Je suis historien et géographe de formation. J'ai été enseignant-formateur à l’Ecole Normale Supérieure (ENS) de Dakar, puis en charge de différentes structures et directions administratives. A la retraite depuis plusieurs années, je profite de ma liberté recouvrée pour assouvir une vieille passion : écrire. Ces dernières années, j’ai publié deux romans («Mon villages au temps des blancs » en 2000 et «La Raparille» en 2010) ainsi que trois essais (« A mes chers parents gaulois » en 2007 ; "Wade Mecum ou le wadisme en 15 mots" en 2010; "Le temps des choses jamais vues : chronique des années Wade-Sarkozy", 2013). Je publie régulièrement des chroniques dans divers journaux sénégalais (en particulier « Nouvel Horizon » et "Sud Quotidien").

dimanche 2 mars 2014

A PROPOS DU RAPPORT DE LA CNRI : TOURNER SEPT FOIS SA LANGUE DANS SA BOUCHE...

NB Texte publié dans "Sud Quotidien" du 24 février 2014

Les Sénégalais seraient-ils d’éternels grincheux, ou, plus concrètement, des hommes et des femmes qui ne prennent jamais la précaution, et la courtoisie, de tourner sept fois leur langue dans la bouche avant de livrer des vérités qu’ils croient définitives et absolues ? Le rapport de la Commission Nationale pour la Réforme des Institutions (CNRI) est à peine remis à son commanditaire, le Président de la République, que déjà, on sonne l’hallali, on voue aux gémonies, avec un aplomb incroyable, un document qui, même s’il circule sur Internet, n’est pas encore versé dans le domaine public ! Combien parmi ses détracteurs l’ont soupesé, examiné sous toutes les coutures, se sont appropriés son contenu, sa méthodologie, sa philosophie, pour tout dire sa lettre et son esprit ?

La première incongruité, c’est donc que ce document, s’il n’est pas à proprement parler confidentiel est, pour le moins, à tirage limité. On n’a pas entendu ses auteurs le divulguer ou débattre de son contenu, ni même exposer des doléances sur leurs conditions de travail. La petite minorité de privilégiés qui est en sa possession, plutôt que de s’ériger en bouclier, aurait du avoir la délicatesse, et pour certains la loyauté, de ne pas condamner aussi vite un texte que son commanditaire a reçu avec la réserve républicaine qui s’impose. Pourtant même si le Chef de l’Etat, devant le brouhaha soulevé par sa publication, a invité ses affidés à ne pas se livrer à de vaines polémiques et à lui laisser le temps de se faire sa propre idée, on ne peut manquer d’observer que c’est précisément dans son proche entourage qu’on a eu la surprise de trouver un des plus virulents contempteurs du texte. Cet homme, qui revendique le titre de « ministre conseiller juridique  du Président de la République », n’aurait-il pas du, en toute logique, réserver ses appréciations à son employeur ? On a trop de respect pour la bonne foi du Président de la République  pour croire que son conseiller ne fait que dire tout haut ce qu’on susurre au Palais et qu’on n’ose dire aux auteurs du document. Le rôle d’un conseiller n’est-il pas précisément de s’effacer derrière son mentor et de lui laisser la primeur de ses avis ? Que pourrait dire, demain, ce conseiller à celui qu’il est chargé d’éclairer et qu’il n’ait déjà divulgué à la presse ? Quel effet sa précipitation aurait sur l’opinion sinon de donner à penser que le Chef de l’Etat est l’otage de son entourage ?  

Délai de sérénité  

La deuxième remarque, c’est que c’est faire preuve d’une grande désinvolture que de traiter par-dessus la jambe un document qui est le fruit d’une réflexion et d’investigations menées par une commission qui a rassemblé des compétences reconnues et fait preuve d’une générosité rare de nos jours puisqu’aucun de ses membres n’était rétribué pour ce travail de longue haleine. Par ailleurs le chef de cette cellule est un homme qui n’est pas dans le besoin, ni d’argent ni d’honneurs, et qui est, qu’on le veuille ou non, une des fiertés de notre pays. Si le mot n’avait pas été dévoyé, on pourrait dire qu’Amadou Mahtar Mbow et ses compagnons ont fait don au pays de leur expertise, de leur engagement et de leur sens patriotique. Cela ne signifie pas, bien sûr, que leur travail ne doit pas être soumis à la critique, mais que celle-ci devrait être précédée d’un délai de sérénité : le temps de consacrer à son analyse le même effort que celui qui a présidé à sa conduite. Il n‘est pas responsable de faire l’évaluation d’un document qui a demandé des mois d’efforts sans connaitre son contenu, tout son contenu, sans rechercher les sources de son inspiration. Il est prétentieux de croire que des compétences académiques suffisent seules pour faire son exégèse, car ce texte n’est pas que juridique. Il est trop facile enfin de conclure à sa carence, en ne reposant son argumentaire que sur son intime conviction, car trop souvent, les gens pensent dire la vérité parce que tout simplement, ils disent ce qu’ils pensent.

Arriver au but sans faire le chemin ?


Le dernier malentendu est encore plus fondamental puisqu’il porte sur le sens même qu’il faut donner au rapport de la CNRI. Il ne s’agit pas, d’après ce que nous en savons, d’une cogitation d’experts mais de l’expression même d’une partie importante de notre population, puisqu’il découle d’interrogations et d’audits conduits auprès de nos concitoyens, dans toutes leurs diversités. La CNRI a effectué un sondage à grande échelle, interrogé près de 5000 personnes à travers 45 départements, recueilli les avis des composantes religieuses et de la société civile, sollicité l’éclairage de spécialistes pour toutes les questions qui nécessitaient une expertise  supplémentaire. Certes nous ne vivons pas dans une démocratie directe et, chez nous comme ailleurs, les institutions politiques résultent souvent du choix d’un nombre très restreint de personnes, mais nul ne peut prétendre faire le bonheur des peuples malgré eux. Ce rapport qui constitue en quelque sorte, une banque des vœux et ambitions de nos populations et des orientations que celles-ci souhaitent donner à leur gouvernance ne peut pas être réduit à un ersatz, car il s’agissait bien de réfléchir à la REFORME des institutions, comme il est précisé dans le titre de la commission. Le Président de la République peut, comme  il l’a dit à Pékin, y puiser des idées, à la dimension de ses ambitions, et l’importance de ce choix est à sa discrétion. Mais choisir, c’est toujours prendre des risques et il lui restera à prouver qu’on peut arriver au but sans faire le chemin.    

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