Je suis historien et géographe de formation. J'ai été enseignant-formateur à l’Ecole Normale Supérieure (ENS) de Dakar, puis en charge de différentes structures et directions administratives. A la retraite depuis plusieurs années, je profite de ma liberté recouvrée pour assouvir une vieille passion : écrire. Ces dernières années, j’ai publié deux romans («Mon villages au temps des blancs » en 2000 et «La Raparille» en 2010) ainsi que trois essais (« A mes chers parents gaulois » en 2007 ; "Wade Mecum ou le wadisme en 15 mots" en 2010; "Le temps des choses jamais vues : chronique des années Wade-Sarkozy", 2013). Je publie régulièrement des chroniques dans divers journaux sénégalais (en particulier « Nouvel Horizon » et "Sud Quotidien").

samedi 25 août 2018

VOTEZ ! NOUS FERONS LE RESTE !



NB : Texte publié dans Sud-Quotidien du 20 aout 2018

A observer  le déroulement des dernières consultations électorales qui ont eu lieu en Afrique, du Kenya au Zimbabwe, plus récemment au Mali, et en attendant celles encore plus périlleuses qui se dérouleront au Cameroun ou en République Démocratique du Congo, en analysant leurs résultats, on pourrait se poser cette grave question : les élections sont-elles vraiment utiles sur notre continent, ou mieux encore, ont-elles un sens ?
Elles ont en tout cas un coût.
Le coût humain est monstrueux. Aux élections présidentielles qui viennent de s’achever au Mali, des électeurs ont été molestés et violentés, un chef de bureau de vote froidement exécuté. On me dira que de toute façon le Mali est un pays en guerre et  que  les assassinats appartiennent au quotidien des Maliens, mais ni le Kenya ni le Zimbabwe  ne sont dans la même situation. Il y a un an, au Kenya, nation de plus de 40 millions d’habitants, vitrine de l’Afrique prospère et attrayante, les élections présidentielles avaient fait près de 100  morts et des dizaines de blessés. Mais ce n’était rien par rapport à celles qui s’étaient tenues en 2007 et dont le bilan est macabre : 1200 morts, 600.000 personnes déplacées. Au Zimbabwe, il y a quelques semaines, on a recensé au moins 6 morts au cours d’une consultation dont l’un des objectifs était justement de donner la preuve que le pays était ancré dans la démocratie après des dizaines d’années de dictature.
Le coût humain, c’est aussi celui qui résulte des moyens mis en place pour assurer la sécurité du vote. Nos élections sont  en  temps de paix de grosses consommatrices de forces de sécurité qui, paradoxalement sont souvent des forces de répression, responsables de nombreuses victimes civiles.  Quand la situation est trouble, ce recours prend une dimension et exige des moyens exceptionnels, comme ce fut le cas au Mali dont les dernières élections ont été encadrées par 36.000 soldats et gendarmes. Cette  force armée représenterait le double des effectifs de l’armée régulière du pays et fait reposer l’exercice de la démocratie sur des troupes étrangères. Financièrement, politiquement, idéologiquement, cela constitue un dangereux précédent et un pari impossible à tenir dans une nation en développement.
Le coût humain, c’est enfin celui de l’assistance, civile celle-là, que représente la mobilisation d’observateurs nationaux ou étrangers, dont la présence atteste du manque de confiance que l’opinion se fait de la neutralité des gouvernants. On en arrive à ce paradoxe  que ce sont souvent des observateurs venus d’Europe occidentale ou d’Amérique du Nord, dont certains sont embedded dans les cortèges du pouvoir,  qui en fin de compte, servent de références pour attester de la sincérité des votes.   
La fête des imprimeurs !
Le cout financier est tout aussi insupportable au point qu’à l’approche de chaque élection, la première démarche de nos gouvernants c’est toujours de mendier des soutiens auprès des grandes puissances et des agences internationales. Qui paie commande et les bailleurs posent leurs conditions, imposent leurs priorité et quelquefois favorisent le parti  qui est le plus accommodant. Pour échapper aux pièges de l’assistanat et dans un élan de fierté respectable, le gouvernement actuel de la République Démocratique du Congo s’est  engagé à financer les prochaines élections présidentielles, mais en a-t-il les moyens ? C’est  en effet un autre pari difficile à tenir puisque cette charge représenterait 10% du budget du pays et que dans ce cas de figure les élections se feraient aux dépens des secteurs prioritaires du développement.
Par ailleurs, l’argent destiné au financement des élections, quelle que soit sa provenance, est un puits sans fonds, un tonneau des Danaïdes qu’il faut remplir sans cesse. En effet il n’est pas prioritairement destiné à conforter la démocratie, par exemple à conscientiser les citoyens sur les enjeux des consultations ou à permettre aux partis les plus représentatifs de compétir à armes égales avec le parti qui exerce le pouvoir. Cette manne est en réalité un investissement perdu qui a souvent pour seul objet la prise  en charge de dépenses qui sont renouvelées lors de chaque élection. Au Sénégal, où les partis majoritaires se cramponnent aux bulletins de vote individuels comme à une bouée de sauvetage, la prolifération de partis politiques a transformé l’impression de  ceux-ci en gouffre financier. Pour les  législatives de 2017, il en a été  confectionné plus de 240 millions répartis entre 47 listes dont chacune selon les estimations de l’époque aurait couté 150 millions au budget de l’Etat ! On peut dire que les élections, c’est avant tout la foire des imprimeurs !
Comment dès lors expliquer que malgré leur interminable durée, malgré leur coût financier et humain, malgré aussi l’engouement médiatique qui les entoure, les élections qui se déroulent en Afrique mobilisent si peu de citoyens au point de mettre à mal la légitimité même des élus ? Aux législatives sénégalaises, déjà évoquées plus haut, la liste arrivée en tête, qui était une coalition de plusieurs partis, avait raflé 75% des sièges, alors qu’elle avait rassemblé sous son nom moins de 1,7 millions de voix, ce qui représente un peu plus de 10% de la population totale du pays. Une dizaine de députés n’ont été élus que grâce au peu glorieux « plus fort reste », c’est-à-dire qu’aucun d’eux n’avait atteint le quotient national  requis pour obtenir un siège. Un député qui, dans un pays de 15 millions d’habitants, n’a été élu qu’avec 18.000 voix, soit l’équivalent de la population d’une bourgade comme Pout, peut-il raisonnablement prétendre au titre de « député du peuple », alors qu’il a tout l’air d’être celui d’une coterie ?
Ces paradoxes et ces incongruités ne sont évidemment pas propres à notre pays, comme l’illustration en a été donnée par les dernières élections présidentielles maliennes. Dans un pays qui compte plus de 18 millions d’habitants, les abstentionnistes représentaient au premier tour plus de 54% des inscrits, ce qui est un indice de la désaffection des populations pour ce type de consultations. Au tour décisif   un peu plus de 2,5 millions d’électeurs ont effectué un vote utile, si bien qu’au bout du compte le président sortant a été reconduit par moins de 1,8 million de citoyens, soit  un dixième de la population du pays et bien moins que celle de la seule capitale, Bamako !
Au fond, on a l’impression que nos jeunes États n’organisent des élections, sans d’ailleurs toujours respecter les échéances légales, que parce que c’est ce qui se fait ailleurs, et notamment dans les pays qui nous servent de modèles et qui sont souvent nos juges. C’est vrai qu’il n’y a peut-être pas d’autre solution pour choisir des dirigeants sans verser dans la dictature, encore que l’élection n’empêche pas la dictature. Le problème, c’est que nos élections sont rarement l’occasion de confronter des idées et qu’elles donnent plus souvent lieu à des querelles de personnes, quelquefois d’ethnies, voire de factions religieuses. Peut-être aurions-nous du inventer notre propre exercice, voter autrement que nos inspirateurs, sans user des mêmes méthodes, des mêmes rites, des mêmes exigences bureaucratiques, des mêmes outils, des mêmes formules. Même après plus d’un demi-siècle d’indépendance, le citoyen, l’électeur, reste, chez nous plus qu’ailleurs, le suppôt des « spéculations et des manœuvres » des politiciens, et la politique est un jeu réservé à un nombre très restreint de personnes  dont la majorité servent  plus leurs ambitions personnelles que les intérêts de la nation.
Voilà pourquoi pouvoir et opposition réunis nous invitent à voter, même sans conviction. Le reste est affaire d’experts, et ne nous concerne pas…

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