Je suis historien et géographe de formation. J'ai été enseignant-formateur à l’Ecole Normale Supérieure (ENS) de Dakar, puis en charge de différentes structures et directions administratives. A la retraite depuis plusieurs années, je profite de ma liberté recouvrée pour assouvir une vieille passion : écrire. Ces dernières années, j’ai publié deux romans («Mon villages au temps des blancs » en 2000 et «La Raparille» en 2010) ainsi que trois essais (« A mes chers parents gaulois » en 2007 ; "Wade Mecum ou le wadisme en 15 mots" en 2010; "Le temps des choses jamais vues : chronique des années Wade-Sarkozy", 2013). Je publie régulièrement des chroniques dans divers journaux sénégalais (en particulier « Nouvel Horizon » et "Sud Quotidien").

vendredi 21 mars 2014

LE SYNDROME DE PETER

NB : Texte publié dans "Sud Quotidien" du 13 mars 2014

Si tous les hommes sont égaux, au moins en droit, tous n’ont pas les mêmes dons et l’histoire nous montre que plus il y a d’échelons à franchir, plus chaque homme, ou chaque femme, a une chance de parvenir à son niveau d’incompétence et de subir ce qu’on a appelé « la stagnation de Peter ». Ce n’est pas seulement qu’il cesse de faire des progrès, il commence à exprimer des insuffisances dont certaines peuvent avoir des conséquences graves. Le plus ennuyeux, c’est qu’il est difficile de déboulonner un hiérarque incompétent car seul son supérieur peut le faire et, s’il le fait, il reconnait par là même sa propre incompétence à choisir les hommes qu’il faut à la place qu’il faut.

Erreur de casting

Tout cela pour dire qu’il est fréquent, et en politique plus souvent qu’ailleurs, que l’on récompense un ami, un allié, un serviteur, en le portant à un poste, à une responsabilité qu’il est incapable d’assumer et ainsi de se faire soi même du mal en rendant un mauvais service. Cela s’appelle une erreur de casting. Mais il y a des erreurs de casting qui sont si flagrantes qu’elles donnent l’impression d’avoir été inspirées par des forces obscures. Notre histoire récente nous offre de multiples exemples d’hommes, et de femmes, promus à des postes qui étaient au dessus de leurs moyens et qui ont cherché à cacher leur incompétence sous des rodomontades dévastatrices. On se souvient tous de cet homme, ancien factotum de son parti, élevé miraculeusement au poste de ministre, comme un défi à l’opinion, et qui faillit désintégrer l’ASECNA, le plus vieux et le plus prospère organisme de coopération interafricaine. Malheureusement, la leçon n’a pas été retenue et la tentation persiste de vouloir récompenser un fidèle en respectant ses désirs mais, souvent en trahissant l’intérêt de celui qui détient ce pouvoir et, quelquefois, celui du pays que celui-ci prétend servir. Les évènements survenus ces derniers jours à Matam et au cours desquels un improbable député a brandi son arme, et peut-être tiré, au milieu des militants de son propre parti, nous ramène à cette évidence : à chacun son métier et les vaches seront bien gardées ! En effet un « griot » (bien entendu je ne parle pas de la composante, utile et respectable, de notre société, mais de la perversion de la fonction, qui se retrouve dans toutes les couches sociales !), n’a pas sa place au Parlement, car la fonction de celui-ci est précisément d’exprimer la volonté du peuple souverain et non de vanter un chef. La séparation des pouvoirs est un élément si fondamental que la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme et du Citoyen conclut qu’il n’y a pas de Constitution si cette séparation n’est pas déterminée et si le respect des droits n’est pas assuré. Rappelons que notre constitution stipule qu’à l’Assemblée Nationale, « le vote est personnel » et que «  tout mandat impératif est nul » (art 64). La « nomination » au Parlement d’un homme qui n’avait de titre et de vocation que d’être laudateur de l’exécutif portait en germe de graves dérives. En cédant à la confusion des genres, on court le risque d’installer dans l’appareil de l’état un homme que sa culture, mais aussi son ignorance conduisent à faire, au Parlement comme dans son parti, ce qu’il faisait dans sa vie antérieure : louer, parader, se livrer au lobbying et à l’exclusion. Il était bon pour entretenir les lignages et restaurer les généalogies, il devient exécrable lorsqu’il s’agit de reconnaitre la liberté de choix ou le droit à l’expression qu’implique le militantisme politique. De par son éducation, il est prédisposé à se montrer, par l’habit, qui oscille entre le chapeau texan et les volutes du derviche tourneur, et par la parole, toujours haute et irréfléchie. C’est en effet par son ramage et son plumage, aussi excessifs l’un que l’autre, qu’on le reconnait d’abord. Alors on le voit plus souvent que nécessaire, on l’entend sur des questions où il n’y entend rien. Il veut être de tous les voyages parce que voyager était son métier. Il est de tous les complots, parce que pour monter un grade, le courtisan doit pousser un autre à en descendre un. Il a été trop habitué à recevoir pour donner sans ostentation. Il est habitué à amuser et un froncement de sourcils suffit à le mettre en alarme et c’est cette peur qui lui a fait sortir l’arme des faibles, celle de la violence.


Il faut rendre justice au régime précédent : il avait au moins compris qu’un homme qui ne croit qu’au bon vouloir d’un seul ne peut voter des lois qui, par nature, sont impersonnelles. Son « griot officiel » était haut en couleur, mais il ouvrait la marche du Chef, il ne se colletait pas avec le labyrinthe des textes réglementaires. Il traduisait, très librement, les discours, il n’interprétait pas les lois. Il tenait le micro, le 4 avril, mais ne prétendait pas à la vérité historique. Son arme ce n’était pas un pistolet, mais sa parole, autrement plus efficace. Au fond, il savait se faire accepter de tous parce qu’il avait compris que les hommes de pouvoir passent et que le pouvoir demeure : il était donc fidèle au pouvoir et non aux hommes. Il n’était pas député, et, s’il avait le titre ronflant de « conseiller », il savait, au fond de lui-même, que les chefs ont plus besoin d’éloges que de conseils.

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