Texte publié dans « Sud
Quotidien » du 17 avril 2014
Depuis Cincinnatus, les hommes de
pouvoir n’ont jamais eu qu’un seul choix : un jour où l’autre, il leur faudra
bien l’abandonner à d’autres mains et soit partir la tête haute, par la grande
porte, soit être poussés dehors, en empruntant la petite porte…
La première solution les préserve de
la honte, fait quelquefois oublier certaines de leurs fautes et de leurs
faiblesses, et leur assure généralement une place honorable dans le panthéon
national. La seconde solution les conduit à la raillerie populaire, quand ils
échappent à la mort ou à la torture, les mène à la déchéance ou à la prison,
fait oublier jusqu’aux bonnes actions qu’ils avaient pu conduire. Kadhafi avait
délivré son pays du joug d’une monarchie vieillissante qui méprisait le peuple,
Hastings Banda avait été surnommé le « Lion
du Nyassaland » pour avoir sorti son pays de la nuit coloniale, et
pourtant, tous deux, sur des registres différents certes, faute d’avoir pu
tenir leurs promesses, faute d’avoir compris que le pouvoir use quand on s’en
sert trop et trop longtemps, sont sortis de l’histoire par la petite porte…
L’exception
Mandela
En plus de cinquante ans
d’indépendance africaine, un seul chef d’Etat de notre continent a réussi le
double miracle d’accéder, mais aussi de renoncer au pouvoir par la grande
porte. Nelson Mandela avait été élu président de la République d’Afrique du Sud
par des voies démocratiques incontestables, de manière si évidente et naturelle
que sa défaite aurait pris l’allure d’une sordide plaisanterie. Il avait exercé
ses fonctions presqu’avec détachement et, à l’issue d’un seul mandat, avait
transmis le pouvoir à un dauphin qui certes n’avait pas son aura, mais avait
été préparé à l’exercice et à sa rigueur. Malheureusement, l’exemple de Mandela
est un cas quasi unique. Le seul président africain pour lequel on oserait
risquer le parallèle est Julius Nyerere, à ces différences près que celui-ci
avait été porté, pour la première fois, au sommet d’un Etat naissant autant par
la condescendance de la puissance coloniale que par le choix libre des
citoyens, qu’il est resté bien plus longtemps au pouvoir et que c’était plus
l’échec de ses réformes que la satisfaction d’avoir accompli sa mission qui le
lui a fait quitter.
Mandela et Nyerere mis à part, il ne
reste plus que des présidents qui, dans le meilleur des cas, ont réussi leur
entrée et raté leur sortie, ou inversement. D’autres, plus nombreux, ont raté
l’une et l’autre, et, de Mobutu à Dadis Camara., en passant par Idy Amine Dada,
Ould Taya ou Ben Ali, ils sont condamnés à l’exil ou dorment anonymes dans des
cimetières étrangers.
Au premier groupe appartiennent
Abdoulaye Wade, Laurent Gbagbo, Amadou Toumani Touré… Wade avait été le premier
président sénégalais élu par des voies démocratiques transparentes. A.T.T avait
sauvé l’honneur de l’armée malienne en rendant le pouvoir illégitime qu’elle
lui avait donné pour conquérir le vote populaire et gouverner sans parti et
presque sans opposition. Gbagbo avait, non sans difficultés, arraché le pouvoir
aux héritiers de Houphouët-Boigny qui pendant plus de trente ans, avait
gouverné la Côte d’Ivoire comme une propriété privée.
Tous les trois sont partis sans
gloire, Wade avait été battu par ceux qui l’avaient porté à la tête de l’Etat
et que son entêtement avait irrités, ATT avait dû descendre les falaises de
Koulouba pour sauver sa vie et Gbagbo rumine sa déconvenue dans une cellule de
prison ! Au second groupe appartiennent Abdou Diouf, Mathieu Kérékou et leur
sort est plus enviable. Ils n’étaient pas arrivés au pouvoir de la manière la
plus légitime mais ils ont su partir au bon moment ou de la meilleure façon, et
d’une certaine manière ils ont gagné le droit de vivre sereinement parmi leurs
concitoyens. Car, on l’aura compris, c’est déjà une grande conquête pour un
ancien chef d’Etat africain que de finir sa vie, en homme libre, parmi ceux
qu’il avait gouvernés !
Abdoul Aziz Bouteflika, aujourd’hui,
et demain, peut-être, Blaise Compaoré, Paul Biya, etc., n’ont pas tiré une
leçon de l’histoire et se préparent à emprunter les voies périlleuses qui ont
conduit certains de leurs collègues au désastre et semé le désordre dans leurs
pays respectifs…
Finir
comme Bourguiba ?
Le cas de Bouteflika ressort de la
comédie théâtrale mais c’est aussi une tragédie humaine. A l’usure manifeste de
ses deux collègues cités - (Biya : 32 ans au pouvoir, le plus ancien président
africain en exercice ; Compaoré : 27 ans au pouvoir !) - il ajoute
l’impossibilité physique d’assurer ses fonctions. L’ancien et sémillant
ministre de Ben Bella et de Boumediene qui fut, il y a quarante ans, l’un des
plus jeunes présidents de l’Assemblée Générale des Nations Unies, est
l’Arlésienne d’une compétition dont il a manqué tous les rendez-vous. Il fait
campagne par ministres interposés et depuis deux ans sa seule prouesse aura été
de s’être levé tout seul, une fois, de son fauteuil, et d’avoir grommelé deux
bouts de phrase plus proches d’un borborygme que d’un discours articulé. Quels
mots, quels arguments peuvent opposer ses adversaires à un candidat virtuel, un
fantôme qui n’a participé à aucun meeting public et qui demain pourrait récuser
toutes les promesses faites par ceux qui portent sa parole ? En réalité l’enjeu
des élections algériennes n’est pas d’exprimer la volonté du peuple, mais de
garantir le droit à ceux qui tirent les ficelles de s’assurer les moyens de
choisir les cartes du jeu.
Bouteflika sera donc élu, sauf
miracle, mais pour quoi faire et pour combien de temps ? La seule question qui
se pose aujourd’hui pour l’Algérie est de savoir si, une fois porté au pouvoir
pour un quatrième mandat, à 76 ans passés, son vieux président terminera sa
carrière présidentielle comme Bourguiba ou comme Houphouët-Boigny. Si, après un
laps de temps variable, il devra subir un « coup d’Etat médical » qui
propulserait au devant de la scène un des marionnettistes qui déjà exercent la
réalité du pouvoir. Ce serait alors la voie ouverte à la dictature puis à la
rébellion comme l’a montré l’expérience tunisienne. Ou si, comme
Houphouët-Boigny, Bouteflika quittera le pouvoir les pieds devant, et, dans ce
cas, le vide politique pourrait comme ce fut le cas en Côte d’Ivoire, servir de
lit au désordre et à la guerre civile.
Ainsi, dans l’un comme dans l’autre
cas, son entêtement politique et les manigances de son entourage portent les
germes du désordre et il n’y a pas plus grave faute pour un chef d’Etat que de
sacrifier la paix civile pour entretenir une gloire personnelle dérisoire au
regard de l’Histoire.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire