NB :
Texte publié dans « Sud Quotidien » du 1 décembre 2018
La
campagne électorale n’est pas encore ouverte mais celle des interpellations et
des diatribes, celle des condamnations et des dénis bat son plein. Elle occupe
notre presse écrite, nos radios, nos télévisions et les réseaux sociaux, elle
vole souvent bas, avec des excès de langage qui n’épargnent même pas le
Parlement, elle exploite jusqu’à l’usure les mêmes thèmes éculés, elle se sert
de toutes les tribunes, y compris les portes des mosquées et des mausolées. De
toute évidence ceux qui l’animent ignorent
cette recommandation que Jalal Ad-Din Rûmi lançait il y a près de huit
siècles :
« Élève tes mots, pas ta voix ! ».
Cette
pré-campagne abonde de promesses qui toutes tournent autour de la même
rengaine : le changement est nécessaire ! Ceux qui gouvernent
annoncent qu’ils sont prêts, dès la victoire acquise, à opérer de grandes
réformes, alors qu’ils ont du mal à reconnaitre en quoi ils ont péché, au point
qu’il a fallu une injonction des bailleurs de fonds pour qu’ils avouent des
difficultés de trésorerie. Ceux qui sont dans l’opposition affirment tout
uniment qu’une refondation s’impose alors, qu’il y a en leur sein des hommes et
des femmes qui étaient aux affaires il n’y a guère longtemps et qui semblent
n’avoir rien appris et avoir tout oublié. Quant à ceux qui parmi eux n’ont
jamais été confrontés à l’exercice du pouvoir et qui appellent à la révolution, qu’ils veuillent bien se
souvenir que « la Révolution est une victoire de la volonté et
la défaite des illusions. »
Changer ? Vous avez dit : changement ?
On
peut dire aux uns et autres que prêcher le changement ne nous suffit plus parce
qu’on nous a déjà joué le coup du Sopi
et que le citoyen, l’électeur, s’est promis qu’on ne l’y reprendrait plus. Des
promesses qu’on nous tient depuis près de soixante ans, nous avons tiré au
moins trois leçons. La première est qu’un changement de l’ampleur que nous
espérons ne peut être le fait d’une
seule faction et qu’elle doit être l'émanation de toute la collectivité,
c’est-à-dire du peuple souverain. La deuxième leçon, c’est que ce défi est si
important qu’il ne peut pas être relevé par les seuls politiques et l’histoire
nous a appris que l’une des constitutions les plus durables du monde, celle des
États-Unis d’Amérique, a été rédigée par des marchands, des fermiers, des
hommes de science, des juristes…
La
troisième leçon, enfin, c’est qu’il faut certes procéder à des réformes
concernant notre économie, nos finances, notre diplomatie, mais qu’il existe
une espèce de pré-requis sur lesquels nos
politiques ne se prononcent pratiquement jamais. En paraphrasant un passage du
Coran, on peut en effet se poser la question de savoir si l’on peut changer une
nation sans changer sa mentalité, et le cours des évènements qui se déroulent
dans deux pays jumeaux, le Burundi et le Rwanda, en offre une illustration…
Peut-on juger un
pays par l’état de ses toilettes ?
Il
se trouve, et c’est une chance que les chefs de partis font semblant d’ignorer,
que notre pays dispose déjà du fruit d’un travail généreusement versé dans son
patrimoine et qui peut constituer le fil conducteur de toute réforme dont l’ambition
serait de changer les conditions de vie des Sénégalais « dans la paix et
dans la concorde ». Cette grande œuvre a l’avantage de ne pas être la
commande d’un clan, d’être le fruit d’un long travail mené par des hommes et
des femmes réunis dans une démarche inclusive et sous la houlette de l’une des
plus éminentes personnalités de notre pays et, par-dessus tout de s’appuyer sur
une large consultation citoyenne. Évidemment il n’y a pas une once de démagogie
dans ses lignes et c’est probablement ce qui freine l’enthousiasme des
politiques qui préfèrent flatter la chalandise plutôt que de frapper là où le
bât blesse. Ainsi elle nous invite à lutter contre nos vieux démons et parmi
eux notre incivisme qui nous coûte certainement plus cher que les détournements
de fonds publics. Ce n’est pas seulement par le PIB que notre pays se distingue
de la Suède ou du Japon, c’est aussi par le peu de cas que sa population fait
de certaines vertus civiques : la discipline, l’ordre, le silence, ou tout
banalement le respect d’une bonne hygiène. Un pays, a dit quelqu’un, peut aussi
être jugé par l’état de ses toilettes et si on prend au pied levé ce qui n’est
pas qu’une boutade, on peut dire que l’état des lieux d’aisance de nos
établissements publics, de nos bureaux, de nos gares et de nos aéroports, de
nos stades, de nos hôpitaux et de nos écoles est aussi le reflet de notre
sous-développement.
Professions de foi…
Bien
entendu ce travail ne fait pas l’impasse sur l’éthique mais au-delà des grands principes généraux et
généreux, il invite aussi à l’engagement personnel. Quand on veut accéder à la
tête d’un pays, on ne peut pas se contenter de dire du mal de l’adversaire, il
faut, si on est nouveau, dire qui on est vraiment, et si on est ancien ou
sortant dire à quoi on est prêt pour lever les doutes. Quel candidat est disposé,
s’il est élu, à mettre un terme à la concentration excessive de pouvoirs à la
Présidence de la République décriée depuis soixante ans ? Quel candidat
est prêt à renoncer à diriger un parti ou à être membre d’une association,
comme c’est la tradition ? A publier son budget de campagne et à indiquer
la provenance de ses ressources, même et
surtout lorsqu’on détient les fonds publics, en attendant la mise en place
d’un système de financement des
partis politiques fondés sur des bases rationnelles ? A rejeter le soutien ou
l’alliance avec des femmes et des hommes reconnus véreux, à se désolidariser des
représentants de partis, de membres de la société civile ou des médias qui se
livreraient à des insultes ou exprimeraient des sentiments haineux à l’égard
d’autres citoyens ou d’autres cultes (ou confréries) que le leur ? A
apporter son soutien à une sorte de tribunal des pairs, même virtuel, dont la
tâche serait de mettre à l’index tous ceux qui pour arriver à leurs fins,
pratiqueraient le contournement des normes et des règles ?
Enfin
ce travail met les pieds dans le plat, et c’est peut-être la vraie raison pour
laquelle il n’est jamais cité, en évoquant dès son liminaire un sujet tabou et
en allant à contrecourant de ce qui se fait dans ce pays où le gouvernement et
ses démembrements ont pris l’habitude de fermer boutique lors de chaque grande
manifestation religieuse. Non content de réaffirmer que « le Sénégal
est une République laïque », il persiste et signe, en rappelant que si l’État
a le devoir d’assister les institutions religieuses, sans discrimination, il
doit le faire dans la transparence, en insistant pour dire que « le
pouvoir spirituel ne doit pas exercer son emprise sur le pouvoir politique,
civil et administratif ».
Bien
sûr on peut préférer élever la voix plutôt que les mots, mais qu’au moins nos
politiques se rappellent les mots par lesquels se terminait la citation
empruntée à Rûmi :
«
C’est la pluie qui fait grandir les
fleurs, pas le tonnerre ! ».
J’allais
oublier : ce document dédaigné et jusqu’ici inviolé s’appelle Assises
Nationales !
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