Si tous les hommes sont égaux, au moins
en droit, tous n’ont pas les mêmes dons et l’histoire nous montre que plus il y
a d’échelons à franchir, plus chaque homme, ou chaque femme, a une chance de
parvenir à son niveau d’incompétence et de subir ce qu’on a appelé « la
stagnation de Peter ». Ce n’est pas seulement qu’il cesse de faire des progrès,
il commence à exprimer des insuffisances dont certaines peuvent avoir des
conséquences graves. Le plus ennuyeux, c’est qu’il est difficile de déboulonner
un hiérarque incompétent car seul son supérieur peut le faire et, s’il le fait,
il reconnait par là même sa propre incompétence à choisir les hommes qu’il faut
à la place qu’il faut.
Erreur de casting
Tout cela pour dire qu’il est fréquent,
et en politique plus souvent qu’ailleurs, que l’on récompense un ami, un allié,
un serviteur, en le portant à un poste, à une responsabilité qu’il est incapable
d’assumer et ainsi de se faire soi même du mal en rendant un mauvais service. Cela
s’appelle une erreur de casting. Mais il y a des erreurs de casting qui sont si
flagrantes qu’elles donnent l’impression d’avoir été inspirées par des forces obscures.
Notre histoire récente nous offre de multiples exemples d’hommes, et de femmes,
promus à des postes qui étaient au dessus de leurs moyens et qui ont cherché à
cacher leur incompétence sous des rodomontades dévastatrices. On se souvient
tous de cet homme, ancien factotum de son parti, élevé miraculeusement au poste
de ministre, comme un défi à l’opinion, et qui faillit désintégrer l’ASECNA, le
plus vieux et le plus prospère organisme de coopération interafricaine. Malheureusement,
la leçon n’a pas été retenue et la tentation persiste de vouloir récompenser un
fidèle en respectant ses désirs mais, souvent en trahissant l’intérêt de celui
qui détient ce pouvoir et, quelquefois, celui du pays que celui-ci prétend
servir. Les évènements survenus ces derniers jours à Matam et au cours desquels
un improbable député a brandi son arme, et peut-être tiré, au milieu des
militants de son propre parti, nous ramène à cette évidence : à chacun son
métier et les vaches seront bien gardées ! En effet un « griot »
(bien entendu je ne parle pas de la composante, utile et respectable, de
notre société, mais de la perversion de la fonction, qui se retrouve dans
toutes les couches sociales !), n’a pas sa place au Parlement, car la
fonction de celui-ci est précisément d’exprimer la volonté du peuple souverain
et non de vanter un chef. La séparation des pouvoirs est un élément si
fondamental que la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme et du Citoyen
conclut qu’il n’y a pas de Constitution si cette séparation n’est pas déterminée
et si le respect des droits n’est pas assuré. Rappelons que notre constitution
stipule qu’à l’Assemblée Nationale, « le vote est personnel » et que «
tout mandat impératif est nul » (art 64). La « nomination » au
Parlement d’un homme qui n’avait de titre et de vocation que d’être laudateur
de l’exécutif portait en germe de graves dérives. En cédant à la confusion des
genres, on court le risque d’installer dans l’appareil de l’état un homme que
sa culture, mais aussi son ignorance conduisent à faire, au Parlement comme
dans son parti, ce qu’il faisait dans sa vie antérieure : louer, parader,
se livrer au lobbying et à l’exclusion. Il était bon pour entretenir les
lignages et restaurer les généalogies, il devient exécrable lorsqu’il s’agit de
reconnaitre la liberté de choix ou le droit à l’expression qu’implique le
militantisme politique. De par son éducation, il est prédisposé à se montrer,
par l’habit, qui oscille entre le chapeau texan et les volutes du derviche tourneur,
et par la parole, toujours haute et irréfléchie. C’est en effet par son ramage
et son plumage, aussi excessifs l’un que l’autre, qu’on le reconnait d’abord. Alors
on le voit plus souvent que nécessaire, on l’entend sur des questions où il n’y
entend rien. Il veut être de tous les voyages parce que voyager était son
métier. Il est de tous les complots, parce que pour monter un grade, le
courtisan doit pousser un autre à en descendre un. Il a été trop habitué à
recevoir pour donner sans ostentation. Il est habitué à amuser et un froncement
de sourcils suffit à le mettre en alarme et c’est cette peur qui lui a fait
sortir l’arme des faibles, celle de la violence.
Il faut rendre justice au régime
précédent : il avait au moins compris qu’un homme qui ne croit qu’au bon
vouloir d’un seul ne peut voter des lois qui, par nature, sont impersonnelles.
Son « griot officiel » était haut en couleur, mais il ouvrait la
marche du Chef, il ne se colletait pas avec le labyrinthe des textes
réglementaires. Il traduisait, très librement, les discours, il n’interprétait
pas les lois. Il tenait le micro, le 4 avril, mais ne prétendait pas à la
vérité historique. Son arme ce n’était pas un pistolet, mais sa parole,
autrement plus efficace. Au fond, il savait se faire accepter de tous parce
qu’il avait compris que les hommes de pouvoir passent et que le pouvoir
demeure : il était donc fidèle au pouvoir et non aux hommes. Il n’était
pas député, et, s’il avait le titre ronflant de « conseiller », il
savait, au fond de lui-même, que les chefs ont plus besoin d’éloges que de
conseils.
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