Les Mauritaniens ont inventé l’expression passif humanitaire pour exprimer la nécessité pour leur pays de faire le bilan des exactions commises à l’endroit des populations négro-africaines à la fin des années 80 et au début des années 90. Pour eux, la réconciliation nationale, la définition des objectifs prioritaires de développement ne pouvaient être mises en chantier qu’après une introspection nationale établissant le solde de ce passé et après que justice soit rendue aux victimes de ce qu’on appelait pudiquement les « évènements de Mauritanie ».
Le silence assourdissant du Chef de l’Etat sénégalais ,cité dans des affaires qui mettent à mal sa conception même de l’autorité morale de référence qu’il représente, les explications aussi vaseuses qu’insultantes de ses proches, montrent que, pour ce qui concerne notre pays, c’est probablement à une douloureuse analyse de notre passif éthique que nous devrons nous livrer après l’Alternance. Je sais bien que la vertu n’est pas la qualité principale des politiques qui la prennent pour une « délicatesse surannée », mais tout de même, une nation ce n’est pas une multinationale au sein de laquelle tous les coups sont permis. Depuis plus de dix ans, nos gouvernants ont fait un usage excessif de l’arnaque et de l’esbroufe et bafoué des valeurs qui fondaient notre culture collective. Si, à proprement parler, ils n’ont pas sacrifié des vies, ils nous ont administré, à tous, une volée de bois vert morale en violant sans retenue des principes aussi fondamentaux que le respect du patrimoine national, du bien d’autrui et de la parole donnée. Notre pays compte encore plus de rêves que de réalisations, il est peuplé majoritairement de jeunes en quête d’idéal qui ont besoin d’un minimum d’exigences et auxquels il convient de rappeler que « tout pouvoir a une valeur essentiellement spirituelle ». Après l’Alternance, il nous faudra, nécessairement, faire le compte de notre passif éthique, faire l’audit de la gestion de la chose publique, rompre avec l’achat des consciences, extirper et sanctionner l’enrichissement sans cause, bref revenir à l’État modeste et vertueux dont on nous annonçait l’aube en 2000.
Peut-être est-ce le destin des pays placés sous le règne de patriarches de se « trabelsiser », d’être livrés à la coupe réglée des gouvernants, qui sans retenue, s’accaparent de ce qu’ils étaient censés garder ou faire fructifier. La devise des Ben Ali c’était : « Ce qui est à vous est à nous ! » et notre pays semble s’être résolument engagé vers les mêmes dérives patrimoniales. Ainsi selon un journal généralement bien informé et au vu des documents portés à la connaissance du public et qui n’ont pas fait l’objet d’un démenti officiel, le président de la République aurait fait l’acquisition d’un immeuble dont la valeur est estimée à près de 1,2 milliard F CFA et qu’il aurait payé en espèces sonnantes et trébuchantes. Cette transaction pose, comme toujours avec Wade, un problème de décence et d’opportunité. Est-ce qu’un vieil homme de 85 ans (quelque soit par ailleurs le temps qui lui reste à vivre), qui n’a plus de « soucis d’argent » depuis qu’il est Président de la République, comme il l’a affirmé lui-même, qui au début de son mandat reconnaissait posséder 13 terrains et immeubles (dont 11 à Dakar), a encore besoin de se muer en latifundiste urbain et en spéculateur foncier ? Passe encore qu’il agrandisse démesurément sa maison du Point E, qui n’abritera plus que deux personnes, mais quelles nécessités pourraient aujourd’hui le pousser à s’accaparer de terrains qui dépassent ses besoins et son confort ? Pour avoir succombé, au même âge, à la même gloutonnerie immobilière le père de Michèle Alliot-Marie a ruiné la carrière politique de sa fille…
Mettons donc cela, par charité, sur le compte de l’âge, il restera toujours la question de fond : d’où vient l’argent ? C’est alors qu’on découvre les ravages que peut provoquer le zèle de serviteurs qui oublient qu’ils ne sont pas tenus à tout justifier : ils ne sont pas la parole, mais seulement les porte-parole du Chef. La réponse fournie par l’un d’entre eux est aussi bête qu’elle est simple : cet argent viendrait, évidemment, des émoluments perçus par le Chef de l’Etat, en dix ou onze ans d’exercice du pouvoir ! Si l’on fait le calcul, cela reviendrait à dire non seulement que le Président de la République aurait un salaire mensuel d’au moins dix millions de francs, mais qu’en outre il n’en aurait pas prélevé un sou, en plus de dix ans, ni pour s’acheter un habit, ni pour faire un don à un proche, ni pour s’acquitter de ses impôts ou de la zakat, ce qui est le moins pour un homme qui prétend avoir assez de savoir islamique pour convertir sa belle fille. Le règlement de la transaction ayant été fait en espèces, cela signifierait aussi que le Président de la République aurait été payé en bon de caisse, comme un vulgaire retraité de l’IPRES, et qu’il thésauriserait son salaire à la manière des vieux Sérères qui placent leurs fortunes sous l’oreiller !
Devant l’incrédulité de l’opinion, un autre serviteur, encore plus zélé, encore mieux renseigné, franchira le cap du ridicule pour toucher à l’indécence. Usant d’un habile distinguo, il jugera plus indiqué, ou moins scandaleux, d’affirmer que cette manne d’argent viendrait plutôt des fonds politiques dont dispose le Chef de l’Etat. Cette réponse, cynique et légère, fournie par un homme qui est censé être au fait des rouages de l’Etat, est à la fois la preuve de la médiocrité des compétences qui entourent Me Wade et le signe d’une impardonnable confusion des genres. Elle ne règle rien sur le fond puisque les fonds politiques sont, eux aussi, alimentés par le budget de l’Etat, elle est attentatoire aux règles de bonne gouvernance puisque cette rubrique doit servir à la défense des intérêts supérieurs de la nation et de la sécurité publique et non les intérêts particuliers du dépositaire. Dans le cas contraire, il s’agirait bien d’un détournement d’objectif, comparable au geste d’une ministre qui achète des cuillers à plusieurs milliers de francs l’unité pour s’enrichir ou enrichir des intermédiaires.
C’est l’inanité même de ces réponses qui en fait imaginer une autre, monstrueuse celle-là, que certains pourtant ont osé évoquer sans être menacés d’être traduits devant la justice. En insinuant un blanchiment d’argent, à ce niveau de responsabilité, ces accusateurs pourraient transformer la maladresse en forfaiture et à un délit politique susceptible d’être poursuivi par la justice. Le dispositif que le gouvernement cherche à mettre en place pour atténuer la lutte contre ce fléau que constitue le blanchiment d’argent constitue évidemment un argument supplémentaire pour accréditer cette interprétation.
Comme si cette affaire ne suffisait pas à nous instruire sur l’usage qu’on fait en haut lieu de notre patrimoine, une autre éclate qui nous transporte dans les mêmes dérégulations. Elle commence par le viol d’une loi sacro-sainte : le droit de réserve que doivent observer les hommes de gouvernement. Sous l’Alternance, on n’use ni de fuites calculées ni de seconds couteaux, ce sont les Premiers Ministres eux-mêmes qui sont les premiers à déroger à cette règle et à déshabiller le Roi. C’est donc le Premier Ministre en exercice qui se lance dans cet exercice dangereux et affirme que le président Wade aurait offert, chaque mois, et tout au long de leur collaboration, trente millions de francs à l’un de ses alliés politiques, chef de parti et ministre dans ses gouvernements pendant sept ans, apparemment sans même exiger qu’il en informe sa formation. L’accusé aurait reconnu les faits, mais se défend piteusement en contestant le montant reçu et l’exclusivité dont il aurait bénéficié. Mais le vrai scandale est ailleurs, car dans toute histoire de corruption ou de subornation, il y a un corrompu et un corrupteur et dans celle-ci, il y a le droit et l’opportunité. Le Président de la République prend, une fois encore, des libertés avec les fonds politiques, par le caractère discriminatoire de cette dotation et par son montant excessif, puisque les fonds mensuels versés à ce ministre représentent le budget annuel d’un lycée de 2 500 élèves et que sa cagnotte annuelle dépasse les moyens d’un hôpital régional ! Pour un homme qui prétendait privilégier l’éducation et le social, c’est pour le moins contradictoire, et pour les banlieusards de Guédiawaye inondés toute l’année, c’est une injustice flagrante.
Même si ces scandales nous choquent, ils ne nous surprennent guère. Depuis dix ans, les libéralités présidentielles se sont banalisées, et, comme le montrent les rapports des institutions publiques de surveillance, corruption et gaspillage sont devenus les deux mamelles de notre gouvernance. C’est monstrueux à dire, mais on en est au point où, aujourd’hui, beaucoup de nos concitoyens souhaitent la perte d’un proche si ce décès peut provoquer une visite du Président de la République à leur domicile et susciter cette généreuse distribution « d’enveloppes » qui est la marque de fabrique des descentes présidentielles. Les obsèques sont devenues au Sénégal des marchés de ralliement au PDS et de mendicité camouflée.
Mais notre passif éthique n’est pas fait que de biens fongibles. D’autres richesses ont subi des dégradations qui sont peut-être définitives et, comme la mauvaise monnaie chasse la bonne, notre société ne sera plus fondée, si l’on n’y prend garde, que sur l’arrivisme et l’opportunisme. Je ne prendrai pour exemple que la propension de nos hommes politiques à renier leurs engagements et à manquer à leur parole au point que nous ne prêtons plus aucun crédit à leurs serments et à leurs promesses. Nous appartenons à des sociétés fondées sur le verbe et un proverbe pulaar dit que la langue est la civière de son maître, ce que renchérit P. Valéry en affirmant que « croire à la parole humaine est aussi indispensable que de se fier à la fermeté du sol ». Après l’Alternance, nous ne devrons plus accepter que la tortuosité soit le fondement de notre vie politique et que pour quelques honneurs ou privilèges, on puisse aussi facilement et sans conséquences se débarrasser de ses convictions comme d’une simple casaque pour épouser celles de celui qui gouverne. En dix ans, le ruisseau de la transhumance est devenu une rivière dont les flots ont emporté tous ceux qui avaient juré de ne jamais laisser la place à celui qu’ils appelaient naguère Njomboor ou Fantomas.
Nous devrons refuser un mode de gouvernement fondé sur la fuite en avant, au point que désormais les grèves n’ont plus pour fondements des revendications sociales mais le non respect des engagements déjà pris par les ministres. Le Président de la République lui-même s’en est ému et a sommé ses collaborateurs de ne plus faire de promesses qu’ils sont incapables de tenir. Le hic, c’est qu’il est le premier à succomber à cette tentation : sa brouille avec Aminata Tall ne provient-elle pas, pour l’essentiel, du fait qu’il l’avait encensée publiquement à Diourbel et promis de transformer sa cité et qu’il n’est pas allé au-delà des incantations ?
Nous devrons condamner l’instrumentalisation et les coups d’éclat qui n’ont pour résultat que de faire de nous les supplétifs des puissances du Nord. Nous ne pouvons pas être fiers que notre président ait été le premier chef d’État à se rendre à Benghazi parce que cette visite est, au mieux, un buzz, au pire un cavalier seul offensant pour la solidarité africaine et que la confession de Wade est trop tardive pour être jugée crédible. Le Chef de l’Etat a été, en réalité, un président embedded, déposé à Benghazi sous escorte française pour porter la parole de ceux qui « veulent avoir raison par extermination de l’adversaire ». Lorsqu’il dit parler à Kadhafi « dans les yeux », et le somme de partir, il oublie qu’il se trouve en réalité à 2000 km du Guide libyen et que lorsqu’ils étaient vraiment face à face, il le traitait en ami et vantait sa vision de l’unité africaine. Il court le monde en compagnie de son fils, trop précieux pour être laissé hors de sa vue, mais n’a pas eu un mot de compassion pour Kadhafi dont un fils et des petits enfants, innocents de tout crime, ont été écrasés par les bombes de l’Otan. Il traite Kadhafi de dictateur, alors que lui-même est appelé « la seule constante » au Sénégal et s’il a été témoin de ses exactions, s’il n’a jamais reçu un sou de sa part, comment peut-il justifier ses visites intempestives auprès d’un homme dont le seul attrait était la générosité ? Enfin, sur le fond on peut noter deux faits significatifs. Le premier, c’est que des experts indépendants qui, contrairement à Wade, ont séjourné à Tripoli et à Benghazi, contestent fortement la réalité du crime invoqué pour justifier l’intervention occidentale et estiment que ce conflit est plus médiatique que politique. La guerre de Libye, c’est le remake soft des « armes de destruction massive », en version anglo-française mise en musique par Al Jazeera. Le deuxième fait troublant, c’est qu’il est tout de même désastreux pour notre réputation que celui qui se faisait passer pour le champion de l’unité africaine et qui plaidait pour que la voix de l’Afrique soit forte, se mue en séditieux, dénigre ses pairs, vante son ego aux dépens de la solidarité continentale, s’offre en agneau de sacrifice à un gouvernement dont on ne connait que la façade et que 50 états africains sur 53 n’ont ni reconnu ni adoubé. Un président respectueux de nos intérêts et de nos valeurs, ce n’est pas celui qui se présenterait en VRP de Hillary Clinton, c’est celui qui lui dirait, selon le mot de Tiken Jah Facoly : « Otez donc vos mains de notre continent ! »
2 commentaires:
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