Je suis historien et géographe de formation. J'ai été enseignant-formateur à l’Ecole Normale Supérieure (ENS) de Dakar, puis en charge de différentes structures et directions administratives. A la retraite depuis plusieurs années, je profite de ma liberté recouvrée pour assouvir une vieille passion : écrire. Ces dernières années, j’ai publié deux romans («Mon villages au temps des blancs » en 2000 et «La Raparille» en 2010) ainsi que trois essais (« A mes chers parents gaulois » en 2007 ; "Wade Mecum ou le wadisme en 15 mots" en 2010; "Le temps des choses jamais vues : chronique des années Wade-Sarkozy", 2013). Je publie régulièrement des chroniques dans divers journaux sénégalais (en particulier « Nouvel Horizon » et "Sud Quotidien").

dimanche 15 mai 2011

"LAYE ET IDY" : une telenovela senegalaise...

Dans le couple Abdoulaye Wade - Idrissa Seck, il y a quelque chose qui rappelle-mutatis mutandis-celui formé naguère par Ségolène Royal et François Hollande. Comment deux êtres peuvent-ils vivre côte à côte pendant si longtemps, partager le même combat, et ne pas s’apercevoir qu’au fond d’eux-mêmes, ils recherchent la même chose, au même moment, et que cette chose, le pouvoir, ne se partage pas ! Avec tout de même une différence qui n’est pas négligeable en raison, notamment, de sa résonnance : Royal et Hollande règlent leurs comptes dans l’intimité, s’épargnent les mots blessants, alors que Wade et Idy ne se privent pas de s’interpeller, de se lancer des diatribes, quelquefois des injures, qui laissent des traces. La querelle Wade-Idy, c’est aussi une bataille de mots, de petites phrases et d’anathèmes.

Le premier éclat audible et public de leurs relations a eu lieu le 4 mars 2004 à Matam, devant une foule bruyante, plus attentive aux sons des mots qu’à leur sens. Comme dans toute bonne série, le feuilleton s’ouvre par des mots dont le sens caché n’apparaitra qu’au fil des jours. Ce jour là, Wade avait fait cette proclamation solennelle : « Idy est mon fils, jamais je ne me séparerai de lui ! ». Beaucoup n’avaient pas compris que c’était une exécution et que sept semaines plus tard il allait limoger Idrissa Seck. En politique, comme souvent dans la vie, on ne fait l’éloge de ceux qui vous ont aidé à accéder au pouvoir que lorsqu’ils sont morts ou agonisants. Rappelez-vous ces paroles, presque identiques, prononcées par Abdou Diouf : « Jean Collin m’a tout appris, jamais je ne me séparerai de lui ! ». Quelques mois plus tard, il renvoyait son homme à tout faire qui ne s’en est jamais relevé. Le coup était si fort que Collin, dont on disait qu’il avait de l’énergie à revendre, a rendu l’âme des suites de ses blessures, dans la solitude et le chagrin.

Idrissa Seck, lui, a survécu au coup porté par Wade. Peut-être parce que, contrairement à Collin, il n’avait pas gardé son venin pour lui-même, il l’avait craché, comme il sait si bien le faire. C’est une thérapie universelle : pour triompher de la maladie, il faut lui résister. Les Premiers Ministres déchus s’en vont discrètement, Idrissa Seck lui, après son renvoi, tient une conférence de presse dans l’enceinte même de ses bureaux, devant la presse, devant surtout de hauts dignitaires du régime non encore avertis qu’il avait une maladie contagieuse, qui auront beaucoup de mal à justifier devant Wade leur présence en ces lieux et en ce jour. En bon disciple qui connait les rites et les codes, Seck usera ce jour là de formules ambivalentes : il fait croire à l’opinion que cette séparation lui permettra de mieux servir le Président et d’effacer toute menace de dualité au sommet de l’Etat car, de son propre aveu, il était « presque président ». C’est pourtant la guerre qui est déclarée, mais la guerre, dit un proverbe diola, ne se fait pas qu’au couteau. Idrissa Seck fait comprendre que pour lui, l’essentiel c’est que son « avenir politique reste intact » et que son objectif n’est plus désormais de sauver le soldat Wade mais de lui succéder.

Après le prologue de Matam, le limogeage, le 21 avril 2004, consacrait donc la première rupture, et depuis lors se sont écoulés sept ans de pièges tendus, de câlins et de coups de griffes : c’est toute la rouerie des cours royales qui se joue devant les Sénégalais et nous ne fournirons que quelques épisodes de ce soap opéra à la sénégalaise que l’on pourrait intituler : « Pouvoir, trahison et mythologie ». Contrairement aux usages, c’est Télémaque qui fait la leçon à Mentor, c’est Idy qui mène le bal comme s’il détenait quelque talisman qui le protégeait, c’est lui qui use des mots les plus cruels contre un vieux tribun qui avait pourtant la réputation d’avoir le verbe facile. Dans ses diatribes les plus percutantes, Wade n’a souvent fait que rendre à Idy la monnaie de sa pièce et chaque intervention de ce dernier traçait de lui un portrait peu élogieux. Au fond, depuis sept ans, l’homme qui a le plus terni le crédit de Wade ne vient pas de l’opposition, mais du giron même du Président, c’est Idy lui-même. Il est toujours plus facile pour quelqu’un qui n’a rien fait de critiquer celui qui est à l’œuvre que l’inverse.

Plus que la mise en scène, ce sont les dialogues qui font d’abord l’originalité de notre feuilleton et ils reflètent la personnalité des deux protagonistes. Les premiers mots de Idrissa Seck sont terribles parce qu’ils démolissent un mythe. Aux Sénégalais qui imaginaient un Wade au-dessus des contingences du monde, sacrifiant les plus belles années de sa vie pour servir de punching-ball à Senghor puis à Diouf, un Wade idéaliste et désintéréssé, Idrissa Seck a tenu un autre langage et révélé un homme d’une toute autre nature. Lorsque le nouveau président a pris possession du palais de la République, ses premiers mots auraient été d’ordre ménager, si l’on en croit celui qui était alors son plus proche collaborateur. « Nos ennuis d’argent sont finis ! », lui aurait-il confié ! C’était la première fois au Sénégal qu’une personnalité du rang d’Idrissa Seck révélait à l’opinion les coulisses du pouvoir et, selon la rumeur, ce n’était là qu’un florilège d’une pile de dossiers toujours brandis au-dessus de la tête du Président de la République comme une épée de Damoclès.

Un an plus tard, les attaques à fleurets mouchetés ne sont plus de mode et la série vire au sordide : on y parle de prison, de magouilles financières, de faux et d’usage de faux, on passe de « Dallas » à « Prison Break ». De nouveaux personnages font leur apparition, une notaire, un avocat, et l’on s’égare dangereusement dans des lieux peu recommandables. C’est l’occasion pour I. Seck de faire sa grande tirade sur l’extinction du soleil, tandis que Wade bafouille et s’emmêle dans les chiffres contradictoires de ses services. Quand il accuse Seck d’avoir détourné 20 milliards, celui-ci le traite par des mots que Karim a encore dans la gorge. « Ancien spermatozoïde et futur cadavre », c’est une vérité scientifique, puisque c’est le sort de tout le monde, mais, traduite dans nos langues, c’est une injure qu’on ne lance jamais à celui qu’on a appelé père.

L’artifice principal qui permet de faire rebondir l’intérêt de cette série, c’est que rien n’y est plus provisoire que ce qui est appelé définitif. Lorsque Wade fait exclure « définitivement » I. Seck en avril 2011, il oublie peut-être que la même sanction, dans les mêmes termes, avait déjà été prononcée en août 2005. Lorsque Farba Senghor annonce, aujourd’hui, que la page I. Seck est tournée, il ne fait que répéter ce que Wade avait solennellement proclamé en 2007 : « Entre I. Seck et moi, c’est fini ! Nous ne nous retrouverons que devant Dieu ». La religion sera souvent appelée en renfort, mais aucun des deux protagonistes n’attendra ce rendez-vous puisqu’ils se retrouveront en janvier 2009, non pas au ciel, mais dans le secret du Palais présidentiel pour fustiger, à l’unisson, les « comploteurs » qui avaient cherché à les séparer. Mais Seck ne se contentera pas de cette paix des braves. Au sortir du Palais, il entrainera les médias d’Etat et quelques caciques du PDS jusqu’à la maison du parti pour tenir une conférence de presse, encore une, livrer, seul, sa version, applaudi par ses aficionados. Il ne ménagera ni celui qui lui avait accordé le pardon, ni les barons commis à la médiation et présents sur les lieux. Tout le Sénégal suivra à la télévision une scène subliminale : I. Seck qui exige qu’on lui change sa chaise, puis un fauteuil qui vole au-dessus des têtes, porté jusqu’à lui par les mains des dignitaires du régime. Il se rassoie, enfin, confortablement : c’était le fauteuil du Président !

Retournement de situation : ce premier retour au sein du PDS est en lui-même le reniement des engagements que Seck avait pris deux ou trois ans auparavant. En décembre 2006, dans un message adressé aux Sénégalais (à quel titre, mais cela c’est un autre débat !), il avait dit être « libéré de tout engagement moral » à l’endroit de Wade. Leurs divergences, avait-il précisé, étaient trop grandes et elles étaient de fond. Elles étaient d’ordre stratégique puisqu’il désapprouvait les « éléphants blancs » du Président (ses grands chantiers) et que ses priorités à lui étaient l’amélioration des conditions de vie des Sénégalais. Elles étaient surtout d’ordre politique et ethique. Pourquoi dès lors l’ancien Premier Ministre continue-t-il, aujourd’hui encore, à frapper aux portes d’un parti dont il ne partage ni la même vision du changement, ce qui est le fondement même du PDS, ni la même perception de l’Etat, ni le mode de gestion de la démocratie ou de la famille dans la gouvernance publique ? Peut-il encore continuer à revendiquer le titre d’actionnaire principal d’une entreprise qui n’a gardé que sa raison sociale, mais a changé d’objet, de vocation et même de fonds de commerce ?

On se lasserait un peu des redites, des retournements et des répétitions de ce feuilleton et c’est, comme je l’ai dit plus haut, les dialogues qui le sauvent. Non pas qu’ils volent très haut, mais parce qu’ils révèlent un anthropomorphisme teinté de réminiscences religieuses qui lui donnent un label bien de chez nous. Au plus fort de leur querelle, Wade avait traité I. Seck de « serpent venimeux » et annoncé qu’il ferait tout pour s’opposer à son accession au pouvoir. Plus récemment, en avril 2011, devant une assistance de militants, il l’a comparé à Iblis qui, pour les musulmans, symbolise le mal et la tentation. Iblis, c’est Satan, l’ange trop orgueilleux, qui avait refusé de se prosterner devant Adam parce que, disait-il, celui-ci n’était fait que de poussière alors que lui était fait de feu. Wade ne nous dit pas si c’est lui Adam et si la faute principale de Seck c’était son refus de se soumettre. C’est en tout cas une autre occasion pour lui de puiser son inspiration dans la théologie musulmane, même s’il ne prend tout de même pas le risque de l’illustrer par une citation tirée du Coran comme aime à le faire son ancien bras droit. Mais en matière d’insulte, I. Seck reste le plus fort. Parlant de Wade, c’est à Léviathan qu’il avait fait allusion, faisant d’une pierre deux coups. Le Léviathan est en effet un monstre, à la fois serpent de mer, dragon et crocodile, ce qui répond à la première accusation de Wade. C’est aussi un des démons de l’enfer et même si cette fois c’est la Bible qui sert de référence, les appréhensions des deux protagonistes se rejoignent. Au fond, au PDS, si l’on se réfère aux propos de ses éminences grises, le débat se résume à ceci : qui triomphera entre Iblis et Léviathan. C’est ce qu’on appelle devoir choisir entre la peste et le choléra …

Farba Senghor se trompe lorsqu’il prétend que le feuilleton Idrissa Seck est terminé. Ce qui est achevé, c’est la saison 7, la saison 8 commence ! Elle sera terrible parce qu’on est très près du dénouement.

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