NB Texte publié dans "Sud-Quotidien" du 16 novembre 2013
Le Sénégal a un calendrier œcuménique. Ce qui se fait chez nous en matière
de fêtes religieuses ne se fait ni au siège d’Al Azar, au Caire, ni dans la
capitale de la Chrétienté, Rome. Notre pays est certainement le seul au monde à
ériger en jours fériés, chômés et payés, toutes les dates commémoratives de
tous les grands évènements musulmans (Tamkharit, Maouloud, Korité, Tabaski) et chrétiens (Pâques,
Ascension, Pentecôte, Assomption, Toussaint,
Noël). Qu’importe que 9/10 de la population
soient incapables d’expliquer le sens ou la signification de certaines d’entre
elles, chez nous la règle c’est que toute fête légale donne obligatoirement
droit à un congé payé, ce qui est loin d’être une loi universelle. Nous avons
tellement de fêtes religieuses que certains de nos hôtes, ambassades ou institutions internationales, ainsi que la
grande majorité des travailleurs indépendants ignorent royalement certaines
d’entre elles. A ces fêtes religieuses, s’ajoutent des fêtes à caractère
laïc : le Jour de l’An, la fête nationale, la Fête du Travail ! Au
total donc, treize jours de vacances auxquels
il faudrait ajouter les fêtes concédées
en cas de désaccords, fréquents, dans la communauté musulmane, les
« ponts » généreusement jetés entre certaines fêtes et les week-end
qui les suivent ou les précèdent. Sans compter, enfin, que du fait du caractère
lunaire du calendrier islamique, une fête musulmane peut être commémorée deux
fois dans la même année civile !
Bref, une année au Sénégal peut compter près d’une vingtaine de jours légalement chômes et payés.
Déséquilibre…
La première incohérence de ce calendrier, c’est son déséquilibre et son
pari pris. C’est en réalité un calendrier colonial, extraverti, calqué sur celui de la France et que l’on conserve comme une relique du passé.
L’un des signes de cette anomalie, c’est que jusqu’à une date relativement récente,
la Tamkharit, qui commémore les
débuts de l’année musulmane, n’était pas reconnue au Sénégal comme une fête légale.
Mais si la France a remis en cause ses fêtes religieuses, transformant par
exemple le lundi de Pentecôte en journée fériée mais non chômée pour venir en
aide aux personnes âgées et aux handicapés, le Sénégal reste cramponné à l’héritage
qu’elle lui a laissé ! En ne tenant pas compte d’un rapport des forces et d’un
contexte socioculturel très différents de ceux de notre ancienne métropole,
notre calendrier crée une distorsion injustifiable au regard de l’équilibre démographique.
Cela se traduit par la légalisation de six fêtes chrétiennes contre 4
musulmanes, alors que selon des estimations, il est vrai jamais justifiées, la
communauté chrétienne ne représenterait que 5 à 6 % de la population. C’est une
situation que l’on ne retrouve nulle part en Afrique puisque des pays qui,
comme le Mali ou la Gambie ont, approximativement, la même répartition
religieuse que notre pays ne s’alignent pas sur notre calendrier, et que ceux qui,
comme le Gabon ou le Kenya, sont dans la situation inverse n’accordent pas à
leur composante musulmane les privilèges que le Sénégal accorde à sa minorité
chrétienne. Cette disparité n’est même pas une exigence des Chrétiens, ce sont
en réalité les gouvernants qui n’ont jamais eu le courage de mettre en chantier
une véritable réforme de notre calendrier.
Excès de zèle…
Mais ce calendrier a aussi la particularité de faire preuve d’un zèle religieux
que l’on ne retrouve, paradoxalement, ni dans le monde arabo-musulman, ni
surtout dans des pays de vieille et profonde culture chrétienne. Aux Etats-Unis
et au Canada, où le lundi de Pâques est un jour comme un autre, dans le nord de
l’Europe et particulièrement dans les pays scandinaves, dont les drapeaux
portent pourtant le signe de la croix, ni l’Ascension ni la Toussaint, par
exemple, ne donnent droit à des congés payés. Même dans les pays européens qui
restent les bastions du catholicisme, comme la Pologne, l’Irlande, l’Espagne ou
l’Italie, il y a moins de fêtes chrétiennes chômées et payées qu’au Sénégal. Ainsi,
l’Espagne, célèbre par la ferveur exceptionnelle de ses processions
religieuses, et l’Italie qui abrite le Vatican, ne fêtent pas le lundi de
Pentecôte, pas plus que l’Irlande ou la Pologne ne chôment le jour de l’Ascension.
Pour faire bonne mesure, signalons enfin que dans certains pays très
majoritairement musulmans, comme l’Egypte, la Tunisie ou l’Algérie, la Tamkharit ou le Maouloud ne donnent pas lieu nécessairement à des jours fériés.
L’intrusion des
politiques
C’est enfin un calendrier qui est devenu un enjeu démagogique et de
surenchère politique. Le projet d’ériger la date du Magal en une 11e
fête religieuse, chômée et payée, n’est pas une initiative des religieux, il a
été porté d’abord par des politiques, dont certains ne sont même pas
d’obédience mouride, tous plus préoccupés de plaire aux marabouts mourides que
d’inciter les Sénégalais au travail. Il est évidemment plus facile d’ajouter
une bouture à un tronc déjà surchargé que de s’attacher à mettre au point un
arbre sain et amélioré. Cette initiative, sans risque car pouvant s’appuyer sur
la menace concentrationnaire qui pèse sur nos épaules, pourrait ouvrir la boite
de Pandore, sans même la garantie de répondre à l’attente de ses initiateurs.
Si le projet était conduit à terme, ce serait la première fois qu’une fête
légale est surajoutée au calendrier, non au profit de l’ensemble d’une
communauté de croyants, mais à celui d’un segment, important certes mais
parcellaire, de l’une des deux composantes religieuses du pays. Il pourrait
faire jurisprudence et il n’est pas exclu qu’un jour une autre confrérie, voire
une portion de confrérie, invoquent les mêmes raisons et réclament les mêmes privilèges.
Enfin ce projet ne tient pas compte de cette réalité qui est que, contrairement
aux autres fêtes religieuses musulmanes, le Magal, qui sera célébré à deux
reprises au cours de l’année 2013, n’est pas un évènement domestique qui se
fête à la maison. Il impose des déplacements, plus ou moins longs, vers une
même destination et se satisfait rarement d’un seul jour de liberté. Sans
compter que la très grande majorité de ceux
qui y participent ne sont pas des
salariés du public, mais des travailleurs indépendants qui n’ont nul besoin de
dispositions légales, qu’ils ne respectent d’ailleurs pas souvent pour d’autres
fêtes religieuses. Le Magal n’a pas besoin et ne se suffit pas d’un jour de
vacance et il aurait été plus judicieux d’organiser et de garantir l’octroi de permissions
déductibles du congé. En revanche le seul jour de liberté accordé pour
commémorer une fête aussi éprouvante et disputée que la Tabaski
mérite un débat.
Elargir…sans
accroitre
Comme on le voit, le véritable enjeu ce n’est pas d’ajouter une fête à nos
fêtes, mais de conduire une véritable réflexion sur le sens et le nombre de
jours chômés, respectueuse de la diversité des croyances et dont les
conclusions seraient compatibles avec une économie en développement. Notre
calendrier festif ne fait pas assez de
place à des évènements ou des symboles non religieux et qui dans un pays en construction
peuvent être aussi des occasions de recueillement, de fraternité, donc de fête.
C’est donc en fonction d’une double exigence,
élargir sans accroitre, que nous devons procéder à sa réforme. Si nous ne nous
contentons que d’allonger la liste déjà longue de nos fêtes religieuses, nous ne ferons que
renforcer l’idée que notre pays s’éloigne des principes de laïcité qui sont un
des fondements de sa constitution. L’érection du Magal en fête légale chômée et
payée ne donne pas la garantie que les absences seront mieux gérées, mieux
contrôlées, mais, surtout, en portant à un niveau qui n’est atteint nulle part
ailleurs le nombre de journées chômées et payées, elle s’inscrit en faux contre
le culte du travail exalté par celui que l’on prétend honorer !
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