Je suis historien et géographe de formation. J'ai été enseignant-formateur à l’Ecole Normale Supérieure (ENS) de Dakar, puis en charge de différentes structures et directions administratives. A la retraite depuis plusieurs années, je profite de ma liberté recouvrée pour assouvir une vieille passion : écrire. Ces dernières années, j’ai publié deux romans («Mon villages au temps des blancs » en 2000 et «La Raparille» en 2010) ainsi que trois essais (« A mes chers parents gaulois » en 2007 ; "Wade Mecum ou le wadisme en 15 mots" en 2010; "Le temps des choses jamais vues : chronique des années Wade-Sarkozy", 2013). Je publie régulièrement des chroniques dans divers journaux sénégalais (en particulier « Nouvel Horizon » et "Sud Quotidien").

samedi 8 décembre 2018

ÉLEVER LES MOTS OU ELEVER LA VOIX ?



NB : Texte publié dans « Sud Quotidien » du 1 décembre 2018

La campagne électorale n’est pas encore ouverte mais celle des interpellations et des diatribes, celle des condamnations et des dénis bat son plein. Elle occupe notre presse écrite, nos radios, nos télévisions et les réseaux sociaux, elle vole souvent bas, avec des excès de langage qui n’épargnent même pas le Parlement, elle exploite jusqu’à l’usure les mêmes thèmes éculés, elle se sert de toutes les tribunes, y compris les portes des mosquées et des mausolées. De toute évidence ceux qui l’animent ignorent  cette recommandation que Jalal Ad-Din Rûmi lançait il y a près de huit siècles :
« Élève tes mots, pas ta voix ! ».
Cette pré-campagne abonde de promesses qui toutes tournent autour de la même rengaine : le changement est nécessaire ! Ceux qui gouvernent annoncent qu’ils sont prêts, dès la victoire acquise, à opérer de grandes réformes, alors qu’ils ont du mal à reconnaitre en quoi ils ont péché, au point qu’il a fallu une injonction des bailleurs de fonds pour qu’ils avouent des difficultés de trésorerie. Ceux qui sont dans l’opposition affirment tout uniment qu’une refondation s’impose alors, qu’il y a en leur sein des hommes et des femmes qui étaient aux affaires il n’y a guère longtemps et qui semblent n’avoir rien appris et avoir tout oublié. Quant à ceux qui parmi eux n’ont jamais été confrontés à l’exercice du pouvoir et qui appellent à  la révolution, qu’ils veuillent bien se souvenir que « la Révolution est une victoire de la volonté et la défaite des illusions. »
Changer ? Vous avez dit : changement ?
On peut dire aux uns et autres que prêcher le changement ne nous suffit plus parce qu’on nous a déjà joué le coup du Sopi et que le citoyen, l’électeur, s’est promis qu’on ne l’y reprendrait plus. Des promesses qu’on nous tient depuis près de soixante ans, nous avons tiré au moins trois leçons. La première est qu’un changement de l’ampleur que nous espérons  ne peut être le fait d’une seule faction et qu’elle doit être l'émanation de toute la collectivité, c’est-à-dire du peuple souverain. La deuxième leçon, c’est que ce défi est si important qu’il ne peut pas être relevé par les seuls politiques et l’histoire nous a appris que l’une des constitutions les plus durables du monde, celle des États-Unis d’Amérique, a été rédigée par des marchands, des fermiers, des hommes de science, des juristes…
La troisième leçon, enfin, c’est qu’il faut certes procéder à des réformes concernant notre économie, nos finances, notre diplomatie, mais qu’il existe une espèce de  pré-requis sur lesquels nos politiques ne se prononcent pratiquement jamais. En paraphrasant un passage du Coran, on peut en effet se poser la question de savoir si l’on peut changer une nation sans changer sa mentalité, et le cours des évènements qui se déroulent dans deux pays jumeaux, le Burundi et le Rwanda, en offre une illustration…
Peut-on juger un pays par l’état de ses toilettes ?
Il se trouve, et c’est une chance que les chefs de partis font semblant d’ignorer, que notre pays dispose déjà du fruit d’un travail généreusement versé dans son patrimoine et qui peut constituer le fil conducteur de toute réforme dont l’ambition serait de changer les conditions de vie des Sénégalais « dans la paix et dans la concorde ». Cette grande œuvre a l’avantage de ne pas être la commande d’un clan, d’être le fruit d’un long travail mené par des hommes et des femmes réunis dans une démarche inclusive et sous la houlette de l’une des plus éminentes personnalités de notre pays et, par-dessus tout de s’appuyer sur une large consultation citoyenne. Évidemment il n’y a pas une once de démagogie dans ses lignes et c’est probablement ce qui freine l’enthousiasme des politiques qui préfèrent flatter la chalandise plutôt que de frapper là où le bât blesse. Ainsi elle nous invite à lutter contre nos vieux démons et parmi eux notre incivisme qui nous coûte certainement plus cher que les détournements de fonds publics. Ce n’est pas seulement par le PIB que notre pays se distingue de la Suède ou du Japon, c’est aussi par le peu de cas que sa population fait de certaines vertus civiques : la discipline, l’ordre, le silence, ou tout banalement le respect d’une bonne hygiène. Un pays, a dit quelqu’un, peut aussi être jugé par l’état de ses toilettes et si on prend au pied levé ce qui n’est pas qu’une boutade, on peut dire que l’état des lieux d’aisance de nos établissements publics, de nos bureaux, de nos gares et de nos aéroports, de nos stades, de nos hôpitaux et de nos écoles est aussi le reflet de notre sous-développement.  
Professions de foi…
Bien entendu ce travail ne fait pas l’impasse sur l’éthique mais  au-delà des grands principes généraux et généreux, il invite aussi à l’engagement personnel. Quand on veut accéder à la tête d’un pays, on ne peut pas se contenter de dire du mal de l’adversaire, il faut, si on est nouveau, dire qui on est vraiment, et si on est ancien ou sortant dire à quoi on est prêt pour lever les doutes. Quel candidat est disposé, s’il est élu, à mettre un terme à la concentration excessive de pouvoirs à la Présidence de la République décriée depuis soixante ans ? Quel candidat est prêt à renoncer à diriger un parti ou à être membre d’une association, comme c’est la tradition ? A publier son budget de campagne et à indiquer la provenance de ses  ressources, même et surtout lorsqu’on détient les fonds publics, en attendant la mise en place d’un  système de financement  des partis politiques fondés sur des bases rationnelles ? A rejeter le soutien ou l’alliance avec des femmes et des hommes reconnus véreux, à se désolidariser des représentants de partis, de membres de la société civile ou des médias qui se livreraient à des insultes ou exprimeraient des sentiments haineux à l’égard d’autres citoyens ou d’autres cultes (ou confréries) que le leur ? A apporter son soutien à une sorte de tribunal des pairs, même virtuel, dont la tâche serait de mettre à l’index tous ceux qui pour arriver à leurs fins, pratiqueraient le contournement des normes et des règles ?
Enfin ce travail met les pieds dans le plat, et c’est peut-être la vraie raison pour laquelle il n’est jamais cité, en évoquant dès son liminaire un sujet tabou et en allant à contrecourant de ce qui se fait dans ce pays où le gouvernement et ses démembrements ont pris l’habitude de fermer boutique lors de chaque grande manifestation religieuse. Non content de réaffirmer que « le Sénégal est une République laïque », il persiste et signe, en rappelant que si l’État a le devoir d’assister les institutions religieuses, sans discrimination, il doit le faire dans la transparence, en insistant pour dire que « le pouvoir spirituel ne doit pas exercer son emprise sur le pouvoir politique, civil et administratif ».
Bien sûr on peut préférer élever la voix plutôt que les mots, mais qu’au moins nos politiques se rappellent les mots par lesquels se terminait la citation empruntée à Rûmi : 
« C’est la pluie qui fait grandir les fleurs, pas le tonnerre ! ».  
J’allais oublier : ce document dédaigné et jusqu’ici inviolé s’appelle Assises Nationales !

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