Les
Sénégalais seraient-ils d’éternels grincheux, ou, plus concrètement, des hommes
et des femmes qui ne prennent jamais la précaution, et la courtoisie, de
tourner sept fois leur langue dans la bouche avant de livrer des vérités qu’ils
croient définitives et absolues ? Le rapport de la Commission Nationale pour la Réforme des Institutions (CNRI) est à peine remis
à son commanditaire, le Président de la République, que déjà, on sonne l’hallali,
on voue aux gémonies, avec un aplomb incroyable, un document qui, même s’il
circule sur Internet, n’est pas encore versé dans le domaine public ! Combien
parmi ses détracteurs l’ont soupesé, examiné sous toutes les coutures, se sont
appropriés son contenu, sa méthodologie, sa philosophie, pour tout dire sa
lettre et son esprit ?
La
première incongruité, c’est donc que ce document, s’il n’est pas à proprement
parler confidentiel est, pour le moins, à tirage limité. On n’a pas entendu ses
auteurs le divulguer ou débattre de son contenu, ni même exposer des doléances
sur leurs conditions de travail. La petite minorité de privilégiés qui est en
sa possession, plutôt que de s’ériger en bouclier, aurait du avoir la délicatesse,
et pour certains la loyauté, de ne pas condamner aussi vite un texte que son
commanditaire a reçu avec la réserve républicaine qui s’impose. Pourtant même
si le Chef de l’Etat, devant le brouhaha soulevé par sa publication, a invité
ses affidés à ne pas se livrer à de vaines polémiques et à lui laisser le temps
de se faire sa propre idée, on ne peut manquer d’observer que c’est précisément
dans son proche entourage qu’on a eu la surprise de trouver un des plus virulents
contempteurs du texte. Cet homme, qui revendique le titre de « ministre
conseiller juridique du Président de la République », n’aurait-il
pas du, en toute logique, réserver ses appréciations à son employeur ? On
a trop de respect pour la bonne foi du Président de la République pour croire que son conseiller ne fait que
dire tout haut ce qu’on susurre au Palais et qu’on n’ose dire aux auteurs du document.
Le rôle d’un conseiller n’est-il pas précisément de s’effacer derrière son
mentor et de lui laisser la primeur de ses avis ? Que pourrait dire,
demain, ce conseiller à celui qu’il est chargé d’éclairer et qu’il n’ait déjà
divulgué à la presse ? Quel effet sa précipitation aurait sur l’opinion sinon
de donner à penser que le Chef de l’Etat est l’otage de son entourage ?
Délai de sérénité
La
deuxième remarque, c’est que c’est faire preuve d’une grande désinvolture que
de traiter par-dessus la jambe un document qui est le fruit d’une réflexion et
d’investigations menées par une commission qui a rassemblé des compétences reconnues
et fait preuve d’une générosité rare de nos jours puisqu’aucun de ses membres
n’était rétribué pour ce travail de longue haleine. Par ailleurs le chef de
cette cellule est un homme qui n’est pas dans le besoin, ni d’argent ni
d’honneurs, et qui est, qu’on le veuille ou non, une des fiertés de notre pays.
Si le mot n’avait pas été dévoyé, on pourrait dire qu’Amadou Mahtar Mbow et ses
compagnons ont fait don au pays de leur expertise, de leur engagement et de
leur sens patriotique. Cela ne signifie pas, bien sûr, que leur travail ne doit
pas être soumis à la critique, mais que celle-ci devrait être précédée d’un délai de sérénité : le
temps de consacrer à son analyse le même effort que celui qui a présidé à sa
conduite. Il n‘est pas responsable de faire l’évaluation d’un document qui a
demandé des mois d’efforts sans connaitre son contenu, tout son contenu, sans
rechercher les sources de son inspiration. Il est prétentieux de croire que des
compétences académiques suffisent seules pour faire son exégèse, car ce texte
n’est pas que juridique. Il est trop facile enfin de conclure à sa carence, en
ne reposant son argumentaire que sur son intime conviction, car trop souvent,
les gens pensent dire la vérité parce que tout simplement, ils disent ce qu’ils
pensent.
Arriver au but sans faire le chemin ?
Le
dernier malentendu est encore plus fondamental puisqu’il porte sur le sens même
qu’il faut donner au rapport de la CNRI. Il ne s’agit pas, d’après ce que nous
en savons, d’une cogitation d’experts mais de l’expression même d’une partie
importante de notre population, puisqu’il découle d’interrogations et d’audits
conduits auprès de nos concitoyens, dans toutes leurs diversités. La CNRI a
effectué un sondage à grande échelle, interrogé près de 5000 personnes à
travers 45 départements, recueilli les avis des composantes religieuses et de
la société civile, sollicité l’éclairage de spécialistes pour toutes les questions
qui nécessitaient une expertise
supplémentaire. Certes nous ne vivons pas dans une démocratie directe et,
chez nous comme ailleurs, les institutions politiques résultent souvent du
choix d’un nombre très restreint de personnes, mais nul ne peut prétendre faire
le bonheur des peuples malgré eux. Ce rapport qui constitue en quelque sorte,
une banque des vœux et ambitions de nos populations et des orientations que
celles-ci souhaitent donner à leur gouvernance ne peut pas être réduit à un ersatz,
car il s’agissait bien de réfléchir à la REFORME des institutions, comme il est
précisé dans le titre de la commission. Le Président de la République peut,
comme il l’a dit à Pékin, y puiser des idées,
à la dimension de ses ambitions, et l’importance de ce choix est à sa
discrétion. Mais choisir, c’est toujours prendre des risques et il lui restera
à prouver qu’on peut arriver au but sans faire le chemin.
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