Texte publié dans « Sud
Quotidien » du 3 avril 2014
La régulation, celle des moyens
audiovisuels en particulier, est un exercice relativement nouveau en Afrique et
elle est souvent incomprise, quand elle ne prête pas à de nombreuses critiques
plus ou moins justifiées. Pour certains, et notamment pour les producteurs
audiovisuels, elle est, par son essence même, une ingérence dans la liberté
d’expression. Pour d’autres, elle parait dépassée à l’heure du numérique.
D’autres, enfin, et c’est classique lorsqu’il s’agit d’innovations
institutionnelles, invoquent le gaspillage que représenterait la prise en
charge de ses agents…
La presse sénégalaise, la presse
écrite notamment, sert souvent de tribune à des auditeurs, et surtout à des
téléspectateurs, dont les doléances et les récriminations traduisent l’exaspération
face à la fois aux dérives des médias et à l’impuissance, voire, disent
certains, à la complaisance, des organismes de contrôle. Ces critiques sont
souvent fondées et force est de reconnaitre que notre paysage audiovisuel offre
une image peu reluisante.
En quelques années, il a explosé
littéralement et cette croissance s’est faite souvent aux dépens de la qualité
et du respect des valeurs les plus sacrées. La réalité c’est que nous nous
enfermons dans un isolement tel que notre production audiovisuelle est
inexportable parce qu’elle ne flatte souvent que le pire de nos fondements
culturels. En faisant peu cas de la diversité culturelle, en s’abreuvant
exagérément aux séries à l’eau de rose, en privilégiant la futilité et
l’obscurantisme, en préférant s’attacher
les services d’amateurs bon marché mais incompétents plutôt que ceux de
professionnels aguerris, elle présente souvent l’aspect d’une usine à gaz
exclusivement destinée à la consommation locale.
Enlevez les lutteurs, les
footballeurs, les bonimenteurs en tous genres et les guérisseurs universels, et
il ne reste pas grand-chose pour subjuguer la chalandise. Ajoutez à cela le
mélange des genres qui fait que certains éditeurs sont aussi les animateurs
vedettes de leurs groupes ou que d’autres contrôlent toute la chaine, en amont
et en aval, et jusqu’aux sous-traitants, ou le manquement caractérisé des
obligations professionnelles, l’absence quasi générale de précautions
élémentaires qu’impose le genre (pictogrammes, avertissements, etc.) et vous
comprendrez l’émoi que certaines émissions soulèvent dans les foyers. La
télévision, parce qu’elle touche les parties les plus vulnérables de la
population, a besoin de règles et de dispositifs spécifiques.
Mais pour que les critiques les plus
pertinentes atteignent leur but, il faudrait qu’elles tiennent compte des
réalités de notre pays. On oublie trop souvent que les organes de régulation
africains ont pour fondement non les convictions démocratiques de nos
gouvernants mais, plus généralement, la nécessité pour ceux-ci de répondre aux
pressions de la rue, quand ce ne sont pas celles des bailleurs de fonds. Leur
pouvoir est donc souvent limité et la plupart d’entre eux ont pour fonction
essentielle de contrôler le contenu des produits diffusés et n’ont pas de prise
sur le fonctionnement des médias, ce qui est l’autre domaine de compétence
d’une bonne régulation. Il découle de ce fait que la régulation ne peut se
faire qu’à posteriori, elle sert plus à éduquer qu’à sanctionner et,
lorsqu’elle condamne, le mal est généralement fait, ou entamé. Le reproche
qu’on peut faire aux organes de régulation ne peut donc pas être de ne pas avoir empêché la diffusion
d’une émission, mais d’avoir permis qu’elle se reproduise et de ne pas avoir
mis en garde ou sanctionné ses auteurs.
Mais ces limites ne doivent pas,
loin de là, empêcher le téléspectateur, l’auditeur, d’exercer son devoir de
vigilance et d’indignation, car le citoyen est l’allié indispensable du
régulateur et ses avis appréciés et même sollicités. En effet si la régulation
a pour mission de préserver le droit à l’expression (celui d’exprimer son
opinion et celui de recevoir des informations), son fondement essentiel c’est
d’abord de garantir la liberté d’opinion des auditeurs et des téléspectateurs
avant même celle des médias, de préserver les droits des plus faibles et des
plus démunis. C’est en se fondant sur ce titre que le CNRA s’est attaché depuis
un an à se placer aux côtés du public et à placer les médias devant leurs
responsabilités plutôt que d’user et d’abuser de mises en demeure.
Cette posture restitue aussi au
public ses droits parce que le succès d’une chaine ou d’une émission de
télévision est d’abord fonction de l’engouement que lui portent auditeurs et
téléspectateurs. A ce sujet il est assez curieux de remarquer, comme l’a montré
une enquête du CNRA, que les émissions qui soulèvent le plus de remarques
désobligeantes sont aussi celles qui ont le taux d’audience le plus élevé. En
effet, la RTS1 mise à part, les émissions les plus suivies sur les chaines de
télévision sont les talk-shows, les films et autres rubriques qui soulèvent
l’indignation de la majorité des téléspectateurs. Cette situation est d’autant
plus paradoxale que la même enquête a révélé que le taux de pénétration de la
télévision croit avec le niveau d’instruction, qu’il est plus élevé dans les
villes que dans les campagnes, chez les hommes que chez les femmes. En résumé
c’est la partie privilégiée de notre pays, celle qui détient le savoir et le
pouvoir, qui laisse faire ce que d’autres stigmatisent !
En somme à côté de la régulation
institutionnelle, qui doit être autonome et indépendante, bien outillée et
reflétant la diversité sociologique, professionnelle et culturelle de notre
pays, il y a celle des consommateurs, plus efficace encore pour imposer un
paysage audiovisuel de qualité. Il leur suffira en effet de comprendre que
l’audiovisuel est d’abord un commerce, hélas, qu’une émission à petit audimat
est une émission condamnée et qu’en fin de compte c’est le téléspectateur,
l’auditeur, qui assurent sa survie .C’est aussi simple que cela !
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