y plier et présente une liste à l’ancienne,
composée uniquement d’hommes. On s’étonne déjà que l’administration se soit
comportée en Ponce Pilate et se soit contentée de transmettre la patate chaude
à la CENA. On ne peut comprendre
qu’aucune des personnes inscrites sur ces listes n’ait eu l’audace de
rappeler qu’elles allaient à l’encontre de la loi et, pour le moins, de
décliner l’offre d’y figurer. On a du mal à faire grâce aux organisations de la
société civile dont certaines avaient déjà entrepris la formation des femmes
pour les préparer à leurs nouvelles responsabilités, et qui font profil bas et
se contentent de vagues déclarations de principe.
Mais
comment accepter le silence, la complicité de membres de l’institution qui a la responsabilité de voter les lois, face à
une tentative d’attentat qui vise l’objet même de sa mission ? Faire exploser
la loi sur la parité au moment où précisément elle est mise à l’épreuve, c’est
faire exploser le principe même d’une règle juridique d’application obligatoire.
C’est aussi, aux yeux du monde entier, mettre en doute notre parole et la
crédibilité de nos institutions. Le vote d’une loi est en effet, souvent,
l’occasion d’une profession de foi et dans le cas qui nous concerne ici, elle
était adressée aux Nations-Unies (Convention du 18-12-1979), à l’Union
Africaine (Protocole de la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des
Peuples du 11-7-2003) et à d’autres organismes de moins grande envergure comme
le REFRAM qui rassemble tout de même 28 autorités francophones de régulation.
La loi sur la parité avait suscité leurs vivats, son viol provoquera leurs
quolibets.
Mais,
bien évidemment, le débat est d’abord national et c’est le respect de la
mission confiée à une institution qui est censée être l’émanation du peuple qui
est mis en cause. Même si les députés qui composent la présente Assemblée
Nationale ne sont pas, dans leur écrasante majorité, ceux qui avaient voté la
loi sur la parité homme-femme, ils savent, par le principe de la continuité de
l’Etat, qu’elle reste une loi de la République tant qu’ils ne l’ont pas abolie.
Qu’une personnalité aussi éminente que le vice-président du Parlement puisse
ignorer que la loi est impersonnelle, générale et permanente, qu’elle s’impose
à tous les individus de la société est un signe bien plus inquiétant qu’une
assemblée à dominante masculine. L’honorable député dont les sorties
tonitruantes ne sont pas toujours, dans la forme comme dans le fond, à la
hauteur du symbole qu’il incarne, confond le statut d’un bien immeuble à celui
d’un citoyen dans un Etat qui prétend être une « république laïque,
démocratique et sociale » (Article 1 de la Constitution). Il manque à sa
mission s’il ne rappelle pas, à toutes les occasions, que « toutes les
personnes sont égales devant la loi » et qu’ « aucun des droits
souverains de l’Etat ne peut être transféré à autrui ».
Voila
pourquoi il est du devoir politique, mais aussi et surtout éthique, de nos
députés de faire entendre leur voix lorsqu’une loi est bafouée !
(1) Il s’agit des députés Oumar Kh. Dia, Wack Ly et M.
Diop Djamil.
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