Je suis historien et géographe de formation. J'ai été enseignant-formateur à l’Ecole Normale Supérieure (ENS) de Dakar, puis en charge de différentes structures et directions administratives. A la retraite depuis plusieurs années, je profite de ma liberté recouvrée pour assouvir une vieille passion : écrire. Ces dernières années, j’ai publié deux romans («Mon villages au temps des blancs » en 2000 et «La Raparille» en 2010) ainsi que trois essais (« A mes chers parents gaulois » en 2007 ; "Wade Mecum ou le wadisme en 15 mots" en 2010; "Le temps des choses jamais vues : chronique des années Wade-Sarkozy", 2013). Je publie régulièrement des chroniques dans divers journaux sénégalais (en particulier « Nouvel Horizon » et "Sud Quotidien").

vendredi 27 décembre 2013

MANDELA : L'EXCEPTION ET LA REGLE

NB : Texte publié dans "Sud Quotidien" du 7 décembre 2013


Que dire encore de Nelson Mandela qui n’ait déjà été dit, écrit et quelquefois chanté ?

Qu’il a été un résistant de la première heure sans avoir jamais été un extrémiste ? A trente ans de distance, entre sa première condamnation par les tribunaux sud africains et sa sortie de prison, il a, sur une question primordiale qui est celle de la coexistence des peuples, prononcé les mêmes mots : « je suis contre la domination des Noirs par les Blancs, je suis contre la domination des Blancs par Noirs l ». Mandela portait en lui ce que Camus appelle « l’intransigeance épuisante de la mesure ». Parce qu’il était convaincu que « les solutions contraignantes sont à la portée de tout le monde », il a recherché le plus difficile : le dialogue et le consensus. Il a inventé les « Commissions Vérité et Réconciliation » qui inspireront beaucoup de pays africains. Son sens de la mesure, il l’a exercé aussi dans sa vie privée et, plus que ses concitoyens ou l’opinion internationale, il a compris son ex. épouse Winnie quand elle a affirmé que pour elle, il y avait eu pire qu’être en prison, c’était être en dehors de la prison !    

Qu’il a résisté à vingt sept ans de bagne, sans jamais cesser d’être, au fond, un homme plus libre, en tout cas plus fier, que ses geôliers? Il a fait de sa prison de Robben Island une « université » où, à son contact, de jeunes et moins jeunes résistants ont appris  à lutter, à se tolérer, à transformer leur colère en arme d’émancipation. Ses compagnons de prison rapportent qu’il faisait circuler ses notes pour recueillir leurs avis et prendre en compte leurs observations portées en marge. C’était, déjà, l’apprentissage d’un pouvoir partagé. Etre libre, disait-il ce n’est pas seulement briser ses chaines, c’est aussi refuser qu’elles asservissent d’autres.

Que c’était un homme sans amertume et sans rancune ? Ce n’est pas seulement qu’il n’a pas exercé sa revanche contre ses anciens adversaires, il est allé au devant d’eux, non pour les amener à la reddition, mais pour les convaincre qu’au-delà de leurs divergences, il y avait la survie de l’Afrique du Sud qui était en jeu. Mais cette condescendance n’est pas un reniement et l’ancien président Clinton qui lui reprochait sa mansuétude à l’égard de chefs d’Etats honnis par l’Occident, Mugabe, Castro ou Kadhafi notamment, se souviendra longtemps de la volée de bois vert qu’il avait reçue à cette occasion : « Que faisait donc le gouvernement américain quand nous subissions les affres de l’apartheid ? ».Clinton avait oublié que Mandela avait la fidélité chevillée au corps et que pour lui, « on n’abandonne pas ceux qui vous ont aidés dans les heures noires  ».

Mais, chaque homme regardant le monde à sa fenêtre, pour nous Sénégalais, Mandela aura d’abord été une curiosité qui nous sort de notre landernau politique.

Savez-vous que cet homme, à l’issue de son mandat de Président de la République la plus riche du continent, est resté dans son pays, alors que très souvent en Afrique la fin du pouvoir signifie le début de l’exil et quelquefois même la fuite ? Il aurait été accueilli à bras ouverts à Londres ou à New York, et lui qui disait qu’il  avait mal dans chaque partie de son corps, aurait pu, pour partir, invoquer l’excuse de présenter sa carcasse endolorie par des décennies de privations, aux meilleurs spécialistes du monde. Il pouvait profiter des palais que ses anciens homologues tenaient à sa disposition. Mandela ne s’est pas contenté de rester dans son pays, il est retourné dans le village de ses ancêtres, il lui a redonné vie, avant d’y rentrer pour l’éternité. Cela parait banal, mais nous autres Sénégalais savons que ce n’est pas évident. Nos trois premiers présidents ont plié bagage dès qu’ils ont quitté le pouvoir et préféré vivre loin des hommes et des femmes qui avaient placé leur sort entre leurs mains. Aucun d’eux n’a pris la peine de nous regarder de l’autre côté de la barrière, de voir le visage que leur avaient caché les Potemkine qui les avaient servis et quelquefois trompés. Mandela a réduit à néant leur argument selon lequel ils s’étaient éloignés pour ne pas gêner leurs successeurs. Il n’a jamais dit un mot sur la gestion de Mbeki ou de Zuma, mais il était là, bien présent, à l’écoute de ses concitoyens. Il lui a suffi de paraître auprès de sidéens, vêtu de leur t’shirt, pour  remettre en cause toute la politique sud-africaine à l’égard de la terrible pandémie.

Savez-vous que ce chef d’Etat, qui est certainement le plus légitime que le monde ait jamais élu, ne s’est jamais considéré comme « la seule constante » de son pays », comme se faisait appeler l’ancien président Wade ? Il ne se jugeait ni indispensable ni irremplaçable, il refusait le titre d’icône, il n’était pas prophète, disait-il, mais serviteur du peuple. Il reconnaissait ses failles et sa femme Graca Machel avouait qu’il avait des faiblesses. Il a réussi cette prouesse de n’exercer qu’un seul mandat, alors que ses concitoyens étaient prêts à le lui renouveler, que la mode, tout autour de lui, était de le porter à vie ! Cet homme auquel on était prêt à offrir tous les pouvoirs, n’était pas un homme de pouvoir. Même durant son (relativement) court mandat présidentiel, il se gardera de jouer au despote, déléguera souvent son autorité et, contrairement aux anciens présidents Senghor, Ahidjo ou Wade, il cédera la direction de son parti à son dauphin, avant de lui céder le pouvoir présidentiel. Jamais son ego n’a étouffé sa chaleur ou sa spontanéité.


Il y a un contraste troublant entre les sud-africains qui chantent et dansent et les mines éplorées des chefs d’Etat africains. Les premiers honorent avec ferveur et sans retenue la fin d’une vie entièrement vouée à leur cause, les seconds, au moins pour certains, enterrent leur mauvaise conscience .Mais les présidents ont, au moins, unanimement, salué la grandeur de Mandela. Ce n’est pas une prouesse, et on n’en attendait pas moins d’eux. Qu’ils fassent mieux encore : qu’ils s’inspirent de son exemple !

1 commentaire:

Anonyme a dit…

excellent